Une raison du rejet des personnes aux comportements éthiques : personne n’aime se sentir immorale

Pour beaucoup de végétariennes* et de véganes, c’est un mystère : nous faisons de notre mieux pour être attentionnées et compatissantes envers toute vie sensible et, par conséquent, choisissons de boycotter les produits animaux. N’est-ce pas quelque chose de louable? Mais alors pourquoi tant de gens se moquent, critiquent ou même attaquent les véganes et le véganisme?

Bien sûr, parfois on peut être un peu embêtantes. Nous pouvons ennuyer les mangeuses de viande en les faisant attendre pendant que nous inspectons les étiquettes, ou en mettant un veto à leur choix de restaurant en soirée. Mais cela n’explique pas vraiment l’hostilité et le ridicule que nous pouvons parfois rencontrer.

Ce qui se passe alors est en partie expliqué par le phénomène appelé dépréciation de la bienfaitrice (do-gooder derogation), soit le dénigrement des personnes motivées par l’éthique ou l’altruisme.

Vous l’avez peut-être expérimenté vous-même en tant que végétarienne ou végane : sans même avoir rien dit du tout, les mangeurs de viande de la table peuvent se mettre en défensive en se moquant de vous et de votre « régime ».

Pourquoi cette dépréciation de la bienfaitrice existe-t-elle ? Le problème est que les gens ont souvent l’impression que votre comportement (c’est-à-dire votre alimentation ou votre véganisme) est une condamnation implicite du leur (la consommation viande). La bonne conduite éthique semble souvent s’accompagner d’un reproche moral implicite envers les autres.

D’après les chercheurs qui ont étudié la dépréciation de la bienfaitrice, « le reproche moral, même implicite, pique la sensibilité car les gens sont particulièrement sensibles à la critique de leur position morale (…). En raison de ce souci de conserver une identité morale, les minorités éthiquement motivées peuvent être particulièrement dérangeantes pour le courant dominant et déclencher du ressentiment ». La réponse à cette menace à notre identité morale consiste donc à rabaisser la source de la menace (Minson et Morin).

Le fait de simplement penser à la façon dont les végétariennes pourraient concevoir la moralité des non-végétariennes peut déclencher cet effet de dépréciation. Lorsque les mangeuses de viande anticipent un reproche moral de la part des végétariennes – c’est-à-dire quand les mangeuses de viande pensent que les végétariennes les condamneraient moralement – elles tendront à augmenter leur dépréciation.

A partir de là, le plus gros problème qui devrait nous intéresser ici n’est pas que les consommatrices éthiques (dans notre cas, les véganes) soient offensées, ridiculisées ou maltraitées, mais que les personnes qui les dénigrent s’en retrouvent elles-mêmes moins attachées aux valeurs éthiques dans le futur. En d’autres termes, la comparaison négative ne choque pas seulement les véganes mais empêche aussi les mangeuses de viande – par une sorte d’autoprotection – de se tourner elles-mêmes vers le véganisme (Zane).

Donc, pour résumer, voici ce qui peut arriver (dans le pire des cas) :

Ceci est évidemment problématique pour la propagation des valeurs et du comportement végane. Voici donc mes suggestions pour éviter que les non-véganes se sentent moralement agressées, déprécient les végétariennes et véganes et se détournent de nous et de notre message.

  1. Ne pas insister. Si les gens se sentent souvent déjà coupables, et que ressentir un reproche moral les détourne de nous et de notre message, n’ajoutez pas à leur sentiment de reproche moral ou de culpabilité par une culpabilisation volontaire. Cela n’aidera pas (même si parfois ça peut être satisfaisant ou amusant vu de notre côté).
  2. N’utilisez pas seulement des messages et des arguments moraux. Ceux-ci peuvent être problématiques dans le sens où ils provoquent plus de dépréciation de la bienfaitrice que les messages non moraux. Les non-véganes se sentent moins menacées par les personnes qui suivent un régime végétal pour des raisons de santé que par les véganes éthiques. Cela ne signifie pas que vous devriez arrêter d’utiliser des arguments éthiques; juste que parler de santé (ou de goût) peut être stratégique et productif.
  3. Parlez de vos propres imperfections. Nous pouvons parler de choses que nous faisons alors que nous savons que nous ne devrions pas les faire. Peut-être exposer le fait que nous n’ayons pas changé du jour au lendemain et avons eu nous aussi besoin d’être convaincues. Ou nous pouvons parler d’autres domaines dans lesquels nous faisons moins bien. Il est important de montrer aux autres que nous ne sommes pas différentes d’elles, que nous ne sommes pas d’une espèce alien avec un niveau de moralité ou de discipline qu’elles ne pourraient jamais atteindre.
  4. Il peut aussi être utile d’expliciter la distinction entre l’acte et la personne. Choisir de ne pas manger de produits d’origine animale est un choix moralement meilleur, mais cela ne signifie pas que les personnes qui mangent encore des produits d’origine animale sont nécessairement de mauvaises personnes.

Plutôt que d’ajouter à la dépréciation, au rejet et au sentiment d’impuissance, nous pouvons faire notre part en créant des liens et des rapports aux autres.

(Lisez bien plus à propos de la communication efficace dans mon nouveau livre Comment créer un Monde Végane).

Également publié ici : https://questionsdecomposent.wordpress.com/2018/02/17/une-raison-du-rejet-des-personnes-aux-comportements-ethiques-personne-naime-se-sentir-immoral/.

L’utilisation à outrance du terme « spécisme »

La plupart d’entre nous sont attirés par le terme antispécisme, je suppose. C’est un concept qui paraît à la fois si raffiné et si puissant. Lorsqu’il est utilisé correctement et intelligemment, c’est un argument sensé et qui fait mouche, particulièrement lors de conversations avec des personnes à la mentalité progressiste. Ces dernières reconnaissent que vous n’avez pas tort, elles reconnaissent également l’analogie avec le racisme, etc.

Le spécisme, qu’est-ce c’est ? Il s’agit d’une discrimination uniquement basée sur l’espèce, tout comme le racisme est une discrimination uniquement basée sur la « race ».  Je me souviens avoir lu, dans le livre Created from Animals de James Rachels il me semble, l’illustration ou l’explication suivante du spécisme. Lorsque l’on teste des cosmétiques sur les yeux de lapins, il faut se demander : pourquoi ne le fait-on pas sur des humains ? On commencerait par répondre : on ne le fait pas sur des humains parce que ça leur ferait mal aux yeux. Question suivante : n’est-ce pas la même chose pour les lapins ? Si la réponse est non (si les lapins vivent la même expérience désagréable), alors nous sommes spécistes si l’on teste sur des lapins mais pas sur des humains. L’on se base ici uniquement sur l’espèce pour établir une différence, et ce n’est pas bien. Si, d’un autre côté, l’on pouvait répondre quelque chose comme : parce que les lapins ne ressentent pas la douleur au niveau des yeux (ce qui n’est pas vrai), nos actions ne seraient alors pas spécistes, mais inspirées par un critère moralement justifiable.

Comme je l’ai dit, je pense que c’est un bon argument. Je l’utilise ainsi dans mes discussions : « Si vous faites cela aux animaux mais pas à des humains, alors vous devez me donner une raison moralement justifiable ».

Je ne crois pas qu’il existe beaucoup de bons arguments contre l’antispécisme. Certaines personnes suggèrent que celles qui luttent contre le spécisme ont une plus grande moralité, disposent d’une âme ou que sais-je encore, mais je ne suis vraiment pas convaincu.

Mais voilà, c’est justement parce que l’antispécisme est un concept si raffiné que nous avons tendance à l’utiliser dans toutes les circonstances, et c’est là, à mon humble avis, que nous faisons peut-être erreur. Je parle ici, entre autres, des différents contextes dans lesquels nous choisissons, au sein du mouvement de défense des droits des animaux, d’utiliser l’argument du spécisme à des fins de communication.

Je l’entends des milliers des fois et, à chaque fois, je soupire intérieurement de frustration. Cet argument est toujours présenté de la même façon : on ne peut faire telle chose aux animaux, parce que ce serait immoral de faire la même chose à des humains. La chose en question dépend dans ce cas de notre manière de communiquer, de nos arguments, de la campagne menée à ce moment-là, etc. À première vue, cela semble une bonne chose, mais je vais maintenant compléter cela par quelques exemples concrets

  • Lorsque je recommande de réduire sa consommation de viande ou de ne pas en manger le lundi, on me dit parfois que c’est spéciste de ma part, parce qu’on ne tolérerait pas les lundis sans maltraitances aux enfants dans le cas des humains.
  • Lorsque je recommande d’encourager les gens qui ont entrepris une démarche de réduction de leur consommation de viande, certaines personnes considèrent que c’est spéciste, parce que nous n’irions jamais féliciter un meurtrier ou un violeur d’avoir tué ou violé moins de personnes.
  • Lorsque je prône le fait d’essayer d’être doux, sensé, patient, etc., lorsque nous parlons de la souffrance animale et du véganisme, on me répond parfois que « les personnes qui luttent contre le viol ou ont été victimes de viols devraient pouvoir sensibiliser les gens à ce problème sans être considérées comme agaçantes ».
  • Une autre citation dans la même veine : « Est-ce que quiconque militerait pour la simple réglementation de l’exploitation sexuelle des enfants ? Nous dirions tous qu’il est de notre devoir moral de militer pour l’ARRÊT absolu et sans conditions de l’exploitation sexuelle des enfants et que de simples « améliorations » seraient totalement inacceptables et spécistes. »

Je pense que vous avez saisi ce que je veux démontrer ici. À mon humble avis, l’argument spéciste, tel qu’il est utilisé dans les cas précédents, est faux. Nous ne parlons en aucun cas des mêmes choses. Nous parlons ici de pratiques sociales vues de manière entièrement et fondamentalement différentes. Rien ne vous empêche de continuer à dire qu’il s’agit de la même chose, mais cela ne sera pas convaincant.

De plus, si notre militantisme et notre communication impliquent de ne dire ou de ne conseiller que des choses concernant les animaux que nous pensons pouvoir également conseiller concernant les humains, il y aurait alors tout un tas de choses que nous ne devrions pas dire (ce qui, bien sûr, est exactement ce que croient toute une partie des militants pour les droits des animaux). Nous ne pourrions pas encourager ou féliciter les personnes n’étant pas encore véganes à 100 % ; nous ne pourrions pas suggérer aux gens d’essayer de se fixer un objectif, comme de devenir végane pendant tout un mois (vous n’allez pas suggérer aux violeurs d’arrêter de violer pendant un mois !) ; nous ne pourrions pas simplement distribuer des tracts au supermarché (nous n’irions pas distribuer des tracts à des violeurs !) ; nous ne pourrions nous réjouir d’aucune initiative du gouvernement à encourager les gens à manger moins de viande, parce qu’aucun gouvernement n’encouragerait les gens à maltraiter un peu moins leurs enfants.

Et ainsi de suite… Plus je donne d’exemples, plus cet argument devient absurde. Et le pire dans tout cela, c’est que toutes ces recommandations que certains militants aimeraient nous voir arrêter de faire sont les plus efficaces d’après toutes les études psychologiques et sociologiques : y aller progressivement, étape par étape, plutôt que de se fixer directement des objectifs trop ambitieux.

Comme je l’ai déjà dit, nous pouvons soit rester absolument fermes sur ce que nous devons dire ou ne pas dire (en ignorant toutes les études et quel que soit le nombre de fois que nous échouons), ou nous pouvons chercher ce qui est vraiment efficace, être ouvert et accepter de changer.

Utilisons le terme spécisme de façon intelligente et dans le bon contexte.

Également publié ici : https://www.vegetarisme.fr/terme-specisme/.

Les véganes, des gens pas comme les autres

Pour comprendre la différence entre nous autres végétariens, véganes, ou défenseurs des animaux, et le reste du monde, on peut prendre comme repère le fameux modèle de « diffusion de l’innovation », qui tente d’analyser la vitesse à laquelle les idées novatrices et les nouvelles technologies se diffusent au sein d’une population.

Prenez l’exemple de la courbe d’achat d’un smartphone, et essayez de trouver dans quelle catégorie vous vous situez. Si vous avez attendu cette année pour acheter un smartphone, vous faites probablement partie de la « majorité lente » (voire des « retardataires »), c’est-à-dire des gens qui mettent du temps à adopter une nouveauté et attendent que la majorité de la population s’y soit mise. Si vous avez un smartphone depuis longtemps, vous êtes alors parmi les « innovateurs » ou les « précurseurs ».

En ce qui nous concerne, végétariens, véganes, ou engagés dans la protection animale, nous faisons partie des « innovateurs » en matière alimentaire (on peut bien sûr faire partie des « innovateurs » pour ce qui est des smartphones tout en étant classé « retardataire » pour ce qui est des nouveaux régimes alimentaires).

On peut noter que ce ne sont pas les mêmes motivations ou les mêmes inquiétudes qui motivent les choix de ces différentes catégories d’individus, mais il serait erroné de penser qu’on peut rallier les « retardataires » en utilisant les arguments qui ont convaincu les « innovateurs » ou les « précurseurs ».

Ainsi, la plupart de nos concitoyens tiennent à rester « comme tout le monde », et dans leurs choix alimentaires aussi, ils ne veulent pas être perçus comme « sectaires ». Selon une étude réalisée par Faunalytics et portant sur les ex-végétariens et ex-véganes, 63% des personnes interrogées ont répondu qu’elles n’avaient pas apprécié le fait d’être mises à l’écart à cause de leur régime alimentaire. Avant de se lancer, beaucoup de gens attendent d’avoir la certitude que le changement de régime alimentaire (ou d’ailleurs de téléphone, comme dans notre exemple…) n’est pas dangereux. En tant que végé, on a tous eu un jour la désagréable impression d’être un drôle d’oiseau rare, et certaines personnes ont du mal à assumer cela psychologiquement; un aspect qu’il ne faut surtout pas négliger.

Seth Godin, le célèbre gourou du marketing, l’explique de la manière suivante : « Les distributeurs font souvent l’erreur suivante : ils proposent leurs idées bizarres à des gens qui n’aiment pas l’innovation, au lieu de les aider à évoluer progressivement. » Voilà pourquoi une bonne façon de contribuer à faire changer les choses consiste à essayer de toucher un maximum de personnes à l’aide d’un message simplifié, en leur proposant notamment de prendre part à l’opération Meatless Monday (« Lundi Veggie »).

On a souvent tendance à croire qu’on va réussir à convaincre en utilisant les arguments-mêmes qui nous ont convaincus. On pense ainsi que tel ou tel argument étant à nos yeux incontournable, nos interlocuteurs vont nécessairement se laisser séduire… Mais tout le monde n’a pas forcément envie de se laisser convaincre par une argumentation infaillible. En particulier dans le domaine alimentaire, et a fortiori dans le cas de la viande, on réagit souvent de manière irrationnelle, en faisant absolument tout, y compris en restant sourd à toutes les mises en garde, pour continuer à consommer un plat qu’on adore depuis sa plus tendre enfance, tout simplement car cela rime avec bien-être familial et convivialité.

Également publié ici : https://www.vegetarisme.fr/veganes-gens-autres/.

Et si la promotion du véganisme ne venait pas des véganes eux-mêmes ?

Samedi dernier, j’ai eu l’occasion d’assister à une conférence de l’entrepreneur-agriculteur néerlandais Jaap Korteweg, fondateur du Boucher végétarien (Vegetarische Slager) aux Pays-Bas. Ce qui avait débuté comme une boutique, certes petite mais jouissant d’une très bonne image de marque, compte désormais, avec des centaines de points de distribution répartis aux Pays-Bas et, bientôt, une véritable usine de fabrication, parmi les principales gammes de produits végétariens/végétaliens du pays. Les produits du Boucher végétarien ont reçu de nombreux prix et l’histoire de cette entreprise a attiré l’attention des médias du monde entier.

Mark Post
Mark Post

Un autre participant à la conférence était Mark Post, le pionnier de la viande créée in vitro, lui aussi néerlandais. Post est le chercheur qui, il y a trois ans, avait présenté le premier burger de viande créé en laboratoire devant les médias à Londres, l’une des plus grandes révélations concernant la viande et ses problèmes dans l’histoire de ce mouvement.

Toutefois, ni Korteweg ni Post ne sont véganes. Et leurs investisseurs non plus. Willem Van Eelen, l’instigateur et donateur initial des recherches de Mark Post et récemment disparu, n’était même pas végétarien. Et à ma connaissance, ce n’est pas le cas non plus de Sergey Brinn de chez Google, pourtant donateur de 700 000 $ à Mark Post.

Quelques-uns des plus grands promoteurs de la révolution végane, des personnes très influentes (ou potentiellement influentes à l’avenir) ne sont pas des véganes ou ne défendent pas forcément les droits des animaux. Il est bien de s’en rendre compte, ce pour plusieurs raisons.

D’une part, cela nous apprend, à nous les véganes, à rester modestes. Nous avons tendance à croire que lorsque notre planète deviendra enfin un monde meilleur pour les animaux, ce sera grâce à nos efforts et à nos valeurs éthiques. Ceci n’est qu’une partie de la vérité.

D’autre part, cela peut nous aider à prendre conscience du caractère relatif de certaines de nos différences d’opinions, d’idéologies, de philosophies et de théories sur des choses qui s’avèrent être souvent des détails lorsque considérées d’un point de vue plus global.

Mais surtout (et cela devrait être évident mais cela ne l’est manifestement pas), cela devrait nous permettre de réaliser que toute personne, végane ou non, devrait être la bienvenue au sein de ce mouvement.

Les enjeux sont bien trop conséquents pour être défendus uniquement par les véganes.

Également publié ici :
https://www.vegetarisme.fr/promotion-veganisme-ne-venait-veganes-eux-memes/.

Qu’ils mangent donc de la viande in vitro! Interview de Cor Van Der Weele, chercheuse et professeure aux Pays-Bas

Je crois que la viande de laboratoire (en anglais: labmeat – on l’appelle aussi “ viande de culture ” ou “ viande in vitro ”) fait partie des innovations technologiques actuelles les plus prometteuses pour les animaux. Cor Van Der Weele Professeure à l’université Wageningen aux Pays-Bas – un pays à l’avant-garde de ces innovations – effectue des recherches sur ce sujet depuis de longues années. Elle est diplômée de biologie et de philosophie. Nous lui avons posé quelques questions sur la viande in vitro et avons attiré son attention sur les objections probables qu’une partie de la communauté végane pourrait lui soumettre.

foto: annemieke van der togt

On entend souvent dire qu’il y a déjà de nombreuses options végéta*iennes, qui vont du tofu aux délicieux burgers veggie ; alors pourquoi avoir recours à la viande in vitro?
Malgré l’existence de toutes ces options végé/végane de qualité, la plupart des gens restent attachés à la viande. C’est avant tout à eux que la viande de culture est destinée. Pour eux qu’on a imaginé la viande de culture.

D’accord. Mais imaginons un produit 100% végétal qui serait impossible à distinguer de la vraie viande, et qui aurait la même, voire une meilleure valeur nutritionnelle, le même prix, la même texture, etc. Pourquoi certaines personnes préféreraient-elles tout de même la viande in vitro? Et quelle est selon vous la part de marché potentielle de la viande in vitro?
Eh bien, ce serait une expérience très intéressante à mettre en œuvre. Ce qui est passionnant dans cette possibilité de faire un choix entre diverses options de consommation, c’est que cela nous permet de clarifier les raisons pour lesquelles les gens mangent de la viande – telles que le goût, le prix, l’habitude, la santé, et toutes les raisons invoquées pour justifier le fait de manger des animaux. Peut-être la viande de culture, pour certains fervents amateurs de viande, serait-elle dès lors plus proche de la “ vraie viande ” que les produits végés dont vous parlez. J’imagine que la part de marché de ce secteur varierait selon les pays. Cela dépendrait du mode de commercialisation utilisé et de l’encadrement du marché ; et cette part de marché diminuerait probablement au fil du temps.

Faut-il nommer la viande in vitro simplement “ viande ” ou pas ? D’ailleurs, est-ce de la viande ? Qu’est-ce qui fait qu’une viande est véritablement de la viande pour le consommateur moyen ?
Je ne pense pas que cela puisse être appelé simplement « viande ». La viande de culture pourrait certes être considérée comme de la viande dans la mesure où elle est fabriquée à partir de cellules animales. Mais de toute évidence cela n’a rien à voir avec de la vraie viande. Des études montrent régulièrement que beaucoup d’amateurs de viande ont un rapport ambivalent à la (vraie) viande. Une des formes de cette ambivalence est que les gens aiment manger de la viande, mais désapprouvent l’élevage industriel et/ou le fait que les animaux doivent être tués pour leur viande. Le développement de la viande de culture implique que nous acceptions que les gens aiment la viande, tout en essayant de la produire sans faire souffrir les animaux. Parce que les consommateurs trouvent les différences importantes entre la vraie viande et la viande de culture, d’un point de vue moral, ils doivent pouvoir faire la distinction entre les deux termes.
La viande de culture peut être considérée comme un pas vers la fin de la vraie viande : un pas trop petit pour certains, trop grand pour d’autres, mais dans tous les cas, cela permettrait d’avoir une vision différente de la viande classique.

Ne croyez-vous pas que, comme le soulignent certains avis critiques, la viande in vitro nous éloignerait encore plus de la nourriture et de la nature? Si oui, en quoi est-ce inquiétant ?
Fabriquer de la viande de culture est certes contre nature, mais alors que dire de l’élevage industriel ? Je pense que la façon dont nous nous comportons avec les animaux d’élevage industriel est elle-même contre nature. Et la viande de culture produite à partir d’un petit prélèvement de cellules effectuée sur des animaux qui vivent une vie digne de ce nom, serait un progrès. De plus, la quantité de terre nécessaire à la viande de culture est bien moindre. Par conséquent, cela crée potentiellement plus d’espace pour reconstituer la nature.

On retrouve dans vos écrits l’idée d’ “ ignorance stratégique ”, une expression qui décrit l’attitude des personnes qui vont volontairement ne pas savoir ou être mal informées sur quelque chose parce que la vérité est trop difficile à admettre. Je pense qu’une partie de la crainte (en dehors de la confrontation à la souffrance et la tuerie) consiste à penser qu’on laisserait de côté bon nombre d’aliments délicieux si on acceptait vraiment d’ouvrir les yeux sur la souffrance animale. Pensez-vous que le développement d’autres solutions comme la viande in vitro serait un moyen de venir en partie à bout de cette “ ignorance stratégique ”?
Oui, bien sûr. Ce que nous avons constaté dans des groupes de discussion, c’est que l’idée de viande de culture permet de faire parler ceux qui mangent de la viande de ce qu’ils n’aiment pas dans l’industrie de la viande. L’idée même d’une viande de culture déclenche chez eux l’impression nouvelle que des solutions moralement plus justes sont possibles.

Un autre argument contre la viande de laboratoire consiste à dire que cela pourrait entraver le changement moral, à cause de la croyance que la technologie résoudra tous nos problèmes.
Je comprends l’idée, et cela nous mènerait à un certain immobilisme. De plus, c’est en partie ce que beaucoup de gens font déjà : ils ont un point de vue ambivalent sur la viande, ce qui les rend peut-être, pas à pas, plus ouverts aux alternatives, mais ils ne sont pas à l’avant-garde. Je ne prétends pas comprendre parfaitement ce qu’est le changement social, mais je sais que c’est loin d’être une simple ligne droite. Par exemple, tous ces gens ambivalents dont le comportement les apparente à des amateurs de viande, mais qui malgré les apparences, n’ont pas une vision très positive de la viande ; que feront-ils lorsqu’une “ autre ” viande vraiment attrayante arrivera sur le marché ? Dans ce domaine complexe, la viande de culture peut être efficace en tant qu’idée et aussi comme produit en soi, mais également en tant que solution temporaire durant le passage de la vraie viande aux substituts végétaux.

Une partie de la communauté végane pourrait craindre que la viande de laboratoire ne change pas notre regard sur les animaux, que cela ne nous enseignera pas que les animaux ne sont pas des objets à notre disposition…
Je ne suis pas d’accord : au contraire, c’est exactement ce que la viande de culture fera. Je pense que cette technique peut ébranler efficacement notre façon actuelle d’agir envers les animaux, et je suis convaincu que cela finira par changer quelque chose, qu’on le veuille ou non. Il est important de réaliser que le changement ne doit pas nécessairement commencer par les attitudes morales. Parfois, les gens adoptent des attitudes qui font écho au comportement qu’ils avaient déjà. Dans ce cas précis, on peut espérer que lorsque les gens seront habitués à manger de la viande de culture, l’élevage industriel et/ou le fait de tuer des animaux paraîtra graduellement de plus en plus étrange et de moins en moins acceptable.

Également publié ici : https://www.vegetarisme.fr/viande-in-vitro/.

Véganisme et colère

Chers véganes, parlons de notre colère.
Nous sommes très nombreux, parmi les véganes, à être en colère contre ce que subissent les animaux, et nous avons de bonnes raisons de l’être. Nous avons des raisons d’être en colère contre l’indifférence dont la plupart des gens font preuve vis-à-vis des milliards de créatures qui souffrent à cause des humains. Notre colère est justifiée en particulier parce que nous pensons que, de nos jours, la plupart des gens devraient avoir conscience qu’il est temps d’y mettre un terme.

Vous pouvez tout à fait penser que la colère est une émotion positive, constructive, amenant à se mobiliser, une émotion capable de faire descendre les gens dans la rue, de les faire manifester et contester la situation actuelle des choses et menant, par là, au changement.

Je ne suis pas sûr de savoir si la colère est une bonne ou une mauvaise chose, ou un élément essentiel de tout mouvement social, mais ma raison me laisse penser que cela est forcément néfaste pour une personne que d’être tout le temps en colère. Mais ce dont je souhaite surtout parler ici, c’est du fait d’exprimer ou de montrer sa colère. Car même si la colère peut nous aider à avancer et à nous rassembler, je pense qu’agir en montrant sa colère aux gens n’est, dans la plupart des cas, probablement pas une bonne chose.

Quand je ressens moi-même de la colère (cela m’arrive de temps en temps), j’essaie de la transformer en quelque chose de productif. Et j’essaie de dissimuler cette colère. J’essaie de ne pas être trop moralisateur, de ne pas critiquer les gens et de ne pas les faire culpabiliser à l’extrême.  J’essaie – je n’y arrive pas toujours – d’être gentil avec tout le monde même si je sais que certaines personnes font des choses ou participent à des choses, sur le fond, assez horribles. Ce qui m’aide, c’est d’être conscient que, même si je boycotte les produits animaux, je ne suis pas un saint. J’ai donc des scrupules à jeter la pierre à d’autres et à m’indigner de leur comportement.

Et pourtant je vois, autour de moi, tant de colère exprimée, que ce soit dans le véganisme ou dans d’autres mouvements de justice sociale. Il s’agit d’une colère très visible, une colère qui, d’après moi, aliène, une colère qui ferme les cœurs au lieu de les ouvrir.

Et je vois des véganes se mettre en colère non seulement contre des non-véganes, mais aussi contre d’autres véganes et défenseurs des animaux. Ces véganes se mettent peut-être en colère parce qu’ils estiment que les autres véganes ne sont, eux, pas assez en colère. Aux yeux des véganes en colère, les gentils véganes se préoccupent trop de la sensibilité de ceux qui mangent des produits animaux. Laissant parler leurs passions et leurs émotions, les véganes en colère préfèreraient servir la vérité, tout brute, aux mangeurs de viande. Et ils s’impatientent de voir que d’autres véganes n’emploient pas cette méthode et suggèrent au contraire d’avoir un peu plus de considération pour les omnivores, pas seulement par compassion, mais aussi pour des raisons d’efficacité.

Je vois aussi de nombreux véganes en colère contre d’autres véganes parce qu’ils ne tiennent pas compte de tous les problèmes qu’eux-mêmes trouvent très importants. Certains véganes en colère s’indignent sans cesse de voir que la communication d’autres défenseurs de la cause est, à leurs yeux, sexiste, raciste, basée sur les classes, discriminatoire, consumériste ou même spéciste. Les véganes en colère estiment que les autres ne saisissent pas toutes les interconnexions, qu’ils ne comprennent pas que tout est lié et qu’ils sacrifient une cause de justice sociale pour une autre. Les véganes en colère pensent peut-être que les autres véganes ne sont pas assez abolitionnistes, pas assez anti-système, ou ne se penchent pas assez sur le principe d’intersectionnalité. Et ils ont peut-être raison : la plupart d’entre nous, si ce n’est chacun d’entre nous, ont encore des œillères et ne voient pas certains problèmes importants.

Mais voilà, si nous le voulons, nous pourrons toujours trouver des raisons d’être en colère. Il est facile de tomber dans l’addiction à la colère. J’avance l’idée selon laquelle la colère de ceux qui trouvent sans cesse des raisons de s’indigner est plus tournée vers eux-mêmes qu’elle n’a à voir avec la justesse de la cause qu’ils défendent. Ce n’est probablement pas une très bonne idée de se servir du militantisme pour laisser sortir sa colère. Car le véganisme, le féminisme ou tout autre mouvement de justice sociale se résume alors à du colérisme.

En ce qui me concerne, je sais très bien que la colère ne me donne pas la paix intérieure. Je ne suis pas vraiment content de moi-même ou de ma journée lorsque je suis en colère. Je n’ai pas non plus l’impression d’obtenir de meilleurs résultats en me mettant en colère. Et lorsque je vois des personnes en colère je fais mon possible pour les éviter en faisant un détour pour ne pas les croiser ; lorsque j’en rencontre sur Internet, je les bloque. Je ne les trouve pas amusantes, je ne les trouve pas crédibles et je ne les écoute pas plus que les personnes réussissant à rester gentilles et calmes (et pouvant être tout autant passionnées par la cause qu’elles défendent).

En m’exprimant contre le fait de se mettre sans arrêt en colère, je ne veux surtout pas dire qu’il nous faut rester silencieux, rester assis dans notre coin en faisant attention à ne marcher sur les pieds de personne. Il nous faut être sur le terrain, agir pour les choses qui nous tiennent à cœur ainsi qu’à d’autres. Mais il nous faut le faire avec moins de colère et plus de compréhension. Nous pouvons décider de faire confiance aux gens. Avoir confiance dans le fait qu’ils réaliseront un jour, même si ce n’est pas tout de suite, qu’il leur faut suivre la voie de la compassion. Nous pouvons voir les autres comme des alliés potentiels et plus comme des opposants, voire des traitres.

Que nous le voulions ou non, nous sommes tous occupés à vendre quelque chose : notre message de compassion. Et je ne pense pas qu’un vendeur de voitures en ait déjà vendu une en se mettant en colère contre ses clients.

Viendra peut-être un jour où le fait de montrer massivement notre colère sera productif. Ce jour viendra lorsque nous serons assez nombreux pour faire une différence. Mais je pense que ce jour n’est pas encore venu. Pour le moment, il nous faut transformer notre colère en un moyen efficace d’interagir avec les autres, afin de ne plus les faire fuir et d’ouvrir leurs cœurs et leurs esprits.

Également publié ici : https://www.vegetarisme.fr/veganisme-et-colere/.

J’ai été un fan de Francione

(Note: lire aussi à ce sujet  Pourquoi je critique ouvertement Francione)

Bien que Gary Francione ait écrit quelques livres -qui ont leurs qualités- il s’est surtout fait connaître en critiquant les organisations animalistes. Il n’y a virtuellement aucune organisation, à ses yeux, qui semble apporter un quelconque bénéfice aux animaux. On pourrait se demander : y a-t-il quoi que ce soit d’attirant dans ce message ?

En fait, je comprends l’attrait du message de Francione. Et même plus : J’ai été un fan, en 1997, quand j’ai débuté dans l’activisme animal. J’écrivais alors ma thèse sur les relations homme-animal et j’ai vraiment été enthousiasmé par le livre de Francione La Pluie sans le Tonnerre. Et j’ai eu un choc : wow, ce gars a tout compris, et beaucoup d’activistes et d’organisations trahissent en réalité la cause de l’abolitionnisme, non ? Voilà un homme dont le message était pur : quelqu’un avec une vraie vision, qui n’accepterait rien de moins que la libération totale des animaux. Oui, ce serait un message que beaucoup de gens ne voudraient pas entendre, mais… on ne peut pas avoir la pluie sans le tonnerre, pas vrai ?

Je me souviens d’avoir montré ce livre, avec beaucoup d’enthousiasme, au leader d’une organisation animaliste ici en Belgique. Il n’a pas réagi très positivement à mon enthousiasme. Je me suis demandé pourquoi sur le moment, et puis j’ai oublié. Pendant quelques temps, je suis resté dans l’illusion que Francione avait raison, et que tous les autres étaient des vendus qui nous éloignaient de la vraie cause.

Il me semble que c’est ainsi que les fans de Francione actuels pensent et agissent. Ils critiquent toutes sortes de groupes, adoptant ses mots sans aucune remise en cause, croyant que PeTA, FARM, Mercy for Animals, la Vegan Society au Royaume-Uni, etc… sont des vendus.

A ceux qui croient cela, je voudrais dire : parlez aux gens vraiment actifs au sein de ces organisations. Est-ce que vous croyez vraiment que ceux qui mettent leur vie au service des animaux, certains depuis plusieurs décennies, et qui n’ont pas mangé le moindre produit animal depuis X années, et qui ont eu un impact énorme sur la prise de conscience du véganisme et des droits des animaux… pensez-vous vraiment que ces gens soient des vendus ? Croyez-vous vraiment qu’ils sont subitement devenus réformistes ou welfaristes ? Croyez-vous qu’ils ne pensent pas en termes de stratégie ? Qu’ils sont beaucoup plus bêtes que vous ou que Francione ? S’il vous plait : réfléchissez.

C’est la conclusion à laquelle je suis parvenu après un moment. J’ai parlé avec des gens au sein du mouvement. J’ai commencé à voir les choses du point de vue du public que nous voulons atteindre, au lieu de simplement adhérer au dogme. C’est ainsi que je me suis écarté de Francione. J’essaie de ne pas douter des bonnes intentions de ces gens, et quoique ça me demande une certaine souplesse d’esprit, j’essaie de supposer que Francione fait ce qu’il fait avec les meilleures intentions, et qu’il croit vraiment ce qu’il prêche.

Mais je me suis fait une raison, et si je donne encore un peu de mon attention à Francione en écrivant ces quelques billets, j’espère qu’au moins certaines des personnes qui le suivent vont commencer à penser par eux-mêmes (même si les réactions d’ “ abolitionnistes ” à mes précédents articles confirment complètement ce que j’écris).

Typiquement, si vous êtes un activiste animaliste, voici une trajectoire que vous pourriez suivre:

Phase 1 : vous découvrez le mouvement des droits des animaux, peut-être à travers l’une des organisations qui s’y consacrent. Vous approfondissez le sujet.
Phase 2 : vous découvrez Francione ou l’approche abolitionniste. Vous pensez qu’il faudrait être beaucoup plus critique envers les organisations que vous trouviez bonnes, intéressantes et efficaces.
Phase 3 : vous dépassez Francione et son appoche abolitionniste, la voyez pour ce qu’elle est, et comprenez qu’en soutenant le travail de la plupart des organisations animalistes, vous contribuez en réalité à l’abolitionnisme, simplement d’une façon bien plus pragmatique et efficace qu’en adhérant au dogme Francionien.

Je repense à La Pluie sans le Tonnerre. Réfléchissez à ce titre une minute, et demandez-vous si vous voyez souvent la pluie sans le tonnerre. Ben oui : tout le temps, en fait.

Il est tout à fait “ vegan ” de rélêchir par soi-même. Vous en avez le droit, vous savez.

Également publié ici: https://veganforthem.wordpress.com/2015/03/17/gary-francione-et-les-abolitionnistes/.

Gary Francione et les “abolitionnistes”

Les militants et les organisations qui travaillent à créer un meilleur monde pour les animaux peuvent avoir différents objectifs. La façon la plus répandue de catégoriser ces militants et ces organisations est de le faire selon qu’ils veulent supprimer toute utilisation d’animaux pour l’alimentation, l’habillement, l’expérimentation, etc., ou bien qu’ils entendent conserver ces pratiques, mais en améliorant les conditions de vie des animaux utilisés. Le premier groupe veut abolir, le second veut réformer. Ainsi : les abolitionnistes s’opposent aux welfaristes, ou les droits des animaux s’opposent au bien-être animal.
Toutefois, cette catégorisation simple a été déformée.

Un groupe de militants, mené par le professeur Gary L. Francione, considère être les seuls abolitionnistes, et appellent beaucoup, voire tous les autres militants (qui sont pourtant eux-mêmes abolitionnistes) des “ welfaristes ” ou “ néo-welfaristes ”. Francione et ses partisans ne considèrent comme abolitionnistes que ceux qui se conforment à sa façon de communiquer à propos de l’abolitionnisme. Ainsi, de nos jours, le terme “ abolitionniste ”, se réfère souvent à Francione et ses partisans.

Prenons une organisation comme PeTA. On peut penser ce qu’on veut de PeTA (vous pourriez les considérer sexistes, sensationnalistes, etc.), mais leur but est clairement abolitionniste, dans le sens compris par la plupart des activistes et partisans des animaux. PeTA veut abolir toute utilisation des animaux par les humains. Le slogan de PeTA est clair  : “ Les animaux ne nous appartiennent pas et ne sont pas faits pour notre alimentation, notre habillement, notre divertissement ou nos expériences scientifiques ”. Contrairement à la plupart des gens, Francione considère PeTA comme une organisation “ néo-welfariste ” – en dépit du fait que son but affiché a toujours été d’abolir l’utilisation des animaux.

La justification de Francione pour ce genre d’abus verbal est que certaines des campagnes ciblées de PeTA sont réformistes : elles amélioreraient la vie des animaux mais, prises séparément, ne sont pas dirigées vers l’abolition de l’exploitation animale. L’utilité des campagnes réformistes n’est pas en cause ici. Le but final reste abolitionniste. Accuser PeTA, comme Francione le fait, revient à accuser Amnesty International d’être pro-enfermement de prisonniers politiques car, bien qu’ils cherchent à faire libérer ces prisonniers, ils font aussi campagne pour qu’ils soient mieux traités.

Le triste résultat est que de nombreux militants qui adhèrent à cette cette fausse division que Francione a créée, sont maintenant très critiques, voire ouvertement hostiles envers ceux qu’ils ne considèrent pas comme “abolitionnistes” selon leurs propres critères. Ils tempêtent et crient sur n’importe quelle organisation qui, bien que promouvant l’abolitionnisme, ne va pas, pour des raisons stratégiques, demander aux gens de devenir vegan, qui utilisent le mot “ végétarien ” au lieu de “ vegan ”, qui soutiennent les Lundi Sans Viande, les réformes du traitement des animaux, etc.

Ainsi, ces personnes pourtant bien intentionnées minent le travail des nombreuses organisations vouées aux droits des animaux et/ou véganes ou végétariennes, croyant qu’elles ne veulent pas mettre un terme à l’exploitation animale. Certains vont jusqu’à dire que ces organisations et tactiques font plus de mal que de bien.

“ Imaginez le Ku-Klux-Klan tenant une conférence sur les « Droits Civiques ». Je viens de recevoir un email me disant que je faisais “ partie des premiers invités à la Conférence Nationale sur les Droits des Animaux 2015 ». Une conférence tenue par et pour les grands groupes pro-animaux qui les ont en réalité trahis et sont devenus les partenaires de l’exploitation animale. Je vais passer mon tour. Ceux qui soutiennent de tels événements soutiennent l’exploitation animale. Cet événement n’a ****rien**** à voir avec les Droits des animaux. En fait, qualifier cet événement de « Droits des animaux » est comme appeler une convention du Ku-Klux-Klan un événement pour les droits civiques. ”

Voici une illustration de la perception et de la communication de Francione à propos des groupes qu’il vise, issue d’un post de sa page Facebook.

Dire que des groupes et activistes dévoués, bien intentionnés, et en général bien plus orientés vers les résultats participant à la Conférence sur les Droits des Animaux -à laquelle j’ai participé 3 fois- sont vendus à l’industrie, et les comparer au Ku-Klux-Klan n’est pas seulement indécent, c’est stupide, immature et, par-dessus tout, faux.

Également publié ici: https://veganforthem.wordpress.com/2015/03/17/gary-francione-et-les-abolitionnistes/.

Pourquoi nous allons gagner

La libération animale est probablement la problématique de justice sociale la plus ardue et la plus large que les humains n’aient jamais abordée. Les enjeux sont immenses, les abats sont sur toutes les tables, la tâche semble incroyablement intimidante. Et pourtant je suis sûr que nous allons gagner.

Je viens d’assister à la Conférence pour les Droits des Animaux à Los Angeles. L’une des fonctions d’une telle conférence – hormis s’informer, partager nos pratiques, et passer quelques jours avec des personnes qui partagent nos points de vue- est que nous nous re-motivons, remplissons nos batteries, et repartons chez nous pleins d’énergie. A cette fin, il y a bien sûr de nombreux discours motivants, d’applaudissements et d’encouragements à ce genre de conférences (qui peut éventuellement assaillir les oreilles, particulièrement pour un Européen dans une mer d’Américains.

Après les encouragements et les bonnes nouvelles, on prend généralement une douche froide en quittant la conférence et en retrouvant le monde réel. Les produits animaux et la cruauté -ou du moins l’indifférence envers les animaux- semblent à nouveau omniprésents.

Cependant, je partage le sentiment exprimé par un grand nombre d’intervenants de la conférence : que nous approchons d’un point de bascule, et que pour la première fois, même s’il est -de moins en moins- lointain, nous pouvons entr’apercevoir la fin de la route.

Laissez-moi exposer quelques-unes des raisons pour lesquelles je suis sûr que nous allons gagner. Certaines de ces raisons sont anciennes, d’autres sont nouvelles.

“ Notre moment est venu. Soyez bons. Ayez de la compassion. Soyez positifs. Accomplissons-le ensemble. ” Colleen Holland

Nous sommes dévoués.
Le dévouement aux droits des animaux et à l’activisme végane est impressionnant. Ce n’est pas pas une équipe qui va jeter l’éponge bientôt. La compassion pour les animaux et l’horreur qu’inspire leur soufrance est ce qui anime ce mouvement. Je suis certain qu’aux yeux de beaucoup nous avons parfois l’air d’une bande de fanatiques délirants, mais ça ne prend qu’un coup d’oeil à une vidéo ou une photo d’une créature souffrant terriblement de la main de l’homme, pour réaliser que notre objectif est tout sauf fanatique.

Nous sommes de plus en plus orientés vers les résultats.
Ces dernières années, (grâce à des gens comme Nick Cooney, Faunalytics, l’essor du mouvement de l’altruisme efficace, Animal Charity Evaluators, et d’autres personnes et facteurs), nous avons commencé à faire bien plus attention à nos résultats réels -et à mesurer ces résultats- plutôt que de simplement “faire quelque chose”. Nous observons les risques vs. bénéfices et les retours sur investissement. Et quand certains d’entre nous font passer en priorité les grands chiffres (comme les animaux d’élevage) avant les petits chiffres (comme les animaux de cirque), c’est parce que nous savons que ces grands chiffres sont simplement de plus grandes populations d’animaux en soufrance.

Nous nous sommes professionnalisés.
L’époque où ce mouvement était fait de groupes de manifestants échevelés criant des slogans colériques aux passants et dans les magasins, est depuis longtemps derrière nous (n’est-ce pas ?). Nous nous asseyons à la table des grandes entreprises et des gouvernements. Nous embauchons de vrais professionnels. Nous produisons du matériel imprimé et vidéo vraiment professionnel. Nous fixons des objectifs mesurables. Professionnel est le nouveau radical.

La technologie peut être notre alliée.
La technologie peut être utilisée à la fois de façon positive et négative. Elle a été utilisée pour rendre l’élevage d’animaux plus efficace -et plus horrible pour les animaux- mais aujourd’hui nous voyons des technologies incroyablement prometteuses émerger. Hormis l’utilisation de la technologie pour créer de meilleures alternatives à la viande que du simple tofu (voir Beyond Meat, Gardein, Impossible Foods), il y a bien sûr la promesse de la viande de culture (ou viande propre), pour créer une viande indifférenciable de l’originale. Imaginez juste comme cela changerait la donne (vous pouvez soutenir Supermeat ici).

Les gens peuvent gagner de l’argent en sauvant les animaux.
Que vous soyez pour ou contre, mais voici un argument totalement nouveau pour le véganisme : gagner de l’argent. Certains entrepreneurs ont remarqué que la situation actuelle avec les produits d’origine animale est simplement intenable, et voient beaucoup de mérite et de profit à développer des alternatives. Rien que ces dernières années, des entreprises capitalistes ont investi des centaines de millions de dollars dans les substituts à la viande et autres. C’est quelque chose que nous n’avions jamais vu avant.

Grâce à ces raisons et à bien d’autres, nous allons gagner. Et quand nous gagnerons -dans Dieu sait combien de décennies- ce sera une victoire pour tout le monde. Ce sera une victoire pour les animaux et pour notre planète. Ce sera une victoire pour nous, ceux investis dans ce combat, et une victoire pour tous ceux qui ont peur de perdre quelque chose.

D’ici-là, nous avons du travail. Je me ferai l’écho de l’un des intervenants :

Notre moment est venu. Soyez bons. Ayez de la compassion. Soyez positifs. Accomplissons-le ensemble.

Également publié ici: https://veganforthem.wordpress.com/2016/07/21/pourquoi-nous-allons-gagner/.

La bonne stratégie au bon moment

On entend des discussions sans fin sur quelles stratégies (actions, approches) seraient les meilleures pour la libération animale (comme pour de nombreuses autres problématiques). De nombreuses personnes répondent ainsi : il faut un peu de tout. C’est certainement vrai dans une certaine mesure. Des individus et des groupes différents pourraient demander des approches distinctes. Pourtant, cela ne doit pas nous empêcher de débattre de stratégie ensemble. Comme nos moyens sont limités, il est important d’essayer de trouver la stratégie la plus efficace. De plus, si certaines stratégies peuvent être efficaces envers certaines personnes, nous devons aussi prendre en compte la quantité de personnes qu’une stratégie pourrait repousser.

Le point que je veux aborder ici est que le choix de stratégie est aussi une question de timing. Je veux dire : de timing au sein de l’histoire de notre mouvement. Je peux très bien imaginer que n’importe quelle stratégie puisse être la meilleure à un certain moment. De façon plus concrète, je ne pense pas que ce soit le meilleur moment pour sortir de chez soi et crier « viande = meurtre » et accuser les mangeurs de viande pour les faire culpabiliser. Mais à un moment de notre futur, quand l’alimentation végétarienne sera bien plus proche de la norme, cela pourrait le devenir. De la même façon qu’aujourd’hui tout le monde devrait se sentir capable de définir le racisme quand elle/il en est témoin.

Nous n’y sommes pas encore. Trop de gens continuent de manger des animaux pour que la société accepte le vrai radicalisme (sans pinailler sur la définition précise de ce terme). Nous sommes encore trop dépendants de l’utilisation d’animaux. C’est pourquoi je pense que la bonne stratégie dans cette phase du mouvement est d’essayer de diminuer notre dépendance aux animaux. Un très bon exemple en est ce que fait Hampton Creek foods en créant des substituts de produits animaux. Ils sont proches de développer le produit parfait, commercialisable parce qu’il est moins cher, plus sain, plus pratique que les œufs de poule. Imaginez juste comme il sera simple, quand il n’y aura plus d’intérêt à utiliser de vrais œufs, de discuter des droits des poules – une absurdité pour la plupart des gens aujourd’hui.

C’est facile d’être philosophe et de dire des choses vraies à propos des droits des animaux. C’est beaucoup plus difficile d’agir de la bonne façon au bon moment et de faire vraiment la différence.

Ceci est, en fait, l’art de l’activisme.

Également publié ici: https://veganforthem.wordpress.com/2015/03/28/la-bonne-strategie-au-bon-moment/.