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La capacité que nous avons de pouvoir changer d’opinion est une chose merveilleuse. Certes, il arrive que les opinions soient changées trop facilement : on peut être sous l’emprise de dictateurs, de gourous ou de spécialistes du marketing et croire tout ce que ces gens nous disent, sans pensée critique. Mais pour beaucoup d’autres personnes, changer d’avis est beaucoup plus dur, en particulier lorsqu’il s’agit de croyances profondément ancrées et tenues en haute estime. Celles-ci peuvent être d’ordre moral (savoir s’il est acceptable de manger de la viande, de faire des OGM, de dépenser tant d’argent pour aller sur d’autres planètes…), ou être factuelles (savoir si manger de la viande est bon pour la santé, s’il y a de la vie sur les autres planètes…).
J’aime quand les gens, après qu’ils ont examiné une question ou un problème, disent subitement qu’ils ont changé d’opinion et ont à présent un point de vue totalement différent, parfois diamétralement opposé. Dans cet article, je voudrais expliquer pourquoi, selon moi, ce genre de scénario est en fait rare. Je traiterai de trois questions relatives au changement de ses propres opinions, et des opinions d’autrui :
- changer d’avis concernant quelque chose est difficile,
- nous n’aimons pas quand quelqu’un d’autre nous fait changer d’avis,
- nous n’aimons pas admettre que nous avons changé d’avis, et surtout pas que c’est quelqu’un d’autre qui nous a fait changer d’avis.

Changer d’avis concernant quelque chose est difficile
Pourquoi donc ? En substance, nous aimons quand les opinions et les idées que nous avons déjà sont confirmées. Nous voulons justifier ce que nous pensons déjà, et nous n’aimons pas les informations qui viennent contredire ce que nous pensons. Par conséquent, nous serons beaucoup plus réceptifs à ne serait-ce que remarquer les informations qui confirment nos idées ou opinions (on appelle ce phénomène « biais de confirmation »). Pour dire les choses simplement, si vous pensez A plutôt que B, vous serez plus enclin à rechercher et à trouver des choses qui confirment A. Il va sans dire que ce biais de confirmation rend le fait que vous changiez d’avis beaucoup plus difficile. Faites-donc l’expérience : quelles sont les chances (en tant que végétarien ou végétalien) que vous lisiez (et preniez au sérieux) un article titré « trois arguments contre le végétalisme » ? Peut-être direz-vous que vous ne le lirez pas parce que vous en connaissez déjà le contenu et que dans le cas du végétalisme, il n’y a aucun bon argument contre. Mais cela viendrait justement prouver votre biais de confirmation, j’en ai bien peur.
Faire changer quelqu’un d’avis sur le bien-fondé de la consommation de produits d’origine animale est particulièrement compliqué, parce que c’est un problème ayant des conséquences concrètes dans la réalité (ce n’est pas le cas de toutes les problématiques : nous pouvons par exemple ne jamais être confronté à la question de l’avortement). Supposez que nous soyons des omnivores, aboutissant de manière soudaine à la conclusion qu’il est mal de manger des animaux (c’est-à-dire que nous venons juste de changer d’opinion). Nous expérimentons alors soudainement le fait que notre comportement et nos opinions ne concordent pas. La tension que nous ressentons de ce fait s’appelle dissonance cognitive, et la théorie de la dissonance cognitive prétend que nous allons essayer de résoudre cette « dissonance » (ce n’est pas une expérience agréable). Cela peut être fait de deux manières : 1) nous nous mettons en accord avec ce que nous pensons à présent (et devenons végétaliens), 2) ou nous ne voulons pas devenir végétaliens (nous aimons la viande) et adaptons nos croyances pour qu’elles correspondent à notre comportement. Nous disons des choses du genre : « manger des produits d’origine animale n’est pas si terrible », « les animaux sont élevés pour cela », « la viande que je mange provient d’animaux qui n’ont pas souffert »… Les gens qui ne veulent pas devenir végétaliens feront de leur mieux pour ignorer toutes les informations pro-végé. Ainsi, ils pourront n’avoir à changer ni ce qu’ils pensent, ni leur comportement. Par conséquent, une autre réponse à la question de savoir pourquoi changer d’avis est si difficile est : nous avons souvent un intérêt nous poussant à ne pas le faire.
Permettez-moi de suggérer une solution à ce dilemme : nous devons faire en sorte que changer d’avis soit facile, en s’assurant que les conséquences négatives d’un tel changement soient aussi bénignes que possibles (cf. mon intervention sur le thème « faciliter la compassion »). En d’autres termes, nous devons permettre aux gens de bénéficier partout, à des prix attractifs, d’alternatives aux produis d’origine animale.
Nous n’aimons pas quand quelqu’un d’autre nous fait changer d’avis
Nous aimons tous nous considérer comme des individus adultes et mûrs capables de nous faire notre propre opinion sur les choses. Nous n’aimons pas quand quelqu’un nous dit comment penser, et nous apprécions notre autonomie (réelle ou telle que nous la percevons). Je me souviens d’une fois où j’étais dans une librairie avec un ami : j’avais montré du doigt un livre que je pensais qu’il devrait lire. Il l’a pris, et quand il a lu sur la couverture « ce livre peut changer votre vie », il l’a reposé en grognant : « je changerai ma vie moi-même, merci ».
Le philosophe français Blaise Pascal écrivait déjà il y a 350 ans que l’on « se persuade mieux, pour l’ordinaire, par les raisons qu’on a soi-même trouvées, que celles qui sont venues dans l’esprit des autres ». Vous avez sans déjà vécu cette situation où, en essayant d’influencer ou de convaincre quelqu’un de quelque chose que l’on croit, on voit son interlocuteur s’entêter davantage et la distance entre vous s’agrandir.
Notre tâche doit alors être d’aider les gens à découvrir les arguments propices à leur faire changer d’opinion par eux-mêmes, plutôt que de leur proposer ces arguments (et de leur dire que leurs opinions et arguments sont faux). Une façon de faire cela est de leur poser principalement des questions, comme le pratique la maïeutique. Socrate (que l’on dit être à l’origine de cette méthode) ne donnait pas, à ce que raconte Platon, sa propre opinion à ses interlocuteurs lors des débats, mais les faisaient réfléchir à leurs propres arguments, leurs doutes, leurs hypothèses, en leur posant des questions. Quand quelqu’un défend la consommation de viande en disant que c’est ce que font les prédateurs dans la nature, plutôt que leur dire que ces prédateurs n’ont ni mécanismes mentaux idoines ni végé-burgers à proximité pour les aider à se comporter différemment, nous pourrions leur demander quelque chose de ce genre-là : « à cet égard, voyez-vous des différences entre un lion et un humain ? ».
Nous n’aimons pas admettre que nous avons changé d’avis
J’ai commencé cet article en disant que j’admirais le fait que les gens puissent changer d’opinion. J’admire également quand ils sont capables de le reconnaître publiquement. Cependant, cela est très difficile à faire pour la plupart des gens. Nous croyons qu’admettre avoir changé d’avis, c’est comme admettre avoir fait une faute, et que cela nous fait paraître faibles ou idiots par exemple. C’est une question d’auto-préservation, pour sauver la face.
Entendez-vous souvent un personnage public, un homme politique par exemple, dire qu’il a changé d’avis ? Ils ont une bonne raison d’éviter de dire cela, parce que le public a tendance à considérer que les politiciens qui changent d’avis sont des gens mous, avec des opinions molles, des opinions instables (si cette personne change d’avis sur ce point aujourd’hui, ne va-t-elle pas faire de même demain, sur ça ou autre chose ?). Nous attendons des gens tels que les hommes politiques qu’ils soient bien informés dès le départ, et qu’ils ne changent jamais de cap quand ils en ont choisi un (bien que nous soyons bien sûr heureux qu’ils changent de cap si c’est dans un sens qui nous est favorable). Par conséquent, les gens s’accrocheront à leur opinion, même longtemps après avoir compris qu’elle n’était pas bonne. Cela est vrai, autant pour les politiciens que pour les différends pouvant avoir lieu dans notre propre vie.
Exemple de solution : étant donné qu’il est dur pour les gens d’admettre qu’ils ont changé d’avis, on peut essayer de faire en sorte qu’ils n’aient pas à l’admettre. Je veux dire que si l’on veut que quelqu’un change d’opinion, et passe de x à y, il vaut mieux essayer de ne pas trop lui faire défendre x. Dès que nous initions un débat avec une personne au sujet de x ou de y, et que cette personne défend x, il devient plus difficile pour elle de choisir ultérieurement y. D’autant plus si nous nous présentons comme les champions de la cause du y : il lui devient alors encore plus difficile de changer, car y sera associé à quelqu’un d’autre. Ce sera l’opinion de quelqu’un d’autre, qu’ils auront copiée (la deuxième question exposée plus haut). On appelle ça la polarisation : deux parties ayant des points de vue différents, qui s’opposent encore un peu plus et qui s’entêtent. Plus une partie défend son point de vue, plus il sera difficile pour elle de changer d’avis. Je pense que cette dynamique sera encore plus flagrante lorsque les gens en question sont déjà en compétition par ailleurs (frères et sœurs, colocataires, conjoints… débattant beaucoup).
Au fond, notre interlocuteur doit pouvoir se dire qu’une fois qu’il aura changé d’avis, nous ne serons pas là pour les agacer avec des choses du genre : « tu vois ! Tu vois que tu avais tort avant ! » ou « ha, tu m’as enfin écouté (et permis de t’influencer) !». Assurez-vous que votre interlocuteur ne perde pas la face. Assurez-vous qu’il n’ait pas à admettre sa défaite, parce que ce n’était de toute façon pas un combat. Cela signifie ne pas présenter un problème comme un conflit entre arguments, entre deux positions opposées l’une à l’autre. Montrez que tout n’est pas soit noir soit blanc, que votre interlocuteur partage déjà une partie de vos opinions et que vous partagez déjà une partie des siennes. Ainsi, une fois que l’une des parties change d’avis, cela n’apparaîtra pas comme un changement de camp (qui pourrait lui faire perdre la face), mais comme le fait qu’il a intégré certains de vos arguments et voit maintenant les choses différemment.
Un autre élément pouvant éviter à quelqu’un qui change d’avis de perdre la face est l’existence d’un autre facteur (différent de vous) auquel la personne peut attribuer ce changement. Les gens peuvent être réticents à changer tant qu’ils ont peur de devoir reconnaître votre influence sur eux, mais le feront sans doute plus volontiers s’ils peuvent attribuer ce changement à autre chose, par exemple une évolution de leur état de santé (le médecin leur a dit quelque chose), ou parce qu’il y a à présent un magasin bio à côté de chez eux, ou parce qu’ils ont découverts qu’ils étaient intolérants au lactose… Tous ces éléments, et bien plus, sont des facteurs offrant de bonnes raisons, ou des excuses (ça n’a pas d’importance) pour changer d’avis. Si vous découvrez qu’une raison de ce genre existe, n’hésitez surtout pas à laisser votre interlocuteur l’utiliser et n’insistez pas sur *votre* rôle déterminant dans ce changement.
Bien sûr, la capacité et la disposition à changer d’avis varient énormément d’une personne à l’autre. Certaines peuvent être extrêmement têtues. Certaines peuvent changer facilement d’avis concernant certains domaines et pas d’autres. Certaines peuvent changer d’opinion facilement sur tout. Ces gens sont très rationnels, ou ont beaucoup de maturité, ou les deux. Les gens rationnels croiront tout ce qui leur paraît vrai. Ils ont dans une large mesure conscience de leurs préjugés potentiels, et ils savent que ce n’est pas parce que c’est *vous* qui leur avez donné des arguments qu’ils ne sont pas vrais et qu’ils ne méritent pas un examen attentif. La maturité les aide à reconnaître votre influence sans qu’ils se sentent pour autant humiliés ou inférieurs. Les gens qui font preuve de maturité n’ont pas peur de paraître faibles.
En général, on peut considérer que pour les grandes questions comme la consommation de viande, changer d’avis et changer les esprits, ce n’est pas facile. Cependant, c’est possible. Je pense que notre rôle est, idéalement, un peu celui d’un coach qui aide à faire émerger les arguments et les idées que les autres ont déjà, plutôt que de leur dire comment penser.
Également publié ici : http://blog.animaveg.be/2016/10/27/pourquoi_changer_les-nos_esprits_est_si_complique/.