Les produits véganes gagnent rapidement en popularité. Le principal moteur de cette croissance ne vient pas des végétaliens, mais des gens qui aiment acheter et goûter des produits uniquement végétaux de temps en temps, pour quelque raison que ce soit (santé, animaux, environnement, variété… ou simplement parce qu’ils sont là et ont bon goût). Les entreprises qui produisent de la viande et des produits laitiers et qui n’offrent pas de produits 100 %végétaux peuvent répondre à la croissance du marché végétalien (et peut-être au déclin du marché de la viande et des produits laitiers) de plusieurs façons. Ci-dessous, je passe brièvement en revue ces différentes réponses, en commençant par les réponses conservatrices et défensives, puis en passant aux réponses plus progressistes et radicales.
1. Jouer les autruches
Il y a encore pas mal d’entreprises – bien qu’elles soient de moins en moins nombreuses – qui croient que la tendance végane n’est qu’une mode qui va passer. D’autres se rendent compte que la croissance de la viande et des produits laitiers peut stagner en permanence et pourrait davantage décliner dans le monde occidental, mais espèrent profiter de la demande croissante pour leurs produits dans les pays en développement. En effet, à mesure que le revenu par habitant augmente en Chine, en Inde et dans d’autres pays d’Asie et d’Amérique latine, la demande de produits d’origine animale devrait, sauf nouvelle donne, augmenter considérablement (et même doubler d’ici 2050). Les entreprises du secteur de la viande et des produits laitiers espèrent pouvoir répondre à cette demande internationale croissante. Ces possibilités d’exportation ne sont cependant pas données. Ces pays sont de plus en plus conscients des problèmes posés par la production de produits animaux et les nouvelles technologies, comme la viande propre, risquent de jouer les trouble-fêtes. En outre, à l’avenir, nombre de ces pays répondront probablement de plus en plus à leurs propres besoins et acquerront davantage d’expertise de l’élevage industriel, plutôt que d’importer de la viande et des produits laitiers de l’Ouest.
2. Tenter de la ralentir ou de la stopper.
Certaines entreprises luttent ou tentent de saboter l’intérêt croissant pour les aliments d’origine végétale ou, à cette fin, la sensibilisation croissante aux questions de bien-être animal et de droits des animaux. Un exemple évident est la manière dont l’industrie de la viande et l’industrie laitière en Europe et aux États-Unis ont fait pression pour interdire l’utilisation de noms de viandes et produits laitiers (comme « steak », « hamburger » ou « fromage ») pour désigner des produits végétaux. En Europe, ce lobbying a été couronné de succès et a conduit au fait que le lait de soja ou d’avoine ne peut plus être appelé « lait » mais doit porter d’autres noms (comme « boisson »). En France, il en va déjà de même pour les produits carnés, de sorte qu’un steak végétarien ou végétalien ne peut plus s’appeler ainsi (nota du 06/01/2018, cette loi à été annulée par le gouvernement fin 2018). Aux États-Unis, des initiatives similaires ont échoué jusqu’à présent, mais d’un autre côté, nous avons vu des lois dites « ag-gag »(bâillonnement agricole) dans de nombreux États. Ces lois interdisent de prendre des photos de fermes industrielles, par exemple, afin d’empêcher les défenseurs des animaux d’enquêter sous couverture. D’autres mesures répressives similaires ont été prises, en particulier en Autriche.
3. « Innovation traditionnelle »
Pour continuer à vendre suffisamment de produits, de nombreuses entreprises doivent constamment innover. « L’innovation traditionnelle » – le terme est une sorte d’oxymore intentionnel – désigne pour moi ce que les entreprise font les entreprises de viande et de produits laitiers qui créent des produits innovants mais basés sur produits animaux. Par exemple, le lait sans lactose – un produit laitier que le secteur laitier veut vendre aux personnes intolérantes au lactose – ou le lait avec certaines saveurs.
Beaucoup plus innovant – je le place encore ici mais il pourrait aussi être sous le point suivant – sont les produits hybrides. Ces produits sont composés à la fois de produits animaux et végétaux. Imaginez un « lait » qui est en partie du lait de vache et en partie du lait d’avoine, ou une saucisse qui contient 70 % de viande et 30 % de blé – deux catégories de produits qui existent réellement.
4. Développer des alternatives pour la viande es les produits laitiers
De plus en plus d’entreprises sont encore plus audacieuses et lancent des alternatives sans produits animaux aux produits qu’elles proposent déjà. Les marques de glaces Ben&Jerry’s et Haagen Dazs, par exemple, ont lancé des saveurs 100% végétales. En Allemagne, l’entreprise Ruggenwalder Muhle, implantée depuis longtemps dans le secteur de la viande, a lancé de nombreux produits végétariens ou végétaliens.
Ben & Jerry, végétales saveurs
5. Les entrées dans le capital de sociétés spécialisées dans le végétal
Certaines entreprises se préparent ou se protègent contre le déclin de la demande en produits d’origine animale en investissant dans d’autres entreprises qui produisent des produits de remplacement. Le fonds d’investissement de Tyson Food a acheté une participation dans la société végane Beyond Meat et a également investi dans des startups impliquées dans le développement de la viande propre. General Mills a investi dans Kite Hill (qui offre des fromages à base de plantes), ainsi que dans Beyond Meat. Cargill et Tyson Foods ont investi dans Memphis Meat, une jeune entreprise californienne qui tente de commercialiser de la viande propre, et qui a déjà produit des prototypes propres de boulettes de viande et de canard.
6. L’acquisition d’une société spécialiste du végétal
Les entreprises du secteur de la viande et des produits laitiers ont également la possibilité, non d’acheter seulement une participation dans une entreprise végane, mais de l’acquérir complètement. Cela peut être une bonne idée lorsque l’entreprise spécialisée dans les produits animaux n’a pas l’expertise ou l’ambition de mettre sur le marché ses propres produits de remplacement assez rapidement. Le géant laitier Danone a acheté Whitewave foods, qui possède des marques comme Silk, Alpro (une entreprise européenne de laits végétaux), ainsi que certaines marques de produits laitiers biologiques. Danone a payé plus de 11 milliards de dollars pour l’acquisition, mais cela lui permet de faire son entrée sur le marché américain – où elle était faible – ainsi que sur le marché végétal et biologique. Il existe de nombreux autres exemples d’acquisitions semblables, comme l’acquisition par la société laitière finlandaise Valio de la société suédoise de lait d’avoine Oddlygood, ou l’acquisition par Saputo Canada de Morningstar, entre autres. Le célèbre fromager végétal Daiya a quant à lui été racheté par la société japonaise Otsuka.
Pour les véganes qui n’aiment pas que les spécialistes de la viande s’impliquent dans des entreprises véganes, il est important d’être conscient du fait qu’à travers leurs investissements ou leurs acquisitions, la société qui investit ou la nouvelle société mère peut soutenir la croissance de l’entreprise végane. Outre les fonds destinés au développement de nouveaux produits ou aux budgets publicitaires, une société participant au capital ou une société mère peut également apporter son expertise en matière de recherche et de développement pour améliorer un produit. Un responsable d’Alpro, par exemple, a expliqué comment l’expertise de sa nouvelle maison mère Danone en matière de fermentation serait très utile pour améliorer encore la qualité des yaourts d’Alpro. D’autres déclarent qu’une société mère peut apporter ses contrats avec des chaînes de supermarchés (ou peut-être même de restaurants) pour aider à améliorer la distribution des produits. Il est également important de noter qu’il est très probable qu’une entreprise spécialiste des produits animaux sera beaucoup moins susceptible d’essayer de saboter la croissance du véganisme (option 2 ci-dessus) si elle en tire déjà profit.
7. La transformation complète en une entreprise spécialisée dans le végétal
Enfin, une entreprise spécialisée dans les produits animaux peut devenir une entreprise végane. C’est à ce stade un phénomène très rare, mais il se produit, et on ne peut qu’espérer qu’il se produira de plus en plus. C’est le cas, par exemple, de la laiterie traditionnelle new-yorkaise Elmhurst, qui est aujourd’hui une entreprise spécialiste du végétal. Elle continue à vendre du lait, mais elle est passée des vaches aux noix pour sont approvisionnement.
Si nous voulons que le mode de vie végane se répande davantage, il est nécessaire que les entreprises traditionnelles puissent s’engager d’une manière ou d’une autre, et qu’elles aient une plus grande variété d’options que la simple faillite ou le fait de devenir véganes du jour au lendemain – deux situations très rares.
La plupart des « végétaliens éthiques » (les personnes qui refusent les produits d’origine animale pour des raisons morales) seraient d’accord pour dire que l’objectif du mouvement de défense des droits des animaux est l’abolition de l’exploitation des animaux à des fins humaines. En ce sens, ils sont tous « abolitionnistes ». Le terme abolitionniste vient des personnes qui ont plaidé en faveur de l’abolition de l’esclavage aux 18e et 19e siècles en Amérique du Nord et en Grande-Bretagne. Mais dans quelle mesure ceux qui préconisent l’abolition de l’exploitation animale peuvent-ils se comparer et s’inspirer des abolitionnistes de l’esclavage ? Les objectifs et la tactique étaient-ils similaires ? Peut-on apprendre quelque chose de leurs échecs et de leurs succès ? J’ai interviewé le Dr Wlodzimierz Gogloza pour nous aider à répondre à ces questions. Nous allons nous concentrer sur le mouvement anti-esclavagiste en Amérique du Nord.
W. Gogloza est professeur adjoint de droit à l’Université Maria Curie Sklodowska de Lublin, en Pologne, où il enseigne des cours et des séminaires sur l’histoire des idées, les traditions légales du monde et les études de gestion. Il a co-écrit un livre, co-édité sept ouvrages scientifiques et publié des dizaines de travaux académiques sur divers sujets, dont les franges radicales du mouvement anti-esclavagiste américain, la tradition individualiste britannique et les premières idées managériales et organisationnelles. Il est également bénévole pour Open Cages / Anima International en tant que conseiller juridique et coordinateur de campagne.
Vegan Strategist : Tout d’abord, qui étaient ces abolitionnistes de l’esclavage du 19e siècle ? Qu’est-ce qui les définit réellement ?
Wlodek Gogloza : La première chose à comprendre est que, dans le mouvement anti-esclavagiste nord-américain, les prétendus abolitionnistes étaient une minorité. Pas plus de 300 000 personnes se sont déclarées abolitionnistes avant la guerre civile. La population des États-Unis à cette époque était d’environ 31 millions d’habitants. En outre, les soi-disant abolitionnistes étaient très dispersés dans le nord : même dans les États les plus septentrionaux où le mouvement anti-esclavagiste était le plus puissant, il n’y avait que quelques endroits où une personne sur dix était abolitionniste.
Les abolitionnistes étaient essentiellement ceux qui souscrivaient aux trois demandes de l’ « American Anti-Slavery Society » (le principal groupe abolitionniste aux États-Unis). La première revendication était l’abolition immédiate de la servitude humaine (parfois appelée « immédiatisme », par opposition au gradualisme). La seconde : aucune compensation pour les propriétaires d’esclaves et aucune émigration forcée (« expatriation ») d’anciens esclaves. La troisième demande était que tous les anciens esclaves obtiennent les droits civils. Ces trois objectifs avaient le même poids, et si quelqu’un rejetait un seul d’entre eux, ils ne sont pas considéré comme abolitionnistes.
Parenthèse. L’immédiatisme est une approche du travail collaboratif qui prône une valeur immédiate du contenu. Cette approche réunit plusieurs contributeurs qui croient que le travail réalisé doit être à tout moment de qualité.
Parmi les abolitionnistes américains les plus influents et les plus connus figurent William Lloyd Garrison, Frederick Douglass, Angelina et Sarah Grimké, Abby Kelley Foster, Lucretia Mott, Wendell Phillips, Joshua Leavitt et Charles Sumner. Ils ne se sont pas toujours entendus sur toutes les questions relatives à l’abolition, en particulier sur la manière dont l’émancipation des esclaves devrait être réalisée, mais ils ont tous convenu que les trois demandes susmentionnées n’étaient pas négociables.
Ces demandes ne semblent pas trop controversées à nos yeux d’aujourd’hui… ?
Et pourtant, elles étaient extrêmement controversés à l’époque. C’est surtout la position antiraciste sans compromis de leur dernière revendication qui donnait l’apparence des abolitionnistes de fondamentalistes fous.
Le racisme était beaucoup plus répandu qu’aujourd’hui, et même parmi les militants anti-esclavagistes, de nombreuses personnes avaient des attitudes racistes. L’idée que les Afro-Américains devraient avoir les mêmes droits que les citoyens blancs consternait même les personnes qui considéraient l’esclavage comme une abomination.
Le président Lincoln, par exemple, voulait aider les esclaves, mais en raison de la stigmatisation attachée au mouvement abolitionniste, il a tout mis en œuvre pour se démarquer des abolitionnistes. Un homme qui fit campagne pour Abraham Lincoln en 1860 se plaint : « On m’a dénoncé comme impudent, fantasmagorique, immature et, pire que tout, abolitionniste » (1).
Ainsi, au sein du mouvement anti-esclavagiste au sens large, quelles seraient les revendications de ceux qui n’appartenaient pas à la fraction abolitionniste ?
Certaines personnes étaient en faveur d’une sorte de compensation pour les propriétaires d’esclaves, d’autres voulaient renvoyer les esclaves libérés en Afrique. Lincoln, par exemple, et Harriet Beecher Stowe, auteur du séminal « La Case de l’Oncle Tom », étaient des partisans de cette dernière idée, connue sous le nom de colonisation. D’autres encore voulaient se débarrasser de l’esclavage de manière plus progressive.
Y a-t-il eu des gens qui partageaient toutes les idées des abolitionnistes, mais ne les ont pas portée en campagne pour des raisons pragmatiques ?
De nombreux quakers ont donné leur accord de principe aux abolitionnistes, mais ont refusé de participer aux activités des abolitionnistes, qu’ils considéraient comme perturbatrices et indisciplinées. Leur position était connue sous le nom de « quiétisme ». Il y avait aussi beaucoup de gens qui ont été dérangés par certains points de vue marginaux sur le gouvernement et la religion organisée tenus par des membres très importants de l’AASS. William Lloyd Garrison et ses partisans, connus sous le nom de Garrisonians, qui plaidaient ouvertement pour une approche de l’anarchisme avaient une influence particulièrement polarisante sur le vaste mouvement anti-esclavagiste.
Certains défenseurs des droits des animaux, notamment Gary Francione, qui a façonné la soi-disant « approche abolitionniste », et ses partisans aiment comparer la lutte pour la libération des animaux à la lutte des abolitionnistes de l’esclavage, se voyant dans une situation similaire. Qu’est-ce qu’ils trouvent particulièrement inspirant ?
Je crois que les abolitionnistes des droits des animaux modernes, au sens de Gary Francione et d’autres, aiment la position sans compromis et sans équivoque des abolitionnistes de l’esclavage. Ils semblent également très attachés aux deux tactiques qu’ils associent étroitement aux Garrisoniens et aux autres immédiatistes du 19e siècle: l’abstention et la persuasion morale. Voici, à titre d’exemple, une citation représentative de Gary Francione :
Garrison était clair : si vous vous opposez à l’esclavage, vous arrêtez de participer à l’institution. Point. Vous émancipez vos esclaves. Vous rejetez l’esclavage et vous n’avez pas honte de votre opposition. Vous n’essayez pas de le cacher. Vous exprimez ouvertement et sincèrement, mais de manière non violente, votre « opposition morale persistante et sans compromis » à l’esclavage, qui est « un système d’immoralité sans bornes ». De même, si vous pensez que l’exploitation des animaux est une mauvaise chose, la solution n’est pas de favoriser une exploitation « heureuse ». La solution consiste à devenir végétalien, à définir clairement le véganisme en tant que fondement moral sans équivoque et à s’engager dans une éducation végane créative et non-violente afin de convaincre les autres de ne pas participer à un système d ’« immoralité sans bornes ». (2)
Je crois fermement, cependant, que les parallèles que les abolitionnistes des droits des animaux établissent entre leur position et celle des abolitionnistes de l’esclavage du 19e siècle sont faux et reposent sur une compréhension très superficielle du mouvement abolitionniste d’origine et de la réalité sociale et politique dans laquelle il se trouvait émergé.
Regardons d’abord cette « persuasion morale ». Quelle était l’importance de cette tactique pour les abolitionnistes de l’esclavage ?
La société américaine anti-esclavagiste a eu recours à la persuasion morale dans les années 1830 pour mettre fin à l’esclavage en faisant appel à la conscience chrétienne des propriétaires d’esclaves et en les convaincant que l’esclavage était un grand péché et devait être immédiatement abandonné. C’était une tactique religieuse employée par ce qui était essentiellement un mouvement religieux.
L’AASS a vu le jour à la suite du « Deuxième Grand Réveil », un réveil religieux protestant qui a balayé les États-Unis au cours de la première moitié du 19e siècle. Les personnes associées au Grand Réveil ont souligné le pouvoir d’un individu à renoncer au péché et à encourager ses frères chrétiens à lutter pour leur sainteté personnelle.
Presque tous les premiers abolitionnistes sont issus de ce milieu. En fait, l’AASS peut être considéré comme une coalition laïque de revivistes quakers, baptistes et congrégationalistes, qui souhaitait inciter les propriétaires d’esclaves à renoncer au péché d’esclavage et à libérer volontairement leurs esclaves.
Quelle forme cette persuasion morale a-t-elle prise dans la pratique ?
La tactique s’est traduite par une campagne de propagande massive. Pendant près de deux ans, l’AASS a imprimé de 20 000 à 50 000 brochures anti-esclavagistes par semaine. Ils les ont envoyées par la poste à des propriétaires d’esclaves, à des responsables des gouvernements fédéral et des États, à des politiciens, à des rédacteurs en chef de journaux, à des ministres et à des prédicateurs de tout le pays, mais plus particulièrement du Sud. En 1836, les abolitionnistes inondèrent les États-Unis de propagande anti-esclavagiste, envoyant plus d’un million de pamphlets, affiches, recueils de chansons et même de lectures pour les jeunes enfants.
Les abolitionnistes ont également envoyé leurs conférenciers les plus engagés dans des tournées de conférences dans le Nord, tenu des réunions publiques dans les principales villes du nord, organisé des foires, des bazars et des pique-niques, ainsi que des veillées et des groupes de prière.
Quel a été le succès de ces efforts ?
Tout cela a nécessité d’énormes ressources et des milliers d’activistes, mais les résultats ont été très décourageants. Alors que certains propriétaires d’esclaves ont libéré leurs esclaves, la grande majorité des habitants du sud ont réagi avec une hostilité extrême à la propagande des abolitionnistes, notamment en brûlant des courriers abolitionnistes dans des bureaux de poste et en violant des abolitionnistes et en entraînant la mort de plusieurs d’entre eux. En fin de compte, la campagne s’est révélée contre-productive. Cela a en réalité durci l’engagement des propriétaires d’esclaves envers l’esclavage.
Comment ?
Après la guerre d’indépendance, beaucoup de Sudistes ont cru que l’esclavage était un mal, bien qu’il fût un mal nécessaire. Au début de 1840, cela changea et, pour beaucoup de Sudistes, l’esclavage était devenu – pour citer un discours du sénateur Albert Gallatin Brown du Mississippi – « une grande bénédiction morale, sociale et politique – une bénédiction pour l’esclave et une bénédiction pour les maître ”(3). Lors d’un discours tristement célèbre, John C. Calhoun a insisté sur le fait que « l’esclavage était un bien positif » (4), il résultait directement de la « campagne postale » des abolitionnistes.
Les abolitionnistes ont-ils réalisé que ce qu’ils faisaient ne fonctionnait pas ?
Ils l’ont réalisé. Dans les années 1840, la plupart d’entre eux avaient décidé de renoncer à la persuasion morale en tant que méthode de sensibilisation. Deux tactiques majeures sont alors apparues au sein du mouvement abolitionniste. Certains abolitionnistes ont commencé à se concentrer sur des campagnes politiques, d’autres sur ce que les érudits modernes appellent « l’abolitionnisme révolutionnaire » — aider les esclaves fugitifs, perturber l’efficacité de la loi sur les esclaves fugitifs, se préparer à l’insurrection des esclaves, etc.
Les abolitionnistes politiques ont fondé le Parti de la liberté, dans le seul but de rendre l’esclavage illégal. Le parti n’a pas réussi. Son meilleur résultat électoral a représenté moins de 3% du vote populaire. Mais le parti abolitionniste a ensuite fusionné avec le Free Soil Party, qui est rapidement devenu une force politique majeure dans le Nord et peut être considéré comme un précurseur du parti républicain de Lincoln.
Tous les abolitionnistes ont-ils participé à la campagne politique ?
Non. Les Garrisoniens, en particulier, étaient hostiles à toute forme de gouvernement et trouvaient l’engagement politique à la fois inutile et immoral. Au lieu de cela, ils ont préconisé la désunion, c’est-à-dire la sécession des États libres du nord des États-Unis.
Le générique du Liberator, qui était le principal organe de presse des Garrisoniens, renfermait le fameux slogan « Aucune union avec les propriétaires d’esclaves ». C’était évidemment une position extrêmement controversée qui ne pouvait pas attirer un soutien important.
Mais les Garrisoniens ont également participé à des efforts plus pragmatiques – ils ont aidé à établir des écoles, des églises, des bibliothèques, etc. non séparées, et ont mené avec succès une campagne contre la ségrégation dans les voitures, les trains et les bateaux à vapeur.
Qu’en est-il de l’abstention des produits esclavagistes ? Les abolitionnistes du 19e siècle ont-ils considéré cela comme une base morale sans équivoque et un véritable test de son engagement pour la cause, comme semble l’impliquer Gary Francione ?
La constitution de l’AASS a encouragé ses membres à privilégier les produits du travail libre, mais cela ne signifie pas pour autant que les abolitionnistes considèraient l’abstention comme un impératif moral.
L’abstention a d’abord été utilisée comme tactique par les abolitionnistes britanniques à la fin du XVIIIe siècle. Ils ont utilisé une approche minimaliste du boycott, en concentrant leurs efforts sur quelques produits soigneusement sélectionnés. En boycottant le sucre et le rhum produits par les esclaves des Antilles (îles des Caraïbes), ils voulaient exercer une pression économique sur les industries dépendantes de l’esclavage et, à terme, rendre l’esclavage non rentable. L’objectif économique n’a pas été atteint, mais le boycott a joué un rôle déterminant dans la création d’un mouvement de masse d’abolitionnistes dévoués qui ont mis fin à l’esclavage en Grande-Bretagne.
Inspirés par l’exemple britannique, les abolitionnistes américains ont choisi une voie plus radicale. À partir des années 1830, ils ont mis en place des dizaines d’organisations vouées à l’abstention de tous les produits issus du travail d’esclaves. Ils ont également ouvert plus de 50 « magasins de produits libres », qui vendaient exclusivement des produits exempts de travail forcé. Cependant, beaucoup d’entre eux ont été de courte durée.
Quel a été le retentissement de cette abstention auprès du grand public américain ?
Elle n’a jamais attiré une foule de partisans, même parmi ceux qui avaient une conviction anti-esclavagiste. Éviter complètement les produits du travail esclave était beaucoup plus difficile que de simplement boycotter du sucre ou du rhum (ce que les Britanniques avaient fait). L’offre de produits libres ne suffisait pas à satisfaire même les plus petites demandes et les magasins de produits libres devaient régulièrement faire face à des ruptures de stock. Et la qualité des produits était généralement faible, alors que les prix étaient trop élevés pour la plupart des Blancs et presque tous les Noirs libres.
En fin de compte, la dépendance exclusive vis-à-vis des produits libres exigeait un tel dévouement à la cause que seuls les abolitionnistes les plus engagés pourraient la maintenir, souvent au détriment de se concentrer sur d’autres activités anti-esclavagistes (5).
Il semble que, tout comme dans le mouvement végan aujourd’hui, l’impact et l’efficacité de la pureté personnelle étaient en discussion.
Exactement. Le parallèle va encore plus loin. L’abstention est devenue un sujet de discorde majeur au sein du mouvement abolitionniste. Les Garrisoniens, qui avaient initialement soutenu la cause des produits libres, ont par la suite commencé à les critiquer. Ils se sont rendu compte que, dans la pratique, l’abstention détournait l’énergie de la lutte contre l’esclavage en déplaçant l’attention portée du militantisme à la morale personnelle.
L’analyse des documents et des lettres d’information produits par les défenseurs de l’abstention révèle que les abstentionnistes se focalisaient de plus en plus sur la pureté personnelle et sur une « conscience de sincérité et de cohérence », de posséder des « mains propres », de « ne pas communier avec les ouvriers d’iniquité ». (6)
Cette obsession des « mains propres » a d’ailleurs été un problème majeur pour les propriétaires des magasins de produits libres, qui devaient constamment rassurer leurs clients sur le fait que les produits qu’ils vendaient étaient exempts de travail forcé.
Cela me semble assez familier…
C’est vrai, n’est-ce pas ? Finalement, la propre justice des « abstentionnistes » est devenue insupportable même pour les abolitionnistes profondément religieux, qui, comme Garrison, luttaient pour la sainteté dans leur vie privée. À la fin des années 1840, pratiquement toutes les personnalités du mouvement anti-esclavagiste avaient fini par s’opposer à « l’abstention », en tant que tactique majeure destinée à créer un changement. En conséquence, l’abstentionnisme dans les années 1850 fut associé presque exclusivement à une très petite fraction des quakers.
Donc, contrairement à ce que semblent suggérer certains abolitionnistes des droits des animaux de nos jours, le mouvement pour l’abstention était très petit, insignifiant et en contradiction avec le mouvement anti-esclavagiste au sens large.
Même aux foires anti-esclavagistes, tous les produits vendus ne sont pas des produits libres. Les abolitionnistes ont justifié leurs actes d’achat et de vente des produits du travail forcé par leur engagement en faveur de la cause de l’esclave. Comme William Lloyd Garrison l’a expliqué au cours d’un débat avec des abstentionnistes, « qui, si ce n’est l’abolitionniste, a si bien le droit d’utiliser les produits du travail de l’esclave au nom de qui il travaille ? » (7)
Ainsi, si l’on devait interpréter les commentaires de Garrison dans le contexte des débats modernes sur le véganisme, son approche de l’abstention serait beaucoup plus proche d’une position connue sous le nom de « compensation morale », plutôt que du « véganisme en tant qu’impératif moral » de Francione.
Qu’entendez-vous par « compensation morale » ?
C’est une idée popularisée au sein de la communauté altruiste efficace par Scott Alexander de la renommée du Slate Star Codex. L’essentiel est que vous puissiez compenser certaines de vos « lacunes » en faisant une bonne action appropriée. Disons par exemple que vous vous sentez l’obligation morale d’être végétalien, mais que, pour une raison quelconque, vous ne pouvez pas vous engager pleinement dans le véganisme. Vous compensez ainsi votre « dépendance au chocolat au lait » par un don à une organisation de défense des droits des animaux, qui l’utilise ensuite pour financer des campagnes visant à mettre un terme à l’élevage intensif de vaches laitières.
Notez que je ne dis pas que la « compensation morale » est une approche appropriée, mais simplement que c’est plus proche de ce que Garrison préconisait en matière d’abstention, plutôt que d’un « fondement moral ».
En tant que végétalien, après avoir examiné le mouvement anti-esclavagiste chez certains, quels sont, selon vous, les principales leçons à retenir ?
Tout d’abord, assurez-vous d’étudier réellement les mouvements avec lesquels vous prétendez partager une affinité et desquels vous pensez tirer des leçons. Le mouvement abolitionniste américain n’était pas un monolithe. Il comprenait de nombreuses factions différentes, qui se querellaient presque constamment sur des questions fondamentales et mineures relatives à l’esclavage et à l’émancipation. Il n’y avait pas une seule tactique abolitionniste. Les Garrisoniens en utilisaient une, les abstentionnistes une autre et les abolitionnistes politiques ou constitutionnels une autre. Parfois, les factions ont coopéré – par exemple lors d’une campagne de pétition qui a toutefois été rapidement étouffée par l’adoption d’une loi bâillon par le Congrès américain – mais il n’est pas approprié de parler d’une stratégie ou de tactique abolitionniste.
Deuxièmement, comprenez que le fait qu’une tactique ait fonctionné à un moment donné n’implique pas une applicabilité universelle. Les abolitionnistes américains ont suivi de très près les traces du mouvement anti-esclavagiste britannique et, même s’ils ont essayé des approches similaires, ils n’ont pas été en mesure de reproduire le succès britannique. Pour une raison très évidente. Les États-Unis étaient beaucoup plus dépendants de l’esclavage que la Grande-Bretagne, ce qui signifiait que les abolitionnistes américains opéraient dans un environnement différent et beaucoup plus difficile que les Britanniques.
En outre, nous ne devrions pas trop nous attacher à une tactique et être toujours prêts à mettre à jour nos méthodes. Le mouvement anti-esclavagiste américain était au départ très attaché à la persuasion morale, puis l’a abandonnée pour passer à une stratégie de changement institutionnel. Une chose semblable s’est produite en ce qui concerne l’abstention d’achat. Lorsque les abolitionnistes se sont rendus compte que les maigres résultats du boycott n’en valaient pas la peine, la grande majorité d’entre eux ont adopté une tactique différente.
Enfin et surtout, nous devrions reconnaître les limites des histoires inspirantes et des personnalités. J’admire profondément les abolitionnistes américains. Il est difficile de ne pas être inspiré par leur courage incroyable, leur engagement de toute leur vie pour la cause de l’esclave et leur persistance nécessaire pour défier une institution si profondément ancrée dans le système social, économique et politique de leur pays. Mais nos héros n’étaient pas infaillibles (par exemple, les abolitionnistes américains étaient un groupe extrêmement querelleur, et beaucoup d’entre eux étaient impliqués dans des querelles personnelles amères et prolongées) et ne devraient pas nous fournir un plan pour changer le monde. Surtout un qui est tellement différent du leur.
Références
OL Jackson, Le journal du colonel, Ohio 1922, p. 34
Cité dans JM McPherson, Cri de guerre de la liberté. La guerre civile américaine, New York 1990, p. 56
Discours sur la réception de pétitions en faveur de l’abolition, février 1837, dans JC Calhoun, discours de John C. Calhoun. Livré au Congrès des États-Unis de 1811 à nos jours, New York 1843, p. 225
Voir RK Nuermberger, Le mouvement Free Produce: une manifestation des quakers contre l’esclavage, Durham 1942.
E. Heyrick, Abolition immédiate et non progressive: ou Une enquête sur les moyens les plus courts, les plus sûrs et les plus efficaces de se débarrasser de l’esclavage des Indes occidentales, 2e éd., Boston 1838, p. 35
RK Nuermberger, op. cit., p. 102.
Littérature sélectionnée
M. Sinha, La cause de l’esclave. Une histoire d’abolition, Yale University Press 2016.
JB Stewart, La politique abolitionniste et le début de la guerre civile, The University of Massachusetts Press 2008.
AS Kraditor, moyens et aboutissements dans l’abolitionnisme américain. Garrison et ses critiques sur la stratégie et la tactique, 1834-1850, Pantheon Books 1967.
RK Nuermberger, Le mouvement Free Produce: Une manifestation des quakers contre l’esclavage, Duke University Press, 1942.
LB Glickman, Acheter pour le bien de l’esclave: l’abolitionnisme et les origines de l’activisme des consommateurs américains, « American Quarterly », volume 56, numéro 4, décembre 2004, p. 889-912.
H. Mayer, Tous en feu. William Lloyd Garrison et l’abolition de l’esclavage, WW Norton & Company 1998.
JR Jeffrey, La grande armée silencieuse de l’abolitionnisme. Femmes ordinaires dans le mouvement anti-esclavagiste, Presses de l’Université de Caroline du Nord, 1998.
L. Perry, Abolitionnisme radical: l’anarchie et le gouvernement de Dieu dans la pensée anti-esclavagiste, Cornell University Press, 1973.
Pour un aperçu critique de l’abolitionnisme moderne relatif aux droits des animaux, voir
LE Chiesa, La défense des droits des animaux: pourquoi l’abolitionnisme s’effondre en welfarisme et ce que cela signifie pour l’éthique animale, « Revue de droit de l’environnement de Georgetown », Vol 28, 2016, p. 557-587, disponible en ligne à l’adresse https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2905054
Assurez-vous de lire « All on Fire » d’Henry Mayer. William Lloyd Garrison et l’abolition de l’esclavage ». C’est l’une des meilleures biographies que j’ai jamais lues et je lis des biographies intellectuelles pour gagner ma vie.
Le 50by40 Corporate Outreach Summit, organisé par ProVeg International et la Humane Society of the US, a eu lieu du 27 au 29 avril 2018 à Berlin. Je considère qu’il s’agit d’une étape importante pour le mouvement végane. Dans ce billet, je vais résumer brièvement certaines des choses que j’ai apprises, ou dont je me souviens, ou que je veux simplement partager.
Les participants à cette conférence étaient unis par l’objectif « 50by40 », qui est l’ambition globale de réduire de 50% la production internationale de produits d’origine animale d’ici 2040. Cet objectif est tout à fait conforme (quoique légèrement plus ambitieux par rapport) aux objectifs d’organisations comme Greenpeace, WWF et Compassion in World Farming, qui ont des objectifs similaires. Le sommet a été organisé pour réunir un grand groupe d’organisations du mouvement végane et des droits des animaux, et pour bâtir une alliance internationale afin de collaborer à la réalisation de cet objectif. La devise de la conférence était : « Si vous voulez aller vite, allez-y seul ; si vous voulez aller loin, allez-y ensemble« .
Cette conférence était probablement la conférence la plus internationale sur le véganisme ou les droits des animaux à laquelle j’ai jamais assisté, avec des gens de plus de trente pays différents et de six continents. Les participants étaient pour la plupart des membres du personnel ou des bénévoles importants d’organisations de leurs pays respectifs, avec quelques universitaires dans le tas. Même si les groupes présents provenaient principalement des milieux animaliste et végane (il y avait aussi des organisations environnementales, comme Greenpeace), l’idée serait de créer une plateforme plus large à l’avenir. Il y a un nombre pratiquement illimité d’intervenants qui pourraient appuyer l’objectif de réduction de 50 % d’ici 2040, y compris les organismes de santé et d’environnement, les entreprises et les gouvernements.
Pour moi, cette conférence était à bien des égards un témoignage de notre croissance et de notre maturation en tant que mouvement. Les gens qui étaient là, et le contenu de nos discussions, ont témoigné d’un professionnalisme croissant, d’un accent sur l’impact institutionnel, du développement de nos compétences et de notre expertise, et même d’une conscience croissante de la nécessité de nous tourner vers l’intérieur et de maîtriser nos propres démons intérieurs (j’y reviendrai).
J’ai commencé mon propre exposé en racontant à l’auditoire un incident survenu lors d’une conférence végétarienne dans les années 80 (je crois), où les délégués végétariens sont tombés malades en mangeant des haricots insuffisamment cuits et ont dû être transportés à l’hôpital. Cette petite anecdote avait pour but de montrer le chemin parcouru. Il fut un temps où nous ne pouvions même pas cuisiner correctement à nos propres fêtes, et maintenant certains d’entre nous montrent le chemin aux Sodexos, Compas et Aramark de ce monde ! Ce qui m’amène à….
La restauration
Cette conférence portait en effet sur le changement institutionnel, sur le fait de faire des choses qui ont un grand impact en s’adressant aux bonnes personnes. Kristie Middleton et Ken Botts, tous deux de la HSUS, en ont donné des exemples très impressionnants. Le programme Forward Food de la HSUS a déjà formé 4 000 professionnels de la cuisine, y compris dans certaines des écoles les plus prestigieuses. Le programme a permis de passer de 350 millions de repas d’origine animale à des repas d’origine végétale, ce qui a permis de sauver plus de 140 millions d’animaux.
Ken Botts est responsable de la première cafétéria entièrement végane aux États-Unis (peut-être dans le monde), dans un lieu qui n’est autre que l’Université du Nord du Texas ! Fort de ce succès, la HSUS travaille maintenant avec Aramark et Compass, et collaborera bientôt avec Sodexo. Cette collaboration et cette formation ne se déroulent pas seulement aux États-Unis ; la HSUS met en relation ses contacts américains chez chacun de ces traiteurs avec des employés clés de ces entreprises dans d’autres pays. Le programme est passé des États-Unis à l’international en une seule année. Ken Botts savait que le fait d’avoir une réussite locale leur permettrait de remonter la chaîne.
Du Portugal et de NunoAlvim est venu un autre grand exemple de changement institutionnel. La Société végétarienne portugaise a réussi à faire pression en faveur d’une loi qui rend l’option végétalienne obligatoire dans toutes les cafétérias publiques. À l’heure actuelle, quatorze pour cent des repas consommés dans les hôpitaux, par exemple, sont d’origine végétale.
Et puis, il y a le Brésil. Comme si le succès des Brésiliens avec le programme Meatless Monday (grâce auquel des millions et des millions de repas végétaliens sont offerts chaque année) n’était pas suffisant – grâce à Guilherme Carvalho de la Société Végétarienne Brésilienne – HSI (Humane Society International) a collaboré avec un procureur du district de Bahia pour s’assurer que d’ici 2019, les écoles de quatre villes seront entièrement végétaliennes ! Sandra Lopes de HSI Brésil nous a dit que cette collaboration se traduira par 23 millions de repas végétaliens par an, pour 33 000 étudiants, dans 137 écoles et garderies !
Il y a eu d’autres exemples et témoignages de Kristin Höhlig, Katleen Haefele et Paula Rassman sur le fait que Proveg Allemagne s’adresse aux services alimentaires et aux écoles, ainsi que d’Alan Darer et Charlie Huson de Mercy For Animals’ de HSI Royaume-Uni. La plupart de ces intervenants ont explicitement mentionné que le mot « végane » est toujours effrayant ou peu attrayant pour leurs partenaires institutionnels, et que vous ne pouvez pas les approcher avec un message sur les droits des animaux. Il est préférable de parler d’alimentation végétale, de protéines végétales ou d’une alimentation consciente…..
Supermarchés et restaurants
Évidemment le changement institutionnel ne signifie pas seulement tendre la main aux grandes entreprises de restauration. Mahi Klosterhalfen de la Fondation Albert Schweitzer en Allemagne nous a parlé de leur système de classement des supermarchés et de la façon dont il contribue à accroître l’ambition des entreprises en créant une saine concurrence entre elles. Melanie Jaecques d’EVA en Belgique a fourni des chiffres intéressants issus de recherches à grande échelle sur la consommation de viande en Belgique, et a présenté un graphique montrant comment la consommation de viande en Belgique semble chuter significativement plus vite que dans d’autres pays européens (une des quelques raisons pour lesquelles je peux être fier de la Belgique).
Alison Rabschnuk du Good Food Institute (États-Unis) a parlé du classement des restaurants. GFI a observé qu’il existe d’énormes possibilités de fournir des aliments à base de plantes sur le marché extérieur. Ces efforts pourraient être particulièrement gratifiants puisque 33 % de toutes les ventes sur ce marché sont réalisées par les cent premiers restaurants. Alison a souligné que GFI ne vise pas principalement à rendre les choses plus faciles pour les végétaliens (bien que cela devrait être l’effet final), mais plutôt à fournir des options pour les flexitariens. En fait, dans leur Good Food Scorecard, les restaurants obtiennent des points supplémentaires s’ils n’utilisent pas des mots comme « végane », « végétarien » ou « sans viande » (« végétal » est accepté) ! Ils recommandent que les restaurants soient aussi subtils que possible dans leur étiquetage.
Quelques mises en garde
Nous ne devons pas nous leurrer nous-mêmes. Le défi est encore énorme, et tout ne sera pas qu’arcs-en-ciel et papillons à partir de maintenant. Leah Garces de Compassion of World Farming États-Unis nous a mis en garde contre ce qu’on peut appeler des fausses victoires. Plus d’aliments d’origine végétale ne signifie pas nécessairement moins d’aliments d’origine animale. Depuis l’introduction des boulettes de viande végétaliennes, la consommation de viande dans les restaurants Ikea, par exemple, a augmenté. La réduction n’est pas simple pour les entreprises. Les objections les plus souvent entendues de leur côté sont qu’il y a un manque de demande et que les produits sont encore beaucoup trop chers. Selon Leah, si nous voulons réussir, nous allons devoir être ouverts à toutes sortes de solutions, y compris certaines que nous n’aimons pas, comme les « produits mélangés » (voir cette interview avec Jos Hugense de Meatless).
Alors que Nathalie Rolland (Université de Maastricht) voit surtout des bénéfices dans la viande propre (« clean meat »), Arianna Ferrari a pris la position de l’avocat du diable sur ce sujet. Elle a dit que nous avons tendance à surestimer les avantages environnementaux de la viande propre et que les études d’analyse du cycle de vie montrent une image plus modeste. Nous ne devrions pas non plus fétichiser le progrès technologique, qui a une longue histoire d’échecs. Et nous ne devons pas perdre de vue les dangers et les inconvénients des monopoles, des brevets, des questions de justice distributive et de l’accès aux innovations. Arianna avait aussi des questions sur la souffrance animale et la viande propre. Une biopsie est-elle nécessairement sans cruauté ? La viande propre pourrait-elle perpétuer l’asymétrie entre les humains et les non-humains ? Ses arguments ne m’ont pas entièrement convaincu, mais il est bon que quelqu’un prenne une position critique sur ce sujet important.
La montée à l’Est
J’ai été très impressionné par la présence de tant de personnes et de groupes d’Asie de l’Est, et j’ai été ému par ce qui se passe dans ce coin lointain du monde. Frando Hakuryu et Haruko Kawano ont parlé de leur travail avec Vege Project au Japon, et Mavis Chang et Charlene Yeh ont parlé de la sensibilisation au végétalisme faite par la Tse-Xin Organic Agriculture Foundation, qui était l’hôte d’une formation de militantisme végane de CEVA que Melanie Joy et moi avons donnée récemment à Taïwan. Nous avons également entendu parler de Goal Blue en Chine, et nous avions écouté plusieurs autres groupes d’Asie de l’Est la veille de la conférence. Hazel Zhang m’a impressionné avec sa Veg Planet à but lucratif en Chine, qui compte déjà une quinzaine d’employés rémunérés et touche un grand nombre de personnes. Le mouvement en Asie de l’Est est jeune, mais il bouge et prend de l’ampleur. C’est aussi inspirant de voir que de plus en plus de groupes américains ou européens prennent conscience de l’importance d’y travailler et apportent leur soutien. Ce qui se passe à l’Est ne restera pas à l’Est ; cela affectera le monde entier.
Qui est l’ennemi ?
Sebastian Joy, CEO de ProVeg International, a parlé de « l’impact collectif » et de ce qui est nécessaire pour une alliance réussie : une organisation dorsale assurant la coordination ; un agenda commun ; des mesures communes ; des activités qui se renforcent mutuellement ; et une communication ouverte et continue.
Aaron Ross, qui coordonne l’Open Wing Alliance (une coalition internationale travaillant pour de meilleures conditions de vie pour les poules), a parlé des défis de travailler ensemble au sein de notre mouvement. Les véganes ne semblent pas seulement manger des plantes, dit-il ; ils finissent parfois aussi par se manger eux-mêmes. Parmi les difficultés que nous avons à surmonter pour travailler avec d’autres groupes, Aaron a mentionné la logistique (coordination des ressources et de la communication à travers le monde sur de nombreux fuseaux horaires différents), l’idéologie (ce que nous définissons comme végane, ce que nous acceptons d’une entreprise…), les différences interpersonnelles (les chances de ne pas nous aimer les uns les autres semblent augmenter avec le temps), les personnalités difficiles, ou un manque de cohésion (trop de cuisiniers dans la cuisine).
Dans mon propre exposé, j’ai expliqué que nous pouvons travailler ensemble avec n’importe qui et que notre plus grand ennemi est peut-être… la mauvaise nourriture végétalienne (merci pour cette réponse, Eve !). Cependant, Aaron Ross a donné une réponse plus profonde et plus intéressante à la question « qui est l’ennemi ? ». L’ennemi, a-t-il dit, est à l’intérieur. L’ennemi est notre ego qui fait qu’il nous est difficile, parfois, de partager les victoires ou de nous créditer les uns les autres. Parfois, dit Aaron, nous semblons nous soucier davantage de notre réputation que d’aider les animaux.
Longtemps partisan et bailleur de fonds du mouvement, Ari Nessel a donné la même réponse à la question de l’ennemi. L’ennemi, aussi bien que la solution, c’est nous ! Pour réussir, dit Ari, il ne suffit pas de tendre la main vers l’extérieur ; nous devons aussi tendre la main à l’intérieur du mouvement et développer notre cœur et notre esprit. Avant et pendant la conférence, Ari a dirigé plusieurs séances de méditation pour les participants. Même si je suis complètement nul à la méditation, je peux voir son utilité pour le développement personnel et organisationnel, et je suis vraiment heureux que lui et d’autres personnes introduisent cette idée dans notre mouvement. En effet, nous ne pourrons travailler ensemble avec succès sur une question aussi vaste que la nôtre que si nous prenons conscience de nos propres tendances les moins efficaces. Et, plus que cela, nous pouvons peut-être apprendre à voir ceux que nous considérons comme nos ennemis, comme nos alliés. Comme des gens qui, en fin de compte, sont dans le même bateau humain.
D’autres conférences intéressantes ont été données par Jimmy Pierson de ProVeg Royaume-Uni, expliquant une nouvelle campagne « Peak Meat », Jasmijn De Boode Proveg International montrant combien d’acquisitions d’entreprises de produits végétaux par des entreprises de viande nous avons vu au cours de l’année dernière et pourquoi ce n’est pas nécessairement un problème. La chercheuse Helen Harwatt a expliqué un nouveau système d’accréditation pour les entreprises qui tiendrait compte de la santé, de l’environnement et des animaux. Pablo Moleman et Alexandra Kirsch de ProVeg ont parlé des sociétés de lobbying pour éliminer les petits ingrédients problématiques de leurs produits, ce qui pourrait sauver beaucoup d’animaux. Matthias Rohra, Directeur de l’exploitation chez ProVeg, est un homme qui a fait le saut du secteur à but lucratif (il travaillait chez Coca Cola) vers le secteur non lucratif. Nous étions tous heureux de voir d’autres personnes comme lui dans le public. En effet, le fait d’avoir à bord des personnes qui savent par expérience comment parler la langue des hommes d’affaires est d’une importance cruciale.
Cette conférence avait l’air d’un début. Le début de quelque chose de nouveau, quelque chose de plus puissant et plus fort que jamais auparavant. Je pense que si les animaux pouvaient nous voir, ils seraient fiers et pleins d’espoir. J’ai été heureux d’y participer et je remercie ProVeg et la Humane Society, en particulier David Pedersen et Kristie Middleton, d’avoir rendu cela possible.
Il semble que nous avons décidé d’aller loin en allant ensemble.