Humilier les véganes nuit aux animaux – par Melanie Joy

Ce billet a été écrit par le Dr. Melanie Joy, qui est l’auteure de Why  We Love Dogs, Eat Pigs, and Wear Cows: An Introduction to Carnism [NDT : qu’on peut traduire par ” Pourquoi nous aimons les chiens, mangeons des cochons et portons de la vache : une introduction au carnisme « ] et une psychologue formée à Harvard. Dans cet article, elle parle de ce qu’elle considère comme un problème majeur au sein de notre mouvement : l’humiliation de véganes par d’autres véganes. C’est un texte assez long à lire, alors asseyez-vous confortablement et prenez le temps de digérer les nombreux points importants qu’elle soulève.

Dr. Melanie Joy

Lors d’une conférence récente dont le public était composé de militants de la cause animale, il s’est produit un incident qui m’a perturbée et m’a rendu inquiète pour notre mouvement. Un intervenant, militant végane de longue date, faisait une présentation sur le militantisme efficace à un public d’environ 300 personnes quand, soudainement, deux militants se sont précipités sur la scène. L’un d’eux portait un poulet mort ; l’autre tenait une pancarte affirmant que l’organisation à laquelle appartenait l’intervenant était corrompue. Le militant au poulet a ensuite attrapé un micro et a continué en annonçant pourquoi il pensait que l’intervenant était un hypocrite responsable d’énormément de souffrances animales et pourquoi il croyait que l’organisation (végane) de l’intervenant profitait en réalité de l’exploitation des animaux. (Malgré le fait que l’organisation en question possède un historique remarquable en matière de promotion du véganisme, leur tactique “ grand public ” leur vaut parfois des critiques de la part de groupes plus radicaux.*) Les quarante minutes suivantes ont consisté en un “ débat ” improvisé où l’intervenant — un végane passionné qui a dédié sa vie à la réduction des souffrances animales — s’est vu contraint de passer son temps à expliquer qu’il se soucie réellement des animaux, au lieu de terminer sa présentation qui avait été pensée pour aider les militants à sauver des animaux de manière plus efficace.

Pendant tout ce temps, les membres du public ont acclamé et hué après chaque revendication passionnée du militant accusateur ; ou alors ils ont acclamé lorsque l’intervenant s’est défendu, lui et son organisation, avec succès. À un moment, les membres du public ont eu l’opportunité de participer, et, bien que beaucoup parmi eux aient soutenu la position de l’intervenant, un certain nombre d’entre eux a repris la torche et a continué ce qui ressemblait à de l’inquisition. Et cette dynamique a continué le jour suivant, quand le débat a ressurgi. Personne ne semblait le moins du monde gêné que quelqu’un qui a passé beaucoup de temps et d’énergie à préparer et à transmettre un discours voie sa présentation sabotée — ou qu’un être humain, et un végane engagé, soit le sujet de ce que je ne pouvais percevoir que comme une tentative d’humiliation publique.


Honte

L’humiliation est malheureusement un comportement social répandu, qui n’est pas éliminé en grande partie parce qu’il est commun au point d’être invisibilisé. Et l’humiliation publique est un spectacle de plus en plus populaire, une réminiscence des jeux de la Rome antique et est incontestablement encore plus dommageable. Ainsi, le fait d’accepter et de célébrer les comportements d’humiliation n’existe pas uniquement au sein du mouvement végane. Cependant, le mouvement végane est supposé agir comme un contrepoint à ces attitudes dominantes qui génèrent des souffrances au lieu de les soulager. Clairement, le fait qu’un comportement injuste soit socialement acceptable n’est pas une excuse pour que nous l’adoptions sans réserve.

Nous humilions les autres à chaque fois que nous les jugeons ou que nous les déclassons, quand nous exprimons que nous les considérons d’une certaine manière comme inférieurs à nous-mêmes ou à d’autres personnes. Les comportements d’humiliation peuvent être n’importe quoi, d’un subtil roulement d’yeux quand notre ami non végane choisit un hamburger plutôt qu’un burger végétarien jusqu’à une agression verbale quand un autre végane exprime une opinion avec laquelle nous ne sommes pas d’accord.

La honte est l’émotion qui résulte d’un comportement de menace, d’agression ou de tout autre comportement dégradant. La honte est le sentiment d’être “ moins que ” les autres. Nous pouvons nous sentir moins puissants, moins moraux, moins attirants, moins intelligents, etc. Enfin, pourtant, la honte est le sentiment de valoir moins que d’autres. Quand notre estime personnelle découle de notre militantisme, de notre beauté, de notre intelligence, etc. — comme la plupart d’entre nous a appris à le penser — nous ressentons inévitablement de la honte lorsque nous sommes rabaissés. Et virtuellement chacun d’entre nous portons en nous une bonne dose de honte ; il s’agit simplement de la quantité de honte à laquelle chacun d’entre nous doit faire face. Nous avons hérité d’un monde profondément problématique avec des modèles imparfaits ; même les quelques-uns d’entre nous qui ont eu des parents émotionnellement sains ont été influencés par une culture populaire dans laquelle la compétition, la violence et l’oppression — des phénomènes induisant de la peur et de l’humiliation — sont à la fois des choses normales et célébrées.


Grandeur

Le contraire de la honte, c’est la grandeur, le sentiment de supériorité ou celui d’être “ mieux que ” d’autres. Le sentiment de grandeur exagérée, même s’il est faible, peut être très attrayant. Quand nous sommes dans un état de grandeur, nous nous trouvons à une hauteur qui nous fait (largement) oublier la honte que la plupart d’entre nous passe son temps à essayer de nier, d’éviter ou bien de cacher. Humilier d’autres personnes peut donc être tentant, car faire sentir d’autres personnes inférieures consolide automatiquement notre position de supériorité. Un exemple ordinaire de cette dynamique parmi les véganes est l’humiliation morale et intellectuelle – exprimer le fait que l’autre est moins intelligent et moins moral, souvent parce qu’il ou elle n’est pas d’accord avec notre point de vue personnel. Le but de l’humiliation morale et intellectuelle est de prouver que notre position est “ la bonne ” et que l’autre est “ la mauvaise ”, plutôt que d’examiner et de discuter objectivement de différentes perspectives.

L’humiliation morale et intellectuelle peut être particulièrement nocive, car il peut être difficile de la reconnaître et donc d’y réagir ; les cris sont bien plus faciles à identifier que les ricanements. Souvent, l’humiliation morale et intellectuelle est cachée par une argumentation habilement articulée et une prose éloquente. Et quand la beauté de mots bien choisis est associée à une passion zélée et à un sentiment de légitimité inébranlable, le résultat peut être toxique. Des véganes bien intentionnés peuvent être éblouis par la splendeur d’un charisme intellectuel et rejoindre inconsciemment le lynchage de ceux dont les idées ont été jugées “ mauvaises ” et donc “ immorales ”. Peu importe que la personne soit bien éduquée, passionnée ou moralement convaincue, ses idées ne sont pas forcément logiques ou justes et ses façons de faire ne sont pas forcément éthiques. Nous devons toujours prendre un peu de recul et nous demander : “ Cette personne se réfère-t-elle à des données empiriques ou exprime-t-elle simplement une opinion ? L’argument semble-t-il logique ? ”. Et, “ Comment est-ce que je me sentirais si ces commentaires m’étaient adressés ? ”.

Bien sûr, tous les comportements d’humiliation ne sont pas des tentatives pour booster nos propres égos ; parfois nous humilions les autres simplement parce que nous essayons de leur faire faire quelque chose. Et nous ne nous rendons pas compte que ce que nous faisons est blessant.

Grandeur et légitimité

La légitimité est la croyance selon laquelle nous méritons des privilèges particuliers qui sont niés à d’autres et selon laquelle c’est une conséquence naturelle du fait d’être dans un état de grandeur. Quand nous nous sentons légitimes, nous avons l’impression d’avoir le droit de faire à d’autres ce que nous n’accepterions pas d’eux.

Par exemple, récemment un végane questionnait un de mes collègues (végane aussi) au sujet de sa stratégie concernant la libération animale. Mon collègue a répondu qu’il était un ardent partisan de l’abolition de l’exploitation animale. Pourtant quand mon collègue a ajouté qu’il soutenait une stratégie concernant l’abolition qui était différente de celle du végane inquisiteur, ce dernier (que mon collègue ne connaissait pas du tout) a insisté en disant que mon collègue ne souhaitait “ pas vraiment ” mettre fin aux souffrances animales et qu’il n’était pas, en fait, un partisan de l’abolition de l’exploitation animale. Le végane a pensé avoir le droit de définir l’identité de mon collègue à sa place. Il a pensé avoir le droit d’affirmer que l’auto-évaluation de mon collègue était erronée — qu’il savait mieux que mon collègue ce qu’étaient la philosophie personnelle et les objectifs de mon collègue.


La loi du plus moral

Lors de la conférence, même si j’étais perturbée par le comportement du militant accusateur, j’étais bien plus inquiète par le fait qu’il ait été en mesure de mener à bien ses actes de sabotage et d’humiliation parce que les autres lui avaient donné la plateforme pour le faire, parce qu’apparemment tant de militants partageaient sa croyance en “ la loi du plus moral ”. En d’autres mots, ils pensaient qu’il était acceptable d’intimider, d’humilier ou de porter atteinte à quelqu’un d’autre tant que l’attaque découlait d’un sentiment de légitimité morale. Quand j’ai demandé au militant, par exemple, pourquoi il pensait avoir le droit de porter atteinte à l’espace de l’intervenant et de peut-être le traumatiser (ainsi que les témoins de la scène) en l’exposant de force au cadavre de quelqu’un — ces comportements rappellent terriblement ceux des personnes qui maltraitent les animaux —, il a répondu que c’était parce que “ l’intervenant avait franchi une limite éthique ”, une affirmation acclamée par la foule.

Le psychothérapeute Terrence Real, qui est spécialisé dans les relations violentes, appelle ce type de comportement “ l’offense depuis la position de victime ”. Selon Real, toutes les personnes violentes ressentent un sentiment de légitimité et pensent qu’ils se défendent (ou, dans le cas des militants de la cause animale, qu’ils défendent d’autres êtres) quand ils font preuve de violence. Un mari violent, par exemple, affirme presque toujours qu’il frappe sa femme parce qu’elle a fait quelque chose pour le blesser : “ Elle sait que je ne supporte pas quand elle se plaint de ma façon de faire avec les enfants, mais elle n’a pas pu la fermer ”. Dans l’esprit du mari violent, sa femme a franchi la limite – une limite subjective qu’il a construite et dont il a décidé qu’elle marquerait la frontière de la violence justifiable envers elle.

Dans le paradigme de la loi du plus moral, la violence n’est pas de la violence si le comportement découle d’un grief moral valable. Et bien sûr, la personne qui décide si le grief est valable est celui qui adopte le comportement en question. Pensez aux attentats terroristes du 11 septembre 2001 ou bien aux fusillades sur des campus américains, des actes violents commis au nom de la droiture morale. Tandis que ces exemples sont évidemment bien plus violents que celui du végane qui humilie d’autres véganes (ou non véganes) en public, la mentalité sous-jacente est la même ; la différence n’est qu’une question de degré.


Humilier des véganes est une très mauvaise stratégie

La plupart des gens seraient d’accord pour dire que la déontologie exclut l’humiliation. La déontologie est l’intégration de valeurs (telles que la compassion et la justice) et de pratiques et quand nous humilions d’autres personnes, nous portons atteinte à ces valeurs. Humilier d’autres personnes — véganes ou non — n’est donc pas éthique.

Mais même si nous nous soucions peu des conséquences éthiques de l’humiliation, il faut savoir que ce comportement a également des conséquences pratiques. L’humiliation parmi les véganes est intrinsèquement une très mauvaise stratégie ; cela fait fuir les non véganes alors que nous avons besoin de leur soutien pour faire avancer notre mouvement, cela affaiblit les véganes et cela engendre une terrible perte de temps et d’énergie qui auraient plutôt pu être dédiés à un militantisme végane efficace.

Quand nous humilions quelqu’un, nous augmentons la probabilité qu’il se retire ou qu’il contre-attaque. Il est possible que les personnes humiliées ne parviennent pas à agir en leur nom ou au nom d’autres parce qu’ils pensent ne pas avoir le pouvoir de changer les choses. Pensez à la jeune femme qui est témoin des horreurs de l’élevage industriel, qui veut arrêter de manger des animaux, mais qui ne peut pas supporter la pression de ses pairs pour qu’elle se conforme à la norme carniste et qui est qualifiée de “ radicale ” par ses pairs. Parfois les personnes humiliées attaquent plutôt que de se retirer et ils humilient d’autres personnes afin de se reconstruire (temporairement). Pensez au petit garçon qui tombe et s’égratigne les genoux sur le terrain de jeu, qui commence à pleurer et qui est immédiatement traité de “ fillette ” par les autres enfants (malheureusement, traiter quelqu’un de femme ou de fille est l’un des affronts les plus offensants). Il se relève, se redresse en disant “ Vous allez voir ! ” et tente d’intimider et d’humilier les autres.

Les psychologues savent depuis longtemps que les comportements d’humiliation sont intrinsèquement violents et qu’humilier les autres est le meilleur moyen d’obtenir exactement l’inverse de ce qu’on voudrait (à moins d’être des gourous, les gardiens de prisonniers politiques ou toute autre personne cherchant à affaiblir et “ casser ” l’autre).

Puisque l’humiliation est si invalidante au niveau personnel et social, c’est l’émotion que la culture dominante inculque à ceux qui font face à ses pratiques oppressantes, en silenciant de façon efficace les voix dissidentes (combien de fois, nous véganes avons-nous dû nous mordre la langue par peur d’être qualifiés de “ trop sensibles ”, d’ “ extrêmes ”, d’ “ irrationnels ” ou de “ moralement dans l’erreur ” ?). Les véganes ne sont pas étrangers à la honte ; nous devons lutter contre elle chaque jour car nous nageons contre le courant de la culture dominante.

L’humiliation des véganes est la culture dominante : les véganes sont trop visibles ou invisibles

Souvent, l’humiliation des véganes dans la culture dominante est exprimée de deux façons : les véganes sont soit trop visibles soit invisibles. Quand nous sommes trop visibles, nos attitudes et nos comportements sont scrutés et examinés dans tous les sens, nous laissant peu de marge pour être les humains faillibles que nous sommes et nous faisant ainsi adopter une sorte de “ perfectionnisme toxique ”. Quand nous sommes invisibles, nos efforts sont niés, invalidés ou bien cachés. Quand des véganes en humilient d’autres, ils renforcent ces attitudes d’humiliation extrêmement nocives.

Les véganes trop visibles : le perfectionnisme toxique

La culture dominante exige souvent des véganes qu’ils se conforment à des standards impossibles à atteindre : on attend de nous que nous soyons des parangons de vertu (nous sommes des hypocrites si nous portons de la soie, des extrémistes si nous n’en portons pas), des modèles de santé (s’il arrive que nous tombions malade, toute notre idéologie est remise en question) et des experts sur tout (nous n’avons pas le droit de prôner le véganisme si nous n’avons pas toutes les réponses au problème du carnisme – ce qui, bien sûr, est impossible).

De plus, beaucoup de véganes sont très sensibilisés à l’idée qu’ils pourraient nuire, être immoraux ou ne pas être “ assez biens ” et ils ont intériorisé le message de la culture dominante selon lequel ils doivent être parfaits afin d’avoir de la valeur. Ils ont du mal à accepter que leurs efforts soient suffisants et bien souvent ils n’y arrivent pas. Le perfectionnisme toxique est donc, sans surprise, une cause commune de dépression et d’épuisement chez les véganes. Quand d’autres véganes renforcent le perfectionnisme toxique, les résultats peuvent donc être dévastateurs. Un exemple courant est le fait d’insister sur le fait que si quelqu’un ingère même une trace de produit animal, comme boire un vin “ non végane ” ou manger du fromage de soja qui contient de la caséine, cette personne n’est “ pas une vraie végane ” et est donc, par extension, quelqu’un qui exploite les animaux (une attitude qui effraie et repousse sans doute nombre de nouveaux véganes et de potentiels véganes).

Le perfectionnisme toxique nous pousse également à réduire l’individu que nous jugeons à n’être rien de plus que les comportements “ honteux ” pour lesquels nous le jugeons. Nous ne parvenons pas à apprécier l’autre comme un individu entier, car nous effaçons toute partie de son militantisme ou de sa vie qui contredit notre jugement. Par exemple, une campagne controversée d’une organisation qui a fait un énorme bien pour les animaux peut finir par être critiquée comme étant “ vendue ” ou de connivence avec l’oppresseur. Même quand les chiffres ne correspondent pas objectivement à ces affirmations — quand l’individu ou l’organisation a statistiquement fait bien plus de “ bien ” que de “ mal ” potentiel — le perfectionnisme toxique nous fait nier mentalement ces données.

Quand des véganes encouragent le perfectionnisme toxique, ils peuvent créer une crainte excessive chez d’autres véganes (et en eux-mêmes) de faire des erreurs. Un écart, l’aveu de ne pas être assez “ pur ” peut entraîner le fait d’être humilié. Les gens qui ont peur de faire des erreurs sont souvent ceux qui finissent par ne rien faire du tout.

 

Les véganes invisibles : l’ingratitude

Notre travail est ingrat. En tant que militants véganes, nous travaillons souvent sans répit, sans être rétribués ou pour bien moins d’argent que nous gagnerions autrement et la seule raison pour laquelle nous faisons cela, c’est parce que nous nous soucions des animaux. Ces derniers ne peuvent pas nous remercier et ils ne le feront jamais. Nos efforts sont fréquemment invisibles, ridiculisés ou même combattus par la culture dominante et parfois même par ceux qui sont les plus proches de nous.

Alors quand les autres militants, les seules personnes au monde qui comprennent réellement ce que cela signifie d’être végane dans un monde où l’on mange des animaux, quand ceux-ci nous font précisément les choses que la culture dominante fait — nous traiter d’hypocrites, nous ridiculiser et nous attaquer — nous pouvons nous démoraliser. Clairement, nous nous sentons agressés. Mais peut-être qu’un sentiment encore plus insidieux est le sentiment profond de ne pas être appréciés, un sentiment qui peut mener au désespoir. Le désir d’être apprécié n’est pas égoïste ni égocentrique. C’est un besoin humain basique qui, lorsqu’il n’est pas satisfait,  mine notre motivation et notre inspiration. Si vous doutez de cela, pensez simplement à comment vous vous sentez quand votre partenaire ne remarque pas que vous êtes le seul à nettoyer la maison depuis que vous vivez ensemble.


De la honte à la prise de pouvoir

Il serait tragique que les véganes soient d’accord sur tout. Notre diversité fait notre beauté et notre force. Cependant, la façon dont nous sommes en désaccord a de l’importance. Beaucoup d’importance. Quand nous nous rassemblons pour discuter, plutôt que nous disputer, au sujet de nos différentes idées, nous pouvons nous enrichir, nous et notre mouvement. Dans une telle situation, nous abordons nos désaccords avec curiosité et compassion. Nous sommes ouverts à l’idée d’apprendre les uns des autres et même quand nous sommes fortement convaincus sur un sujet, nous n’humilions pas l’autre et nous ne lui portons pas atteinte. Nous donnons du pouvoir à nous-mêmes et à notre mouvement plutôt que de l’affaiblir. La prise de pouvoir est le contraire de la honte.

Communiquer avec empathie

Nous pouvons réduire la probabilité d’humilier quelqu’un d’autre si, avant de communiquer, nous faisons une pause et nous nous demandons : “ Suis-je connecté avec mon empathie en cet instant ? Est-ce que je prends vraiment en compte ce à quoi le monde ressemble à travers les yeux de l’autre — comment mes paroles ou mes actions l’affecteront ? ” Ou bien : “ Comment est-ce que je me sentirais et comment est-ce que je réagirais si quelqu’un me disait cela ? ”. Ces questions sont particulièrement importantes si nous nous sentons en colère ou légitimes au niveau moral, et/ou si l’autre est un leader ou une organisation, auquel cas il est plus facile de le considérer comme un simple symbole, plutôt que comme un être humain ou une institution composée d’êtres humains. Souvent, nous oublions que derrière le rôle de PDG, d’auteur, d’intervenant, etc. il y a une personne avec des sentiments, des désirs et des besoins, une personne qui sera affectée par nos paroles. Et nous oublions que nos organisations sont composées de militants qui sont des personnes qui se soucient beaucoup de la cause et de l’impact du travail qu’elles effectuent.

Et avant de communiquer nous pouvons également nous demander : “ Quel est le but de ma communication ? Quel impact sur les animaux est-ce que j’espère avoir grâce à cette communication ? ”. De nombreux véganes qui humilient d’autres véganes le font avec une bonne intention, en pensant que la méthode de l’autre pour réduire la souffrance animale nuit en fait aux animaux. Certaines stratégies sont sans aucun doute meilleures que d’autres et sans données solides (ce que nous n’avons simplement pas concernant des stratégies étendues pour la libération animale), il est difficile si ce n’est impossible de savoir quelle stratégie est la plus efficace. Nous devons donc continuer à parler, discuter, analyser et apprendre. Mais une chose est sure : humilier ou intimider d’autres véganes n’aide pas les animaux car cela démoralise et affaiblit les militants et cela nuit à tout le mouvement. Si vous voulez faire ce qu’il y a de mieux pour les animaux, arrêtez d’humilier.

Créer des zones sans humiliation

La façon la plus importante par laquelle nous pouvons créer une culture libre de toute humiliation, c’est de faire tout ce qu’il y a en notre pouvoir pour supprimer la plateforme de ceux qui humilient. Les personnes qui s’adonnent à l’humiliation n’auraient pas l’impact qu’elles ont si elles n’avaient pas de public.

Mon espoir est que les véganes choisiront de devenir des alliés en créant un mouvement plus empathique et donc plus puissant — qu’ils s’engageront à créer une culture qui est immunisée contre l’humiliation (des non véganes tout autant que des véganes). Pour cela, nous pouvons créer des zones sans humiliation partout où nous en avons le pouvoir : dans nos conversations et nos organisations, lors de nos conférences et de nos rassemblements, et ce qui est peut-être plus important, sur nos pages de médias sociaux, puisque les médias sociaux sont souvent la source principale d’humiliation généralisée.Plutôt que de dénoncer les personnes qui humilient, ce qui renforcerait la mentalité réactive de la culture de dénonciation, je suggère de faire appel à la compassion —  que nous jouions un rôle actif pour nous assurer que nous n’ignorons pas et que nous ne laissons pas passer des commentaires humiliants. Nous pouvons mentionner sur nos pages de médias sociaux que nous nous engageons à une communication sans humiliation, puis, sans émettre de jugement, si quelqu’un partage une remarque hostile ou dévalorisante, nous pouvons demander que cette personne exprime ses opinions de façon plus empathique et, si elle ne le fait pas, nous pouvons supprimer le message. Nous pouvons également parler aux organisateurs de nos conférences et de nos réunions ou avec les leaders de nos organisations lorsque nous remarquons qu’un comportement d’humiliation est toléré ou encouragé. Le plus important est de ne pas être un spectateur passif devant un acte malveillant. Comme l’a si bien dit Edmund Burke : “ Pour triompher, le mal n’a besoin que de l’inaction des gens de bien ”.

La majorité des véganes sont des personnes hautement conscientes et empathiques, qui sont profondément engagées en ce qui concerne l’intégrité personnelle et la transformation sociale. Il est probable que notre mouvement soit arrivé au point où l’humiliation est un problème en partie parce que nous avons accepté sans réserve le mythe de “ la loi du plus moral ” et largement parce que ceux d’entre nous qui n’humilient pas n’ont pas fait très attention à ce phénomène. Nous sommes donc devenus des spectateurs involontaires, permettant l’existence d’un problème simplement en ne nous en occupant pas.

L’humiliation nuit à notre mouvement. En tant que véganes, nous n’avons pas le luxe de l’oubli ; nous ne pouvons pas nous permettre de simplement faire abstraction des déclarations hostiles ou d’ignorer les commentaires dévalorisants. Nous devons faire ce que nous faisons de mieux : agir comme des consommateurs critiques et encourager les autres à faire de même. Nous devons examiner non seulement ce que nous mettons sur ou dans nos corps, mais aussi ce que nous mettons dans nos cœurs et dans nos esprits, et promouvoir la compassion plutôt que la cruauté.

*Bien sûr, différentes méthodes idéologiques peuvent soulever des questions légitimes, de la part des deux côtés. Cependant, cet article traite de la façon d’aborder ces questions, et non des questions en elles-mêmes.

Également publié ici: https://peuventilssouffrir.wordpress.com/2015/10/19/humilier-les-veganes-nuit-aux-animaux/.

La souffrance des animaux sauvages : une vérité qui dérange beaucoup

Quelque part en Afrique du Sud, une jeune zébresse affolée est prise au piège dans la boue. Elle crie et se débat, mais en vain. Si rien n’est fait, elle ne tardera pas à suffoquer.

Tout à coup, un jeune rhinocéros s’approche d’elle, place son énorme tête sous son corps et la soulève hors de la boue. L’opération semble d’abord réussir, mais le rhinocéros, oubliant peut-être combien sa corne est acérée, lui transperce le corps et la tue.

À quelques mètres de là, un Homo sapiens observe la scène. Ce photographe professionnel en profite pour capturer plusieurs images du drame. Il pourrait intervenir, mais il dira plus tard à un journaliste qu’il était préférable de “ laisser faire la nature ”.

En bref, un rhinocéros tente vainement de porter assistance à une zébresse en danger de mort (mais peut-être qu’il est simplement curieux ou qu’il veut jouer), tandis qu’un humain tout à fait capable de la secourir décide de l’abandonner à son sort.

Lorsque nous apercevons un être humain en détresse, nous passons systématiquement à l’action – du moins quand les risques pour nous sont faibles ou inexistants. Mais lorsqu’il s’agit d’un animal, cette obligation morale s’estompe. À plus forte raison quand cet animal appartient à un monde qui nous semble à part – un monde dans lequel, à notre sens, nous ne devrions pas intervenir. Mais au fait, pourquoi ne devrions-nous pas intervenir ?

“ Naturel “ ne signifie pas “ bien “
Aujourd’hui encore, bon nombre de personnes pensent que le mot “ naturel “ est synonyme de “ bon “ ou de “ bien “. À leurs yeux, toute chose qui se déroule dans la nature doit absolument avoir lieu, autrement elle ne se produirait pas.

Or, c’est en défiant la nature, en nous montrant plus rusés qu’elle, en la maîtrisant que nous avons pu évoluer. Nos médicaments, par exemple, ne sont pas “ naturels “. Nos lunettes, nos béquilles, nos voitures, nos bicyclettes ne le sont pas non plus. Idem pour l’écran qui vous permet de lire cet article. Rien de tout cela ne pousse dans la nature.
Qui plus est, nous intervenons constamment dans la nature – le plus souvent, il est vrai, pour servir nos propres intérêts. Nous l’avons déblayée pour nos routes, nos cultures, nos parcs et nos bâtiments. Et ce faisant, nous avons tué un nombre incalculable d’animaux.

Nous sommes nombreux à penser que les humains devraient tenter de mettre un terme à la souffrance qu’ils infligent eux-mêmes aux animaux sauvages, en construisant par exemple des ponts et des tunnels qui serviront de passages aux animaux dont nous avons morcelé l’habitat ou le territoire. Mais qu’en est-il de la souffrance dont les humains ne sont pas responsables ? Après tout, la souffrance reste la souffrance, quelle que soit son origine. Pour un lapin, par exemple, peu importe que sa douleur soit causée par la maladie ou le piège d’un braconnier (si tant est que ces souffrances soient d’un intensité similaire).

Si vous aviez été à la place de ce photographe, votre empathie, toute naturelle, vous aurait peut-être incité à agir. Mais cet acte, quoique concret, aurait eu un impact limité. Les interventions auxquelles nous assistons de nos jours sont, elles, d’une bien plus grande portée. Nous vaccinons certaines populations d’animaux sauvages (même si, en réalité, l’objectif est d’éviter une contamination humaine). Nous avons également recours à la contraception dans certains parcs naturels, estimant qu’il est plus moral d’empêcher la naissance de certains animaux que d’en laisser d’autres mourir de faim dans d’atroces souffrances.

Pourquoi les visions idylliques de la nature sont fausses
Il se peut que vous ayez une vision très romantique de la nature, pensant ainsi que le bonheur et la sérénité y abondent. S’il est vrai que notre perception de la nature a changé à travers les âges, il semble aujourd’hui tout à fait raisonnable de la décrire comme un lieu cruel où “griffes et crocs sont rouges de sang”. Voici en partie pourquoi.

Nous, humains, avons assez peu d’enfants, mais ceux-ci font l’objet de soins parentaux permettant à la grande majorité d’entre eux de survivre (c’est le cas dans les pays occidentaux, certes, mais aussi de plus en plus souvent dans les pays en développement). Beaucoup d’animaux, peut-être même la majorité, adoptent une stratégie différente : ils donnent naissance à un grand nombre de petits dont ils s’occupent peu. Par conséquent, seuls quelques individus survivent (la taille de la population reste donc stable). En raison de cette stratégie, nommée “ stratégie r ” par les biologistes (la première que j’ai mentionnée est appelée “ stratégie K ”), un nombre colossal d’animaux meurent à un très jeune âge. Le lapin commun, par exemple, peut mettre au monde 360 petits durant sa vie, mais seuls 15 % d’entre eux atteignent l’âge d’un an. Certains animaux peuvent produire des centaines, des milliers, voire des centaines de milliers d’œufs, mais tous ne peuvent se développer. Cela dit, même chez les animaux qui ne donnent naissance qu’à un petit nombre de petits, bien souvent, un ou plusieurs meurent précocement. Les pandas, par exemple, donnent naissance à des jumeaux, mais seul un petit survit puisque les parents délaissent l’autre.

Bon nombre de ces animaux, si ce n’est la majorité, meurent probablement de manière lente et douloureuse. Outre la faim, la soif, le froid et la sécheresse, les animaux sauvages endurent les blessures et les maladies, et ce, sans jamais recevoir de soins médicaux. Ils sont confrontés aux catastrophes naturelles telles que les inondations et les incendies. Ils sont également victimes du parasitisme et, bien sûr, de la prédation (voir la vidéo ci-dessous ; attention, certaines images sont choquantes).

À présent, parlons chiffres. On compte environ sept milliards d’humains. Le nombre de poissons capturés chaque année se situe, selon de grossières estimations, entre 1000 et 3000 milliards. Quant au nombre total d’animaux sur Terre, il avoisinerait, selon des estimations encore plus grossières, 10¹⁹ (voir cet article pour plus d’informations).

Comment ne pas en conclure que les visions idylliques de la nature sont non pertinentes et que la quantité de souffrance globale y est considérable ?

La question de savoir si nous devrions agir ou non face à ce gigantesque problème est globalement controversée. Toutefois, je trouve étonnant qu’elle le soit aussi parmi les véganes et les défenseurs des droits des animaux, lesquels semblent convaincus que nous devrions nous focaliser principalement sur les souffrances que nous-mêmes provoquons. Encore une fois, aux yeux de l’animal, peu importe que nous ayons causé sa souffrance ou non.

Oui, prédire les répercussions de nos interventions pourrait s’avérer particulièrement difficile. Oui, nos interventions pourraient avoir des retentissements catastrophiques. Mais les personnes qui travaillent sur cette problématique sont clairement conscientes de sa complexité et des risques en présence. C’est justement pourquoi elles préconisent des modifications lentes et graduelles. N’oublions pas non plus que ce qui se déroule habituellement dans la nature est épouvantable, et ce depuis toujours. Si vous n’en êtes pas convaincu, je vous conseille de regarder la vidéo ci-dessous (attention, certaines images sont choquantes).

À mon sens, la question principale n’est pas de savoir si nous devrions intervenir ou non, mais dans quelle mesure et comment. D’ailleurs, je pense que la plupart des gens, s’ils en prenaient connaissance, cautionneraient les interventions déjà mises en oeuvre (sauvetages individuels d’animaux, vaccinations et contraceptions). Toutefois, ne devrions-nous pas aller un peu plus loin ?

Deux planètes
Une lettre encadrée est accrochée sur l’un des murs du bureau berlinois de l’organisation végane VEBU. C’est Annika, une petite fille qui décédera ultérieurement d’une tumeur au cerveau, qui l’a écrite à l’attention du directeur général de l’association, mon ami Sebastian Joy. Dans sa lettre, Annika propose que nous ayons deux planètes : une pour les humains, une autre pour les animaux. Cette idée, touchante, peut sembler pertinente à première vue. Mais après réflexion, on se dit que la planète réservée aux animaux ne serait rien de moins qu’un puits de souffrance. Si les humains parviennent à échapper à leur autodestruction, et s’ils deviennent plus compatissants qu’ils ne le sont aujourd’hui, il se pourrait qu’un jour, ils viennent en aide aux animaux sauvages en rendant leur vie plus agréable, voire en mettant un terme à leur souffrance. Je n’ignore pas qu’aux yeux de certaines personnes, cette idée paraît insensée. Ou terriblement prétentieuse. On objectera sans doute que ces interventions ne sont pas une priorité puisqu’il existe déjà des moyens plus simples d’aider les humains et les animaux. Il faut pourtant garder à l’esprit que nous serons peut-être encore présents sur cette planète dans une dizaine voire une centaine de milliers d’années. Qui sait quelles évolutions morales et technologiques nous connaîtrons d’ici là ?

En attendant, que pouvons-nous faire ? Nous pouvons commencer par faire preuve d’ouverture d’esprit face à cette problématique. Nous pouvons réexaminer nos préjugés, spécistes ou autres. Nous pouvons revoir nos priorités en ce qui concerne les droits des animaux et la prévention de la souffrance, s’il y a lieu. Nous pouvons diffuser ces idées. Nous pouvons apporter notre soutien aux interventions déjà mises en œuvre. Nous pouvons aussi nous ouvrir au développement des nouvelles technologies qui seront susceptibles de nous aider à l’avenir.

Schopenhauer disait que les humains étaient les démons sur Terre, et les animaux les âmes tourmentées par ceux-ci. Je pense qu’il pourrait en être autrement. Qui sait, nous pourrions même devenir un jour leurs anges gardiens.

Voulez-vous en savoir plus sur ce sujet ? Je vous invite à regarder cette vidéo et lire le programme de recherche du Foundational Research Institute.

Cet article s’inspire du discours prononcé par Oscar Horta à la Conférence sur la Sentience de Berlin.

Également publié ici: https://thepleabargainblog.wordpress.com/2016/06/14/la-souffrance-des-animaux-sauvages-une-verite-qui-derange-beaucoup/.

Faire du véganisme la nouvelle norme : changer l’option par défaut

Quel paradoxe : les gens n’aiment pas qu’on leur dicte leur conduite ni qu’on les pousse à faire quelque chose; pourtant, une fois livrés à eux-mêmes, ils font rarement les bons choix. Comment résoudre cette énigme ?

La réponse tient en partie dans ce qu’on appelle “l’architecture du choix”, un concept décrit par Richard Thaler et Cass Sunstein dans leur livre Nudge. L’architecture du choix vise à faire adopter aux consommateurs des comportement plus vertueux (plus sains, durables, ou que sais-je…) en leur présentant des options d’une certaine manière. Par exemple : à la cafétéria, cela consisterait à mettre en évidence des boissons bonnes pour la santé plutôt que des boissons sucrées. A travers l’architecture du choix, les gens sont “nudgés”, c’est-à-dire gentiment poussés dans la bonne direction.

Les entreprises à but lucratif utilisent évidemment ces techniques depuis des lustres, mais avec un intérêt commercial en tête. Les supermarchés placent par exemple les meilleurs produits (ou ceux sponsorisés) à la hauteur des yeux, afin que le consommateurs les voient en premier.

Lorsque nous “nudgeons” les gens en façonnant leur environnement, nos intentions sont bénignes : ce que nous cherchons à faire, c’est permettre aux consommateurs d’adopter le comportement qu’ils veulent avoir, et rendre plus difficile l’adoption de comportements indésirables.

Une des façons spécifiques de nudger est de changer l’option par défaut. L’option par défaut est ce que vous obtenez lorsque vous ne changez aucun paramètre. Lorsque vous remplissez un formulaire sur un site internet, une case pré-cochée vous invite souvent à “vous abonner à la newsletter”. Cette case peut être cochée par défaut, ou laissée vide par défaut. Si elle est cochée par défaut, les gens devront faire un effort pour la décocher. Ainsi, faire en sorte que la case soit cochée par défaut attirera davantage d’inscrits.

Prenons un exemple plus parlant. En ce qui concerne le don d’organe, dans beaucoup de pays, quand un individu meurt, ses organes ne vont pas être donnés aux gens qui pourraient en avoir besoin. C’est l’option par défaut. Donc si les gens veulent donner leurs organes après leur mort, ils doivent le signaler. Imaginez l’inverse : que le don d’organe soit l’option par défaut et qu’il faille signaler son éventuelle opposition. Dans ce cas, où les gouvernements supposent que la population est consentante, le taux de don d’organe est beaucoup plus élevé.

Maintenant, voici un exemple dans notre domaine. Le “Thursday Veggieday” (Jeudie Veggie) est une campagne d’EVA, l’association que j’ai fondée et pour laquelle je travaille. L’idée est assez proche du Meatless Monday, où l’on invite les gens à manger végétarien un jour par semaine. La ville de Gand, où je vis, a adhéré à cette campagne et a fait des repas végétariens l’option par défaut le jeudi dans 30 écoles publiques. Si les élèves veulent de la viande même ce jour là (ou si leurs parents insistent), ils doivent le signaler au préalable. Il en résulte qu’environ 94% des étudiants mangent végétarien le jeudi. L’option par défaut a été changée.

L’image de la campagne scolaire Thursday Veggieday lancée par EVA. Dans la bulle, il est écrit : “Super, on est Jeudi !”

Il y a beaucoup de situations et d’occasions où l’option végane par défaut pourrait être installée, ou du moins expérimentée. En fait, cette tactique pourrait être utilisée dès qu’une entreprise ou une institution sert des repas mais craint de retirer aux gens le “choix” de manger des produits d’origine animale. Les repas servis lors de séminaires ou conférences, par exemple, pourraient très bien être véganes par défaut. Lors de leur inscription, les participants pourraient avoir une option comme celle-ci :

“Les repas sont végétaliens. Cochez ici si vous ne voulez pas de repas végétalien.”

Le nudge invitant à faire le bon choix pourrait être accru en écrivant quelque chose comme “les repas sont végétaliens pour des raisons environnementales”.

Changer l’option par défaut de cette manière a un effet double. De façon directe, cela abaisse la consommation de produits d’origine animale. Plus indirectement, cela permet de montrer que le végétalisme n’est pas aussi anormal que ce que les gens pensent, et que manger de la viande n’est pas aussi normal que ce que l’on croit. Changer l’option par défaut, c’est ainsi contribuer à faire du véganisme la nouvelle norme.

Je pense que changer l’option par défaut est une stratégie vraiment prometteuse qui devrait être mise en oeuvre plus souvent. Elle pourrait être particulièrement utile lorsqu’il s’agit d’infléchir des politiques gouvernementales.

Pour aller plus loin :
Nudge, R. Thaler and C. Sunstein
La campagne Jeudi Veggie par EVA

Également publié ici: https://www.animalsace.org/faire-du-veganisme-la-nouvelle-norme-changer-loption-par-defaut/#.Wm741HlG3IV.

Employés d’abattoirs : les autres victimes de l’industrie de la viande

Kristina Mering est étudiante en maîtrise de sociologie à l’Université de Tallin (Estonie). Elle a interviewé des employés d’abattoirs sur leur rapport avec les animaux et leur travail. Cette série d’entretiens fut réalisée auprès de travailleurs du plus grand abattoir d’Estonie. Kristina a présenté son travail à Varsovie lors de la CARE Conference (Conférence sur le droit des animaux en Europe). Je l’ai interviewée après son discours.

VS : Qu’est-ce qui vous a poussé à faire cette étude ?
Kristina Mering : Ce projet d’étude faisait partie de ma licence en sociologie. Les employés d’abattoirs semblaient être un sujet de recherche intéressant, c’est pourquoi je l’ai choisi. Je voulais aussi comprendre comment ces personnes surmontent la nature violente de leur travail. A mes yeux, cela semblait être un bon moyen de comprendre la relation humain-animal sur un plan plus large.

Pouvez-vous décrire cet abattoir ? Est-il représentatif du secteur ?
C’est le plus gros et le plus moderne abattoir d’Estonie. Y sont tués vaches et cochons. 21 personnes travaillent sur le démembrement d’un cochon, et 37 sur celui d’une vache. La ligne débute par l’abattage et se termine par l’apposition de l’étiquette contenant les valeurs nutritionnelles. Les cochons sont mis dans des chambres à gaz avant d’être égorgés. Auparavant, ils recevaient un choc électrique le rendant inconscients avant l’égorgement, mais ne marchait pas toujours sur les plus gros d’entre eux qui devenaient alors davantage anxieux, alors ils ont changé de méthode. Les chambres à gaz restent de la tortue mais au moins les cochons ne sont pas égorgés alors qu’ils sont encore conscients. C’est un moindre mal.

Quelles sont les compétences demandées quand on postule pour un poste en abattoir ?
Il n’y en a pas vraiment. La procédure de recrutement est très simple : on montre une vidéo du processus d’abattage aux candidats. Ceux qui ne vomissent pas sont recrutés. Pour le reste, ils apprennent sur le tas.

Comment sont les conditions de travail ?
Le rythme est très soutenu. Environ trois cochons sont tués par minute. Les employés travaillent dans la chaleur et le froid, doivent faire des mouvements rapides et répétitifs et manier des couteaux très tranchants, causant des ampoules, des raideurs musculaires, et parfois des accidents. Tous étaient d’avis qu’ils étaient sous-payés pour le travail qu’ils faisaient.

Que pensent les employés d’abattoirs de la nature de leur travail ?
Cela n’était une vocation pour aucun des interviewés, qui se sont retrouvés là généralement par hasard. En gros, ils travaillent dans un abattoir car ils n’ont pas vraiment d’autres options. Le turnover (taux de renouvellement du personnel) est extrêmement élevé.

Comment gèrent-ils les “désagréments” de leur travail ?
Afin de pouvoir travailler, ils doivent bloquer toute émotion. Ils comprennent bien qu’ils ôtent la vie d’un animal, et ont donc besoin d’un puissant mécanisme de blocage pour ne pas y penser. La routine endort leurs émotions et leur permet de travailler sans penser à l’abattage. Une personne m’a répondue à propos de l’égorgement : “si nous nous mettions à y penser, ce ne serait pas le bon endroit pour travailler” [“if we would think about it, it would be the wrong place to work”]. Ils portent des écouteurs et mettent de la musique ou la radio. La conviction qu’il doit y avoir des abattoirs dans le monde et que quelqu’un doit bien tuer les animaux les aide également à faire face. Ils semblaient avoir besoin de justifier les abattoirs comme institution établie, et en conséquent leur rôle.

Ils ne pouvaient imaginer un monde sans abattoirs ?
Ils ne concevaient pas un monde végétarien. Quand je leur ai posé la question d’un monde sans abattoirs, ils étaient déroutés et se demandaient surtout qui tuerait alors les animaux d’élevage.

Quelle a été la chose la plus surprenante que vous ayez apprise ?
Qu’aucun de ces travailleurs n’arrivait à tuer des bébés veaux. Parfois une grange dans la région prend feu et le propriétaire cherche un moyen de se débarrasser des veaux, qui sont donc emmenés à l’abattoir. Le mécanisme de blocage habituel ne fonctionne cependant pas dans ce cas là. “Les veaux, c’est différent” m’a dit l’un des travailleurs, “je suis incapable de rester de marbre face à eux”. Les larmes d’un bébé veau touchent les travailleurs bien plus que les larmes de vaches adultes qu’ils voient quotidiennement. Ce qui m’a surpris, c’est qu’une fois, environ quinze veaux furent envoyés à l’abattoir lors d’une urgence, et les travailleurs furent incapables de les tuer. Ils ont dû renvoyer les veaux.

D’un côté, je trouve inhumain de demander à des gens de tuer tant d’animaux quotidiennement. D’un autre côté, ce serait peut-être encore pire si aucun humain n’était impliqué et que tout était géré par des machines…
Oui, si aucun humain n’était impliqué, cela créerait à n’en pas douter encore plus de distance entre l’acte de tuer un animal d’une part, et la production et consommation de viande d’autre part. Il y a de fait une forte tendance à automatiser la ligne de production, et je m’attends à ce que, dans un futur plus ou moins proche, il n’y ait plus que quelques personnes supervisant le processus. Dans cet abattoir en particulier par exemple, dix personnes étaient nécessaires juste pour écorcher une vache.

Comment s’est passée pour vous cette étude ?
J’ai complètement mis de côté mes émotions, d’une certaine manière comme le font les employés sur place. Lorsque j’ai observé la ligne d’abattage et vu les animaux être vidés de leur sang devant moi, j’ai essayé de rester aussi rationnelle que possible, et de tirer le maximum d’information que je pouvais de la situation. Je l’ai vue comme une opportunité. J’ai posé des questions lorsque les cochons étaient en train d’être tués. C’est seulement une fois dans le bus retour que j’ai pu respirer calmement et remarqué que mes jambes s’étaient mises à trembler. C’est à ce moment que j’ai pu redevenir moi-même et comprendre comment cela m’avait affecté. J’ai encore des bottes couvertes de tâches de sang.

Avez-vous trouvé cela possible, ou facile, de compatir avec les employés de l’abattoir ?
Je voulais rassembler des informations pour comprendre à quoi cela ressemble de faire de genre de métier. Cela m’a en quelque sorte persuadée que c’est incroyablement difficile et que leurs mains sont souvent liées. Ce qu’il est important de comprendre est qu’ils n’ont pas choisi ce travail volontairement. Bien évidemment, je ne m’identifie pas à ce qu’ils disent au sujet de tuer des animaux. Mais je n’ai pas besoin d’être d’accord avec leur vision des animaux pour comprendre que ce qu’ils vivent est aussi très difficile.

Que répondriez-vous à quelqu’un qui dirait que nous ne devrions pas éprouver de pitié pour ces gens car ce que subisse les animaux est bien pire ?
Le fait que ce que les animaux subissent est pire ne veut pas dire que nous ne devrions pas avoir de compassion pour les travailleurs eux-mêmes. Il ne s’agit pas là d’une compétition de qui souffre le plus, mais d’identifier les problèmes du système dans leur ensemble. Je pense que les conditions horribles des employés d’abattoirs peuvent aussi être un argument utile dans certains cas pour les personnes qui n’ont que faire de l’aspect “éthique animale”.

Qu’espérez-vous accomplir avec cette étude ?
Mon but était de jeter un coup d’œil à l’intérieur des abattoirs et montrer que les travailleurs ne devraient pas être catégorisés comme “mauvais” ou “méchants” (ce que j’entends parfois de la part de militants pour la cause animale). Le cœur du problème est le complexe animalo-industriel [“animal-industry complex” – pour en savoir plus sur ce terme, cliquez ici]. Ce système fondé sur l’exploitation animale a aussi des effets négatifs sur les travailleurs sensés garder ledit système en place.

Pour en savoir plus à ce sujet :

Également publié ici: http://www.la-carotte-masquee.com/employes-abattoirs/.

La fétichisation du véganisme

Plus je je fréquente le milieu végane et plus j’ai l’impression que la plupart d’entre nous pratiquons une sorte de fétichisation du véganisme, croyant que manger 100% végétalien est la chose la plus importante que l’on puisse faire, que ce soit dans la vie en général ou pour les animaux. Il semble que beaucoup de véganes, consciemment ou non, croient en quelque chose qui ressemble à ça :

Un végane ne peut rien faire de mal,
un non-végane ne peut rien faire de bien,
et un végane est toujours meilleurs qu’un non-végane.

Mais évidemment, quand vous y réfléchissez, ce que vous mettez dans votre bouche est d’une importance relativement mineure par rapport à d’autres choses. Je ne parle pas d’enfants mourant de faim en Afrique ou ailleurs – n’ayons pas ce débat. Je parle de choses dans le cadre du mouvement animaliste / végane.

Premièrement, n’importe qui peut avoir un gros impact sur les personnes autour de soi, par sa communication, son comportement, son propre exemple, sa cuisine. Cet impact est bien plus important, parce que potentiellement beaucoup plus grand, que ce qu’on mange soi-même. Personnellement, quand je pense que j’aurai un plus grand impact en faisant une exception à mon régime végétalien, je le fais. (Malheureusement j’ai des limites, je suis très facilement rebuté et dégoûté, donc ça ne vaut que pour les microbouts de produits animaux).


Deuxièmement, il n’y a pas que la communication, mais il y a aussi ce qu’on fait de son temps et de son argent. Certains non-véganes peuvent donner beaucoup d’argent à des causes liées aux droits des animaux, ou peuvent y consacrer beaucoup de temps. Et bien sûr, ils peuvent investir du temps et de l’argent dans d’autres causes que les droits des animaux. Vous pouvez leur reprocher de ne pas être véganes si vous le voulez, mais vous devez comprendre que leur impact pourrait être bien plus grand que le vôtre.

Alors oui, soyons véganes (comme je le suis depuis 17 ans), mais ne fétichisons pas notre consommation personnelle au prix de l’attention que nous pourrions porter à des choses qui on un impact beaucoup, beaucoup plus important sur les animaux.

Alors bien sûr, ce n’est pas soit l’un soit l’autre. Nous pouvons être des consommateurs véganes tout en ayant plein d’autres actions utiles. Mais en pratique, comme nous le savons tous, beaucoup d’énergie – beaucoup trop – se concentre sur la consommation personnelle. Nous nous inquiétons de micro-ingrédients tels que les additifs E-xxx, et nous perdons de vue la situation dans son ensemble. Nous nous concentrons sur ces choses pour “tenir la ligne”, pour nous protéger et protéger notre mouvement contre le grand et terrible cauchemar du “lent glissement en arrière” et de l’édulcoration du véganisme. Mais ce terrible cauchemar est une fiction. Il ne devrait pas nous concerner en ce moment. Si jamais nous arrivons à faire que les gens abandonnent la viande, les produits laitiers et les œufs (et nous y arriverons), je suis sûr que nous serons aussi en mesure de peaufiner avec les additifs E-xxx, le miel et autres petits produits animaux de notre système alimentaire.

Concentrons-nous sur ce qui est vraiment important. Mettons la plus grande partie de notre énergie là où nous pouvons réduire le plus de souffrance.

Également publié ici: https://questionsdecomposent.wordpress.com/2018/01/26/la-fetichisation-du-veganisme/.

T’es Pas Ton Public (TPTP) – Vous n’êtes pas votre interlocuteur

Dans une grande partie de mes écrits, posts et mèmes, je suggère d’y “aller doucement“ lorsque nous abordons d’autres personnes sur le sujet des droits des animaux, devenir végans, etc. Nous ne devrions pas les surcharger d’informations, nous devrions vérifier ce qui les intéresse, etc..

Beaucoup de gens semblent comprendre cela, mais souvent (comme l’autre jour) j’ai ce genre de réactions:

Ah, alors nous devons leur donner des bonbons et les masser pour qu’ils puissent entendre raison? Y’a pas moyen, je vais continuer à leur dire bien clairement ce qu’ils doivent savoir, peu importe à quel point ils ne veulent rien entendre.

C’est assez ironique que cette personne parle de “ce qu’ils doivent savoir”, alors qu’elle semble parler davantage de “ce qu’elle veut dire”. J’appellerais ça de la “communication égocentrique”.

Pense-t-on que continuer à déblatérer devant des gens qui (littéralement ou au figuré) se couvrent les oreilles, va aider? Peut-être que parfois quelque chose passe. Mais il y a des chances que même dans le meilleur des cas, nous gaspillons notre souffle et notre temps précieux parce que la personne ne nous écoute tout simplement pas. Dans le pire des cas, notre communication (trop) franche et (trop) directe est en fait contre-productive.

Nous avons besoin d’une communication plus centrée sur notre public. “Ce qu’ils doivent entendre“ n’est pas aussi important que “ce qu’ils sont ouverts à entendre“. J’appelle ce principe TPTP, ou T’es Pas Ton Public. Vous n’êtes pas identique aux personnes que vous souhaitez convaincre. Comme un vendeur de voitures, vous devez adapter votre message à ce que vous pensez que les gens aiment, à quoi ils s’intéressent, à quoi ils sont ouverts et ce qu’ils sont prêts à entendre.

“Leur dire ce qu’ils doivent savoir“ équivaut au vendeur de voitures qui parle sans cesse de la puissance ou des détails techniques d’une voiture (parce que c’est ce qui le fascine) à un jeune parent qui s’intéresse uniquement à la sécurité du transport.

“Leur dire ce qu’ils doivent savoir“ peut sembler noble et courageux et juste, mais ce n’est pas nécessairement ce qui aide les animaux.

La question est le besoin de votre interlocuteur. Pas le vôtre.

Également publié ici: https://questionsdecomposent.wordpress.com/2017/12/11/tes-pas-ton-public-tptp/.

Comment véganiser les gens?

Beaucoup de véganes recherchent le moyen idéal pour rendre d’autres personnes véganes. Souvent, ils ciblent de bons amis, la famille, ou même leurs conjoints. Et souvent ils deviennent assez frustrés en constatant que leurs tentatives pour faire abandonner les produits animaux ne résultent sur aucun changement significatif. Vous trouverez ci-dessous quelques-unes de mes réflexions et conseils à ce sujet.

Tout d’abord, notez que je n’aime pas penser en termes de « convaincre » ou de « convertir » les autres. Ce genre de langage est, je pense, contre-productif. Ce n’est pas bon pour les gens d’entendre que nous voulons les convertir ou les convaincre (les gens résistent beaucoup à l’idée d’être convaincus de quelque chose par quelqu’un – voir ci-dessous). C’est pourquoi il est préférable de ne pas penser nos efforts en ces termes. En fin de compte, nous ne pouvons pas réellement faire faire quelque chose à qui que ce soit. Mais nous pouvons les influencer dans le bon sens et les aider à ouvrir leurs cœurs et leurs esprits.

Le terme influencer peut aussi apporter une connotation de manipulation ou de coercition, mais en fait influencer est une chose très usuelle, que personne ne peut éviter de faire. N’importe quel humain influence constamment les autres humains, implicitement ou explicitement, dans un sens positif ou négatif. Nous ne devrions pas avoir honte ou hésiter à essayer d’influencer les gens dans une direction positive, en supposant que ce soit fait avec intégrité, transparence et de bonnes intentions.

Donc, voici quelques suggestions pour influencer efficacement d’autres personnes à se tourner vers le véganisme ou un mode de consommation plus végétal.

influencing

UN: Demandez-vous si cela en vaut la peine
Certaines personnes ne deviendront jamais véganes de leur vie, ou du moins cela demanderait beaucoup de temps et d’énergie. Il est possible que ce temps et cette énergie soient mieux dépensés ailleurs. Plus globalement, nous pouvons nous demander si dépenser beaucoup de ressources sur les interactions individuelles est intéressant: nous pouvons aussi orienter nos efforts vers un changement institutionnel, en nous tournant vers les écoles, les entreprises ou les élus locaux. En général, agir sur les institutions sera potentiellement bien plus rentable que de viser un changement individuel. Bien sûr, certains individus peuvent être très influents s’ils sont en situation de pouvoir décider de changements dans l’organisation pour laquelle ils travaillent. Si votre mère est PDG d’une grande entreprise, il est plus intéressant d’essayer de l’influencer que si elle travaille à son propre compte et n’a pas un grand impact sur les autres. Donc, si vous le pouvez, investissez votre temps dans des personnes qui sont des multiplicateurs d’impact.

DEUX: Pensez et mettez-vous à leur place
N’utilisez pas une approche passe partout, mais adaptez votre approche à la (ou les) personne en face de vous. Essayez d’imaginer ce que ça fait d’être à leur place. Essayez de savoir ce qu’ils apprécient et ce qui pourrait les aider à changer leur cœur et leur esprit. Est-ce une discussion philosophique? Est-ce un bon repas? Est-ce juste une bonne conversation? Ont-ils peur d’être en mauvaise santé? Ont-ils des allergies et ont-ils besoin d’une solution pratique? Ont-ils besoin qu’on leur montre qu’il existe de nombreuses alternatives végétales satisfaisantes et que manger végétalien n’est pas difficile?

TROIS: Informez et aidez
Lorsque les véganes considèrent les moyens à leur disposition, ils pensent avant tout aux arguments moraux, que ce soit sous la forme d’un discours, d’une vidéo youtube, d’une brochure ou d’un documentaire. Vous pouvez utiliser tout cela, et ça pourrait être très utile. Mais réalisez qu’il existe plein d’autres outils à notre disposition, sous des formes bien plus variées. Nous pouvons non seulement utiliser des arguments éthiques (ce qui arrive aux animaux…) mais aussi d’autres arguments (l’environnement, la santé, etc.). Nous pouvons aussi tout à fait nous passer d’arguments et donner une bonne expérience gustative. Nous pouvons donner des informations théoriques (combien d’arbres sont coupés pour la viande) ou pratiques (où trouver un bon restaurant). Et si vous avez la capacité de faciliter les choses pour la personne que vous voulez influencer en cuisinant ou en lui achetant des aliments test, alors faites-le.
Dans tous les cas, évitez la surcharge d’informations. Il est tentant de donner toujours plus d’informations, en espérant que ce prochain texte, citation, vidéo ou photo sera la dernière touche pour les faire basculer. Si les gens en demandent toujours plus, donnez-leur ce qu’ils veulent. Mais la plupart des gens ne le font pas. Ne supposez pas qu’une ouverture initiale ou une demande d’information signifie que tout est bienvenu, et qu’ils ne vont pas en avoir marre au bout d’un moment. S’ils vous voient comme la personne qui, chaque fois qu’ils sont dans le coin, ne parle que d’une seule chose et ne la met jamais en veilleuse, ils finiront juste par vous éviter.

QUATRE: Demandez – mais ne demandez pas tout ou rien
Il est toujours bon de proposer aux gens un objectif concret. Ne présentez cependant pas cet objectif comme quelque chose qu’ils doivent faire (pour des raisons éthiques ou autres), mais comme quelque chose qu’il est bon de faire. Et, sachez que cet objectif ne doit pas forcément être le véganisme. Bien qu’elles ne soient peut-être pas prêtes à devenir véganes, de nombreuses personnes peuvent être disposées à passer quelques étapes vers cet objectif. Elles peuvent vouloir participer à un défi veggie ou veggie challenge. Ou elles peuvent même être disposées à aller plus loin, comme ne pas manger de produits animaux au cours de la semaine par exemple. Acceptez et valorisez ces étapes, parce que 1) elles aident à réduire la souffrance en elles-mêmes, et 2) elles peuvent être des étapes vers davantage d’engagement. Une fois le seuil initial franchi, les choses deviennent beaucoup plus faciles. En outre, il est important de réaliser que nous ne pouvons pas exiger que tout le monde devienne végane à ce stade, et que si seulement nous avions suffisamment de gens qui réduisent sérieusement leur consommation de produits animaux, le monde végane serait à portée immédiate. Tout est une question de masse critique et d’atteinte du point de basculement.

CINQ: Retirez-vous et soyez patient
Une fois que vous avez donné suffisamment d’informations – aussi personnalisées que possible – il est temps de reculer et d’être patient. La patience signifie que vous devrez peut-être attendre des mois, voire des années. Vous pensez peut-être que vous ou les animaux ne pouvez pas vous permettre des années, mais c’est comme ça que ça se passe. Voici une hypothèse sur la raison pour laquelle il est important de reculer et d’être patient :
La plupart des gens sont comme des adolescents: ils ne veulent pas être convaincus de choses importantes par d’autres, mais veulent arriver par eux même à leurs propres conclusions. Ils ne veulent pas non plus donner l’impression d’avoir été convaincus par vous. Particulièrement dans les situations où il y a une sorte de compétition (amicale) entre les gens (comme avec les frères et sœurs, par exemple) ou où les gens sont têtus, il est important de donner aux gens une chance de changer sans que vous apparaissiez comme la personne qui les a changé. Les gens pourraient ne pas changer parce qu’ils ne veulent pas paraître influençables. Comment pouvons-nous l’éviter alors? Si nous continuons à parler et à essayer de les convaincre, ils n’ont pas d’espace pour « se convertir » sans apparaître comme ayant été convertis. Si au contraire nous reculons et nous laissons tomber, il y a des chances qu’après quelques mois ils se sentent confiants qu’un changement soit (ou apparaisse comme) le résultat de leur propre pensée indépendante, plutôt que de votre influence.

À ce stade, le prosélytisme n’est plus nécessaire, mais il est utile que vous soyez un exemple de végane sympa, amical, patient, et attentionné. Quelqu’un, en d’autres termes, dont les gens veulent suivre l’exemple. Soyez sûr qu’à ce stade, les gens ont l’information nécessaire. Vous pouvez donner un coup de pouce et d’influence ici et là, mais dans l’ensemble, laissez de l’espace aux gens pour qu’ils changent.

Vous avez vos propres solutions éprouvées pour influencer les gens? Partagez les en commentaires.

Plus d’infos sur l’art d’influencer les gens dans mon livre How to Create a Vegan World.

Également publié ici: https://questionsdecomposent.wordpress.com/2018/01/18/comment-veganiser-dautres-gens/.

Dix astuces pour facilement rendre hostile un mangeur de viande

Si vous souhaitez avoir un club végane plutôt qu’un monde végane, il est étonnamment facile de s’assurer que les gens ne rejoignent pas le club. Voici quelques façons de se comporter avec les mangeurs de viande de manière à s’assurer qu’ils ne soient pas tentés de faire le moindre pas vers le véganisme.

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1. Présentez la solution comme une approche “tout ou rien”. Les gens doivent se rendre compte que soit ils font partie de notre club, soit il n’en font pas partie.

2. S’ils sont flexitariens, dites-leur que cela équivaut à un meurtrier qui tuerait moins de gens. Même s’ils sont végétariens, vous pouvez leur dire qu’ils ne font absolument rien de bon pour les animaux.

3. S’ils disent qu’ils aiment les animaux mais mangent de la viande, plutôt que d’intégrer ça dans votre approche, traitez les simplement d’hypocrites. Rejet instantané garanti!

4. Supposez que la façon dont vous avez changé est la façon dont tout le monde va et devrait changer. Après tout, nous sommes tous pareils, n’est-ce pas?

5. Parlez aux gens des centaines d’additifs, de composés type E120, d’arômes… qui abondent dans nos aliments et de combien il est important de les éviter.

6. Quand ils semblent faire un pas dans notre direction, assurez-vous de dire à temps aux gens que leur nourriture devrait aussi être bio, locale, de saison, équitable, saine, sans sucre et sans huile de palme.

7. Lorsque vous pensez avoir repéré un autre végane, assurez-vous qu’il a les bonnes motivations (c’est-à-dire vos motivations). Dites-lui qu’il n’est pas vraiment végane s’il ne le fait pas dans l’optique d’une révolution abolitionniste.

8. Expliquez qu’il n’existe pas de végane à 99 pour cent et que toute exception à la règle constitue une violation des droits des animaux.

9. Assurez-vous d’interroger les serveurs sur les moindres détails, surtout quand il y a beaucoup de gens qui écoutent. C’est votre chance de provoquer le rejet du véganisme chez beaucoup de gens à la fois!

10. Enfin et surtout, assurez-vous que les non-véganes n’utilisent jamais le mot en V quand ce n’est pas approprié! C’est notre mot, et aucun végémou ne devrait pouvoir se l’approprier!

Vous voyez, c’est très facile de s’assurer que le véganisme reste un club privé!

Également publié ici: https://questionsdecomposent.wordpress.com/2017/12/11/dix-astuces-pour-facilement-rendre-hostile-un-mangeur-de-viande/.