Comment ce qu’on mange détermine ce qu’on pense

J’ai mentionné dans mon article à propos de Beyoncé qu’on oublie parfois que si l’opinion influence le comportement, le comportement influence aussi l’opinion. Ce que je veux dire, c’est que la manière dont nous agissons vis-à-vis de quelque chose influence nos croyances au sujet de cette chose. On peut voir ces croyances nouvelles comme une rationalisation de notre comportement.

Je vais vous donner un exemple. N’hésitez pas à commenter si vous pensez que mon analyse n’est pas bonne. Regardez l’image ci-dessous : un toréador à gauche, un ouvrier d’abattoir à droite. Fondamentalement, ces gens font la même chose: leur profession est de tuer des vaches. Si vous présentez cette photo à un public général (omnivore) et demandez : « laquelle de ces personnes appréciez -vous le moins ? ». Vous savez que la réponse sera le toréador. Mais pourquoi?


Quand je pose cette question lors de conférences, j’obtiens diverses réponses dont la principale étant peut être que le toréador tue des animaux pour le divertissement, alors que le boucher est concerné par quelque chose d’essentiel comme se nourrir. C’est peut être bien la façon dont les gens le voient, même si je dirais qu’il n’est pas évident que manger de la viande soit moins trivial qu’une « tradition » séculaire. Une autre raison que donnent les gens est que la corrida ressemble plus à de la torture, alors que l’ouvrier abattoir doit essayer de tuer de la manière la plus rapide et la moins douloureuse possible. Ces explications, parmi d’autres, sont certainement valables, mais je pense qu’il y a une autre raison importante pour laquelle les gens jugent le toréador et le boucher très différemment :

La plupart des gens ne participent en aucune façon à la corrida. Il est donc facile pour eux de désapprouver le toréador.  Par contre, la plupart des gens mangent de la viande, donc désapprouver le boucher est beaucoup plus difficile. Je pense que nous sommes là dans un cas où le comportement influence les croyances.

Cela signifie que si nous voulons que les opinions des gens à propos de l’exploitation animale changent, il est très important que nous, en tant que société, devenions moins dépendants des animaux pour la viande. La nouvelle génération de substituts de viande (aux États-Unis: Gardein, Beyond Meat, etc.) fait du très bon boulot, et la viande in vitro pourrait évidemment avoir une importance incroyable.

Il faut absolument continuer d’informer les gens sur les conséquences négatives de la viande, ce qui amènera certains à changer de comportement. Mais considérons en même temps que l’autre chemin est aussi important. Faites en sorte que les gens aient de nombreuses expériences savoureuses et véganes.

Également publié ici : https://questionsdecomposent.wordpress.com/2018/04/07/comment-ce-quon-mange-determine-ce-quon-pense/.

Comment osez-vous vous prétendre « végane » !

J’ai eu envie d’écrire cet article en réponse à celui du site anglophone Ecorazzi intitulé « Si vous n’êtes que végétalien, arrêtez de vous appeler végane ! »

Le titre, et surtout le point d’exclamation, m’ont rendu presque donné envie de vomir (bon, j’exagère un peu). Tout est dit dans le titre. Probablement que l’autrice avait les meilleures intentions (bien qu’elles puissent être « impures », comme pour nous toutes). Mais cette façon de penser et de communiquer est si improductive et si dommageable que je ne sais même pas par où commencer.

L’autrice croit que les végétaliennes* pour la santé – qu’elle ne veut évidemment pas appeler véganes, même en anglais où le terme végétalien n’existe pas – «détournent» le mouvement végane. Elle veut en quelque sorte interdire aux végétaliennes de se qualifier de véganes. Au delà du fait que dire aux gens de ne pas utiliser un mot est un peu vexant et mesquin, il est en plus très improductif d’ostraciser les végétaliennes pour la santé de « notre club » végane.

J’ai beaucoup écrit à ce sujet, mais très brièvement : la demande pour les produits véganes, quelle que soit la motivation derrière cette demande, va augmenter le choix en produits véganes. Manger végane devient alors plus facile, notre dépendance vis-à-vis des produits animaux diminue, et il devient beaucoup plus facile de se soucier d’éthique quand on sait qu’on a plus grand chose à y perdre. Les végétaliennes pour la santé sont en plus parmi les cibles les plus faciles pour notre discours éthique. En effet, de nombreux « véganes éthiques » (je n’aime pas le terme) ont commencé à être végétaliennes pour leur santé.

Au risque de sur-analyser, il y a une explication au comportement et à la communication excluante qu’on peut lire dans l’article. Je recopie ci-dessous un extrait d’un manuel de psychologie. Je vais vous laisser le soin de voir comment ça pourrait s’appliquer au cas présent. Gardez à l’esprit la dichotomie « végétaliennes éthiques » vs « végétaliennes pour la santé » quand vous le lisez.

« Les gens aiment être perçus à travers les identités qui leurs sont importantes. Être perçu à travers d’autres identités, particulièrement celles qui sont erronées, peut susciter une «menace d’étiquetage». Nous n’aimons pas non plus qu’un autre groupe soit trop semblable au nôtre, parce qu’il mine l’essence même de notre groupe, qui nous rend différentes et spéciales. En d’autres termes, nous avons tendance à être plus sensible à l’erreur de catégorisation lorsque l’autre groupe est réellement semblable au nôtre (…). Des groupes trop proches des nôtres peuvent donc menacer l’identité unique du groupe: «menace à la distinctivité». Il a parfois même été soutenu que l’identité distinctive d’un groupe est encore plus fondamentale que d’éviter une identité négative. »**

Ca vous semble familier ?

J’ai pensé à un truc : à force, je pourrais être tellement déçu par les véganes et le véganisme, que (bien qu’étant végane pour les animaux), je m’abstiendrait complètement d’utiliser ces termes (certaines personnes disent que je devrais de toute façon, vu que je fais parfois des choses non-véganes !). Un peu comme The Animalist le dit ici. Mais le problème est qu’alors les seules personnes qui utiliseraient le terme seraient les plus fondamentalistes, et nous devrions tout recommencer en partant sur un nouveau mot. Donc je pense que je ne suis pas encore prêt à abandonner le mot végane. Je veux plutôt être une personne de plus à utiliser ce mot de manière rationnelle, compatissante, positive et inclusive. Qui veut me rejoindre ?

*Le traducteur a utilisé un féminin neutre, avec l’accord de l’auteur pour se montrer solidaires des luttes féministes.
** Hewstone, M. Stroebe, W. & Jonas, K (2012), An introduction to social psychology. Oxford, UK: Blackwell. (5th edn.)

Également publié ici : https://questionsdecomposent.wordpress.com/2018/04/02/comment-osez-vous-vous-pretendre-vegane/.