Noël est le moment de l’année où les organismes reçoivent la plus grande partie de leurs dons de leurs sympathisants et soutiens. C’est le moment* où nous pouvons tous les aider à atteindre nos objectifs communs.
J’ai déjà écrit au sujet de l’importance de l’argent et de l’importance des associations. Faire campagne pour les animaux – ou pour toute autre cause – peut se faire à une échelle locale ou bénévolement, et c’est très bien. Mais nous avons aussi besoin de grandes organisations pour faire la différence. Elles doivent payer leur personnel ; elles comptent sur le travail d’experts ; elles doivent financer des publicités pour faire passer leur message, etc. Plus elles ont d’argent, mieux c’est.
Beaucoup de gens sont cyniques à l’idée de donner, croyant (ou souvent utilisant comme excuse le fait) que leur argent ne serait pas bien utilisé, mais qu’il resterait bloqué en cours de route et qu’il ne servirait qu’à payer des frais généraux ou des associations surchargées de ressources. Il y a sans aucun doute des pertes, et il y a des organisations inefficaces, mais il y en a aussi beaucoup d’excellentes, où les personnes se démènent pour faire avancer les choses, et où les dirigeantes pensent stratégiquement, afin de générer autant d’impact que possible.
L’altruisme efficace, un mouvement et une philosophie jeunes, consiste à identifier les meilleures causes, organisations et interventions, et à leur faire des dons (ou à faire du bénévolat ou travailler pour elles). Au sein du mouvement de l’altruisme efficace, il existe des méta-organisations (voir ci-dessous) qui font des recherches sur ce qui fonctionne le mieux. Les recommandations de ces méta-organisations sont nos meilleures pistes pour faire des dons efficaces qui changent des vies.
Comparer les bonnes causes et les associations ne devrait pas être tabou. Lorsque nous achetons un ordinateur, nous investissons dans quelque chose qui devrait fonctionner. Il en va de même pour nos dons : nous voulons faire de bons investissements. En effet, s’il y a un domaine où nous devons insister sur un grand retour sur investissement, c’est bien celui de la diminution de la souffrance et du sauvetage de vies.
Voici quelques critères que les personnes qui s’identifient comme « altruistes efficaces » utilisent pour choisir les causes et les organisations qu’elles soutiennent :
au moment de choisir une cause, regardez le nombre de victimes et l’intensité de leurs souffrances. Le paludisme, par exemple, tue plus de personnes que les maladies neurologiques rares. Et certains problèmes sont plus horribles que d’autres.
examinez le besoin de financement et la valeur ajoutée de votre don. Beaucoup d’argent est amassé pour les maladies génétiques neuromusculaires grâce au Téléthon. Il est peut-être temps de faire un don à autre chose….
donnez à des organisations qui travaillent pour ou dans des pays plus pauvres, où votre argent peut avoir beaucoup plus d’impact parce que les coûts y sont plus bas.
consulter les conseils d’experts qui ont fait la recherche pour vous. Des organisations qui recommandent les associations auxquelles faire des dons sont par exemple Givewell, The Life you Can Save, et – pour les causes animales – Animal Charity Evaluators.
Du point de vue de l’Altruisme Efficace, la défense des animaux d’élevage est une excellente cause à laquelle donner. Non seulement un grand nombre d’animaux d’élevage souffrent énormément, mais cette cause est également très négligée. De tout l’argent provenant des dons américains, seulement 1,5 % va aux animaux, et de cette infime partie, seulement 1 % va aux animaux d’élevage.
Ainsi, les animaux d’élevage reçoivent 0,015% des dons aux Etats-Unis. Illustration : Dons aux Etats-Unis (source : Animal Charity Evaluators)
Enfin, quand vous donnez, faites-le savoir. Nous mettons beaucoup de choses sur nos murs Facebook qui peuvent faire rire les gens, mais nous sommes souvent timides à l’idée de partager nos bonnes actions, parce que nous pensons que ça ne se fait pas. Mais les personnes prennent leurs impressions de ce qu’est un bon comportement des autres. Lorsqu’elles voient beaucoup d’autres personnes autour d’elles qui font des dons, elles seront plus enclines à en faire elles-mêmes. Inversement, lorsqu’elles ne voient pas ce comportement, elles penseront que ce n’est pas un problème de ne pas faire de don. Donc, lorsque vous faites un don, parlez-en à d’autres personnes pour aider à normaliser le don. Pour donner un exemple, je donne chaque année 10% de mon revenu, ce qui s’élève à 2500 euros. Cette année, j’ai donné, entre autres, à Give Directly et à The Good Food Institute. Je viens de l’afficher sur Facebook. C’est un peu difficile, parce que vous vous ouvrez à la critique selon laquelle vous voudriez montrer à quel point vous êtes bon. Mais comme vous le comprenez, il ne s’agit pas de ça.
Vous n’avez peut-être pas d’argent à donner et vous faites du bénévolat. C’est super. Et, peut-être que vous n’avez pas le temps, mais que vous avez de l’argent. C’est très bien aussi, parce qu’avec votre argent, vous payez pour que d’autres personnes investissent du temps pour rendre le monde meilleur.
Merci pour quoi que vous fassiez, et bonne continuation !
*Je fais cette traduction en mars, mais c’est aussi le moment de donner hein !
« Nous avons la science, la logique et la morale de notre côté. Ce n’est qu’une question de temps avant que nous ne gagnions. »
La citation ci-dessus est de Bruce Friedrich, activiste très apprécié et de longue date, qui travaille maintenant à Farm Sanctuary. Je partage la conviction de Bruce qu’un jour, nous gagnerons. Je partage sa croyance dans le pouvoir de la science, de la logique et de la morale. Mais je suis heureux de voir que dernièrement, nous avons un nouveau facteur de notre côté : l’argent.
Ce n’est pas que le mouvement végane n’ait eu aucun argent dans le passé, mais aujourd’hui, c’est une toute nouvelle donne. Pour la première fois, on parie beaucoup d’argent sur les produits véganes. Des entreprises comme Hampton Creek, Beyond Beef et Impossible Foods ont littéralement récolté des centaines de millions de dollars de capital-risque. Pour découvrir d’autres de ces sociétés, cliquez ici.
Pour la première fois, les investisseurs peuvent entrevoir un avenir prometteur pour les alternatives à la viande, aux produits laitiers et aux œufs. Étant donné que la production de produits d’origine animale deviendra de plus en plus problématique pour des raisons environnementales et de plus en plus inacceptable pour des raisons éthiques, des gens comme Bill Gates et Biz Stone de Twitter ont ouvert leurs portefeuilles. Sergey Brinn de Google a investi dans la recherche sur la viande in vitro de Mark Post aux Pays-Bas, et Google a fait une offre d’achat pour Impossible Foods.
La valeur de la perception des investisseurs comme ceux qui parient actuellement sur des alternatives à la viande est importante : ces gens ne sont pas stupides. S’ils voient quelque chose d’intéressant dans les substituts de viande… eh bien, ça doit vouloir dire qu’il y a peut-être vraiment quelque chose derrière ça.
Mais au-delà de la simple valeur symbolique ou de la perception qu’on en a, les millions de dollars que ces investisseurs en capital-risque mettent à disposition permettent aux entrepreneurs de constituer des équipes de rêve et d’enrôler les meilleurs chercheurs, techniciens et spécialistes du marketing pour développer et commercialiser leurs nouveaux produits.
Si vous regardez la couverture médiatique à propos de ces nouvelles entreprises, vous pouvez voir que les entrepreneurs cherchent à imiter (et à améliorer) la viande (ou d’autres produits animaux) comme jamais auparavant. Ils veulent fabriquer un produit qui soit au minimum impossible à distinguer du produit animal original, mais qui, espérons-le, pourrait être encore meilleur. Et maintenant, ils ont l’argent, le cerveau et la technologie pour le faire. Les données à propos de Impossible Foods, Beyond Meat, Hampton Creek (substituts d’œufs) ou Muufri (vrai lait, mais pas d’animaux) sont à ce propos assez fascinantes.
Je pense qu’il n’est pas possible de surestimer l’importance de développer de bonnes alternatives aux produits d’origine animale. La viande a toujours une valeur symbolique (surtout dans les économies émergentes), mais en ce qui concerne les gens qui choisissent de manger de la viande pour des raisons culinaires, je suis sûr que presque personne n’insiste pour mettre dans sa bouche des morceaux d’un animal mort. Les gens recherchent plutôt un certain goût et une certaine texture. Si vous pouvez imiter exactement ce goût et cette texture (ou même les améliorer), et rendre les produits plus sains, plus durables et sans cruauté (tant que vous y êtes…) il n’y a aucune raison pour que nous ne puissions pas emmener les omnivores à manger ces « alternatives » plutôt que les « produits animaux d’origine ».
Il ne fait aucun doute que tous ces développements se produisent dans le cadre capitaliste classique, ce qui n’est probablement pas la solution idéale. Cependant, il est malavisé d’appeler tout cela du « consumérisme végane », qui n’aurait rien à voir avec l’éthique. Rendre notre société moins dépendante de l’utilisation des animaux en développant des alternatives (dans l’alimentation, la recherche, l’habillement) est une priorité absolue. Il est crucial que les gens aient de bonnes solutions de rechange si nous voulons qu’ils puissent laisser libre cours à leur compassion.
Avez-vous, comme moi, grandi en pensant que l’argent ne rend pas heureux et qu’il y a des choses beaucoup plus importantes dans la vie ? Avez-vous été élevé avec l’idée que l’argent est sale, et quelque chose à éviter ? Que la soif d’argent pourrait faire de vous une mauvaise personne ? Le résultat d’une telle éducation – et d’une telle façon de penser – peut être que vous êtes une personne gentille et attentionnée, avec moins d’argent que ce que vous auriez pu avoir. Et, c’est dommage, parce que vous auriez pu utiliser cet argent pour faire le bien.
L’argent : le Saint Graal ? Je me suis rendu compte que ce ne sont pas seulement les gens avides qui ont une relation problématique avec l’argent, mais aussi les gens que j’appellerai les « bienfaisants » [do-gooders] (avec tout mon respect, et par défaut d’un meilleur mot). Tandis que les gens avides peuvent vivre avec l’idée que l’argent est la chose la plus merveilleuse au monde et en vouloir toujours plus, les bienfaisants vont souvent le fuir autant qu’ils le peuvent, pensant que c’est une mauvaise chose. Ils verront la richesse comme un vice et la pauvreté comme une vertu (je sais que cette dichotomie entre les salauds avides et les bienfaisants est un peu trop simpliste, mais utilisons-la pour le bien de l’argumentaire).
Vous pourriez mal me comprendre Vous commencez peut être à vous boucher le nez, un peu dégoûté par le fait que sur ce blog « à but non lucratif », j’écrive sur le fait de faire – ou du moins de ne pas renier – de l’argent. Cela ressemble presque au texte d’un gourou de la finance qui vous dit que c’est votre droit de devenir riche, non ? Mais le fait que vous ayez ce sentiment prouverait exactement ce que je veux dire.
Laissez moi vous mettre un peu à l’aise. Tout d’abord, je ne parle pas de devenir super riche ici (je détaillerai ça plus tard). Je ne parle pas non plus de gagner davantage d’argent pour votre propre bien (bien que je ne condamnerais pas cela). Je suggère plutôt que nous apprenions à apprécier la valeur de l’argent pour les bonnes choses que nous pouvons en faire. Et non, je ne crois pas que les dons ou le philanthro-capitalisme résoudront tous les problèmes dans le monde, et je pense aussi que nous avons besoin de solutions plus systémiques. Je crois qu’il y a pas mal de problèmes avec la façon dont beaucoup d’argent est parfois gagné, avec le rôle que l’argent joue dans notre société et avec la façon dont les gens s’y prennent pour en gagner plus. Et aussi, je crois que le capitalisme débridé souffre de beaucoup de défauts.
Mais, je crois aussi que davantage d’argent entre les mains de gens bons et bienveillants est une bonne chose, et que les altruistes ne devraient pas laisser seuls les plus cupides gagner de l’argent.
Ma carrière sans beaucoup d’argent Parce que le fait de dire à des militants qu’ils devraient peut-être se soucier davantage de l’argent me donnera inévitablement l’air peu vertueux aux yeux de certains, permettez-moi d’ajouter que ma propre carrière de vingt ans comme défenseur des droits des animaux a été largement non rémunérée ou pour de très faibles profits. J’avais la possibilité de le faire, parce que ma compagne est propriétaire de la maison où nous vivons (grâce à ses grands-parents) ; nous n’avons donc pas à payer de loyer et nous en louons une partie par l’intermédiaire d’AirBnb, ce qui nous procure un peu plus de revenus. Le fait, cependant, que je puisse faire mon activisme sans être rémunéré ne signifie pas que je suis contre le fait que les gens gagnent de l’argent grâce à l’activisme. Si l’on peut gagner sa vie en continuant à faire quelque chose de bien, et ainsi avoir plus de temps pour le faire, quel serait le problème ?
20.000 euros à la poubelle ? Revenons là où nous en étions. Voici ce que j’ai réalisé : parce que je n’ai jamais appris à m’intéresser à l’argent, j’ai manqué des occasions de mieux faire. Mes parents sont des gens très éthiques qui se soucient de rendre le monde meilleur. Mais, en ne m’apprenant pas à valoriser suffisamment l’argent et en me donnant l’impression que je devrais m’en méfier, ils ont peut-être réduit par inadvertance mes chances de faire le bien.
Permettez-moi d’illustrer cela plus concrètement. Je me souviens qu’à un moment donné – il y a une vingtaine d’années – j’avais environ dix mille euros sur mon compte bancaire (à l’époque, c’était dans une monnaie différente, mais peu importe). Supposons que je n’aie pas eu besoin de toucher ce montant depuis lors, et qu’il soit resté dans mon compte d’épargne. Le taux d’intérêt moyen sur un compte d’épargne au cours des vingt dernières années en Belgique a été d’environ 2 %. Si j’avais investi les 10.000 € initiaux dans quelque chose (actions ou obligations, par exemple) qui m’aurait offert un taux d’intérêt plus élevé (disons un 7 % raisonnable et réaliste), mon capital aurait augmenté à environ 36.000 €. C’est une différence de plus de 20.000 €. Et c’est juste sur cette petite somme initiale. Notez que l’intérêt actuel est habituellement inférieur à 1 %, alors que les taux d’inflation sont à 2 % ; ainsi, votre argent perd rapidement sa valeur dans un compte d’épargne de base.
Einstein appelait l’intérêt composé la huitième merveille du monde
Le problème, c’est que je n’avais aucune connaissance financière et que je n’étais ni motivé ni stimulé pour en apprendre davantage à ce sujet. Einstein appelait l’intérêt composé la huitième merveille du monde (voir cette page pour en savoir un peu plus), mais je n’ai vraiment réalisé comment ça marche que cette année, à 44 ans. Ce n’est aussi que maintenant que je me rends compte que beaucoup de choses que nous pensons de l’investissement sont des clichés erronés, et que lorsqu’on le fait correctement et sagement, investir n’est pas aussi risqué que ce que la plupart des gens le pensent. En fait, une phrase que j’ai lue à maintes reprises est que “nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas investir”. Je suis peut-être particulièrement vieux jeu et lent, mais il doit y avoir beaucoup plus de gens comme moi – parmi les bienfaisants, surtout. (Je suppose que l’attitude « argent = mal » est plus répandue en Europe qu’aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde.)
Tout le bien que vous pouvez faire Si aujourd’hui, vous êtes toujours convaincue que l’argent est sale et mauvais, et que vous n’en voulez pas, votre réaction pourrait être : 1. “et alors ?” et 2. “investir comme ça est contraire à l’éthique, de toute façon”. Je vais répondre brièvement à ces arguments, mais je ne me fais pas d’illusion pour faire changer les plus anticapitaliste des lecteurs. Ce n’est pas grave. En ce qui concerne « et alors ? » : si vous y réfléchissez rationnellement pendant une minute, vous savez qu’il n’y a aucun doute que l’argent puisse être utilisé pour faire le bien. Vous pourriez faire du bien avec cet argent de plusieurs façons : – Vous pourriez en faire don à une association. – Vous pourriez l’investir dans une startup sociale et écologique. – Vous pourriez même vivre avec pendant un an ou deux ans (selon l’endroit où vous vivez), de sorte que vous n’ayez pas à occuper un emploi rémunéré et puissiez avoir davantage de temps pour faire du bénévolat. – Vous pourriez vous en servir pour monter votre propre projet.
Je pense qu’il est clair qu’il vaut mieux avoir cet argent que de ne pas l’avoir. À moins, bien sûr, que gagner cet argent en investissant ne soit nécessairement contraire à l’éthique (ce qui est la seconde objection). Il y a évidemment de nombreuses façons contraires à l’éthique de gagner de l’argent. Vous pouvez investir sans discernement dans des actions ou des fonds où votre argent sera utilisé pour de mauvaises choses. Mais il n’en est pas nécessairement ainsi, et de nombreuses banques offrent aujourd’hui des possibilités de placement éthiques. Ces derniers ne sont peut-être pas entièrement satisfaisants pour tout le monde, mais il est possible de trouver des façons d’investir sûres et saines, ou du moins neutres. De plus, en plus d’augmenter vos propres rendements, vous aideriez ces entreprises à croître en les aidant à mobiliser des capitaux. Et, si vous le souhaitez, en tant qu’actionnaire, vous pourriez même participer et voter à leur assemblée générale annuelle et aider à déterminer le cours de l’entreprise. Certains diront qu’en participant au marché boursier, on contribue à un système qui est fondamentalement faussé et problématique. Mais il en va de même si vous placez votre argent sur un compte d’épargne – parce que c’est aussi une façon d’investir et de contribuer à des systèmes que vous pourriez réprouvez – et avec encore moins de contrôle, en plus ! Beaucoup d’entre nous ont probablement des idées simplistes sur le capitalisme. Cette conférence de Jonathan Haidt illustre bien cela.
Regardons d’autres objections à l’idée de se faire de l’argent – qui m’ont toutes influencées à un moment ou à un autre, ou qui m’influencent encore partiellement.
« L’argent corrompt. Les gens qui s’intéressent à l’argent ne se soucient pas des autres. » Je ne pense pas qu’il y ait une loi de la nature qui dicte que l’argent corrompt. Il se peut aussi que les gens qui sont avides au départ soient ceux qui acquièrent beaucoup d’argent, plutôt que l’inverse. En tout cas, dans ce post, je ne parle pas du tout de l’accumulation impitoyable de richesses par tous les moyens possibles. Je parle simplement de donner un peu d’intérêt à l’argent et de l’investir de façon éthique, afin que nous ayons davantage de moyens à notre disposition pour faire le bien. N’oubliez pas non plus les gens qui sont devenus vraiment riches et qui, à cause de cela, retournent une grande partie de leur richesse à la société et l’investissent, par exemple, dans le mouvement animaliste ou tout autre mouvement. Notre mouvement est en fait financé dans une large mesure par des gens qui ont gagné beaucoup d’argent (espérons de la façon la plus sympathique possible) et qui en font don à une cause qui leur tient à cœur.
« L’argent n’a pas d’importance. » Certaines personnes – souvent celles qui s’intéressent à la spiritualité – soutiennent que l’argent n’est pas ce qui fait tourner le monde et qu’en réalité il est sans importance. « Il ne s’agit pas de ce que vous avez, mais de qui vous êtes », etc. Je dirais : essayez de dire ça aux pauvres. Il est probable que seuls ceux qui sont assez privilégiés peuvent dire de telles choses (même s’il peut y avoir quelques grains de vérité dans ces opinions ici et là).
« L’argent et le rôle qu’il joue dans notre société est fondamentalement problématique. » Tant que nous ne sommes pas plus éclairés et que nous n’avons pas les moyens de nous fournir librement ce dont nous avons besoin, l’argent est un moyen pratique d’échanger des biens et services. En même temps, je pense que c’est un moyen assez primitif, et je peux imaginer des sociétés et des mondes dans lesquels nous ne l’utiliserions plus. Trop de choses sont déterminées par l’argent dont nous disposons, et ne devraient pas l’être. Voici un exemple simple : pour une personne avec peu d’argent, il est beaucoup plus difficile de prendre un train en première classe. Pourtant, il se peut qu’elle en ait un plus grand besoin : elle peut avoir besoin de réfléchir, avoir des problèmes de concentration, souffrir de crises de panique et avoir davantage besoin de calme, etc. Le fait que son niveau de richesse détermine comment elle peut voyager ne semble pas optimal du tout.
Si nous voulons de nouveaux systèmes, nous aurons aussi besoin d’argent pour cela. Même si vous détestez le capitalisme et que vous voulez le renverser, vous le ferez probablement plus vite si vous avez de l’argent pour aider à créer un mouvement. Dans mon pays, on tente de créer un nouveau type de banque (une banque du peuple). Pour commencer, ils ont besoin… d’argent. Je pense qu’une bonne façon de voir les choses est que tout nouveau système que nous allons construire sera construit en partie ou principalement avec l’argent des anciens systèmes…
Mes conclusions préliminaires Si j’avais des enfants (je n’en ai pas et je ne veux pas), j’essaierais de leur enseigner que l’argent n’est pas une fin en soi, mais qu’en tant que moyen pour atteindre de nobles résultats, il peut être extrêmement utile. Je m’assurerais qu’ils ne grandissent pas en pensant que l’argent, et que gagner de l’argent, est mauvais, pervers ou corrupteur. J’essaierais de les élever avec le désir de devenir des gens intègres, qui valorisent aussi l’argent pour le bien qu’ils peuvent en faire. Je leur enseignerais quelques notions de finance et les avertirais de ne pas sous-estimer ou surestimer les risques associés aux placements.
Beaucoup de personnes bienfaisantes pourraient aussi repenser légèrement leur relation avec l’argent. Il serait bon que les mouvements altruistes informent leurs membres et leurs militants de l’importance de l’argent. Si les jeunes commencent à investir judicieusement et durablement à l’âge de 22 ans, par exemple, après l’obtention de leur diplôme, ils peuvent se constituer un capital qui peut faire une différence incroyable dans le monde. Je n’ai pas regardé les chiffres et je ne sais pas s’il y en a, mais je soupçonne que de nombreux militants, tous mouvements confondus, sont des personnes avec peu de capital. Et si nous étions mieux nanties, et si nous avions davantage de moyens à dépenser pour notre mouvement et notre propre bonheur ? Et si on ne laissait pas l’argent aux seuls cupides. L’argent, bien qu’il soit souvent l’objet d’abus ou considéré comme une fin en soi, n’est rien de plus qu’un outil. C’est un outil tout comme le marketing est un outil. Nous pouvons choisir de nous abstenir d’utiliser ces outils et de laisser leur utilisation entre les mains de personnes qui sont souvent susceptibles d’en abuser, ou nous pouvons les utiliser nous-mêmes et en faire quelque chose de bien.
PS : vous voulez en savoir plus sur les placements financiers ? Les sites web sur la question sont innombrables, mais j’ai trouvé ce podcast vraiment bon.
Le 28 janvier 2017, j’ai eu une discussion en direct Facebook avec Casey Taftsur le thème de la défense du véganisme. Casey est le fondateur de Vegan Publishers, auteur de Motivational methods for vegan advocacy : A clinical psychology perspective, et est professeur de psychiatrie à la l’école de médecine de l’Université de Boston. Pour ce qui est de la militance végane, Casey estime que la promotion d’un objectif final végane clair est le meilleur moyen de réduire et de mettre fin à l’utilisation des animaux et que nous devrions veiller à ne pas promouvoir ce qui contribue le plus à notre utilisation des animaux (le spécisme). Pour ma part, je crois que même s’il y a une place pour cette approche, ce n’est pas ce dont on a le plus besoin à l’heure actuelle. Je maintiens que demander aux gens de réduire leur consommation de produits d’origine animale est utile pour créer un monde végane et ne constitue pas une trahison des principes véganes ou des animaux. Cet article est en partie un résumé, en partie une analyse de la discussion que nous avons eue. Tout au long du texte, je ferai des liens vers des articles de blog connexes que j’ai déjà écrits.
Une discussion courtoise de part et d’autre Tout d’abord, malgré nos différents points de vue, la discussion entre Casey et moi a été amicale et civilisée, et j’ai trouvé en Casey une critique respectueuse de mes opinions. Lorsque j’ai accepté la suggestion de Casey de parler, c’était pour moi mon premier objectif : avoir une discussion constructive bien que nos opinions divergent. Au niveau méta, je suis très intéressé par la façon dont des personnes ayant des opinions très différentes peuvent encore avoir des conversations courtoises (c’est un peu un des objectifs déclarés par Sam Harris pour son podcast Waking Up). En raison de nos expériences différentes, de notre éducation différente, de notre ADN différent, nous sommes tenus de vivre le monde différemment et d’avoir des opinions différentes sur bien des choses. Je crois que l’une des principales conditions pour créer un monde meilleur est que nous soyons capables de discuter de ces différences. Lorsque nous rencontrons des personnes qui ont des opinions différentes, il est important d’être charitables les unes envers les autres et de commencer par croire que l’autre personne a de bonnes intentions. Donc, je suis reconnaissant que Casey et moi ayons pu le faire.
Points d’accord Bien que nos points de vue soient très différents, ce n’est pas que Casey et moi sommes en désaccord sur chaque question ou aspect du militantisme végane. En lisant son livre, en préparation de notre discussion, je me suis retrouvé d’accord avec un certain nombre de choses : évidemment avec l’objectif abolitionniste, mais aussi l’idée qu’en fin de compte les gens doivent voir ce que nous faisons aux animaux comme une question de justice sociale.
Je suis d’accord avec lui sur l’importance d’une conversation respectueuse mais assertive, et sur le renforcement des comportements positifs plutôt que la punition des comportements non désirés. Je comprends qu’il veuille construire un mouvement plus grand en incluant des groupes démographiques qui ont été largement exclus du militantisme végane. Je partage sa position contre la misanthropie. Je conviens que nous n’avons pas assez de recherches pour dire trop de choses avec un degré de certitude trop élevé.
Une approche pragmatique La principale différence entre nos approches est que Casey croit que nous ne devrions jamais préconiser moins que le véganisme, et que si nous le faisons, nous trahissons les animaux, ainsi que nos convictions, et que nous pourrions ainsi saper activement notre argumentaire en faveur du véganisme. Moi, par contre, je crois qu’il n’y a, pour ainsi dire, aucune obligation morale de toujours et partout présenter le véganisme comme une obligation morale. S’il y a une obligation, c’est de faire ce qui marche.
Il est important de souligner que la stratégie que je suggère – sur ce blog, dans mes conférences et de façon plus détaillée dans mon livre How to Create a Vegan World – n’est pas la seule stratégie qui devrait remplacer toutes les autres. Il s’agit plutôt d’une stratégie complémentaire, mais – je pense – nécessaire. Je crois qu’en cela je diffère de beaucoup d’ »abolitionnistes » qui croient qu’il n’y a qu’une seule bonne façon de défendre le véganisme, et qui considèrent tout ce qui est moins que cela comme une aberration à la fois inefficace et contraire à l’éthique. Il est tout aussi important de souligner que je crois au même objectif : l’idée que nous devrions cesser d’utiliser les animaux à des fins humaines et minimiser la souffrance animale.
Mon opinion, très brièvement, est qu’il est plus facile d’amener beaucoup de personnes à réduire leur consommation que d’amener beaucoup de personnes à devenir véganes, et que, par conséquent, c’est le moyen le plus rapide de faire basculer le système : les flexitariennes sont celles qui ont été et sont le moteur de la demande de produits alternatifs végétaux. Une demande plus élevée (en particulier de la part de ces flexitariennes) conduit évidemment à une offre plus importante de bonnes alternatives. Grâce à plus d’alternatives, il devient de plus en plus facile pour tout le monde de passer à une alimentation à base de plantes (voir Ce que le véganisme peut apprendre du sans-gluten) et à être ouvert aux arguments éthiques en faveur des animaux. J’insiste sur le fait qu’en plus d’essayer d’influencer l’opinion des personnes dans l’espoir qu’elles changeront leur comportement, nous devons aussi les aider à changer leur comportement en premier (manger davantage végétal, quel que soit le degré ou leur raison), afin qu’elles ouvrent plus facilement leur cœur et leur esprit à la situation horrible dans laquelle se trouvent les animaux. Un autre exemple serait aussi le cas des végétaliens soucieux de leur santé qui évoluent vers le véganisme éthique.
Ce vers quoi vous tendez dépend de la où vous en êtes. Nous sommes actuellement tellement investis dans l’utilisation des animaux, tant au niveau individuel qu’au niveau sociétal/économique, qu’il est très difficile de commencer à penser différemment à propos de la consommation d’animaux. (Une rapide introduction à mon point de vue dans cette vidéo.)
Si nous sommes d’accord qu’une masse critique de flexitariennes est importante, il est également important de voir quels arguments convainquent les personnes à réduire leur consommation de produits animaux. La santé et l’environnement semblent être des arguments efficaces dans ce contexte ; nous devrions donc les utiliser.
Le pragmatisme = trahison ? Maintenant, Casey et d’autres sont peut-être d’accord pour dire que tout cela est peut-être vrai, mais que pour nous, végétaliens, préconiser la réduction, c’est tolérer implicitement la consommation d’animaux et minimiser la question de justice sociale qu’est le véganisme ou le droit des animaux. L’un des arguments souvent utilisés pour appuyer cette affirmation est de dire que nous ne le ferions pas dans le cas des humains. Nous ne préconiserions pas une réduction de l’esclavage, une réduction de la violence familiale, une régulation de la violence faite aux enfants ; nous demanderions que cela cesse.
Cet argument semble très élégant à première vue, mais je crois qu’il est tout à fait faux. J’ai déjà écrit à ce sujet (voir Sur la comparaison des droits des animaux avec d’autres questions de justice sociale et Les lundis sans esclavage, mais en gros, comparer, par exemple, la violence faite aux enfants ou le fait de battre sa femme en mangeant des produits animaux, c’est comparer quelque chose que 99 % des gens détestent et acceptent d’interdire complètement, avec quelque chose que presque autant de gens non seulement approuvent mais célèbrent.
Les défenseurs du point de vue de Casey peuvent alors répondre : mais peu importe ce que les gens pensent de ces questions, ce qui compte, c’est que nous pouvons comparer les animaux humains et non humains et que nous avons raison de le faire. Eh bien, je crois que si nous voulons mettre au point une approche efficace pour empêcher les gens de faire quelque chose, nous devons vraiment tenir compte de la situation actuelle de la société, et pas seulement de notre situation en tant que militantes. Comparer le fait de manger des produits d’origine animale à celui de battre sa femme sera souvent inefficace, et les gens peuvent se sentir fortement accusés et moralement mis en question (les sentiments d’hostilité ne conduiront généralement pas à des changements).
D’ailleurs, si vous croyez vraiment que ces questions sont (presque) identiques, alors qu’en est-il de ceci : que feriez-vous si vous voyiez un homme battre sa femme, ou un enfant, ou si vous voyiez quelqu’un acheter un esclave ? Si vous en aviez le pouvoir, vous l’arrêteriez, non ? Donc, étant donné que ces questions seraient comparables, êtes-vous moralement obligée d’en faire autant lorsque vous voyez des gens acheter de la viande dans un supermarché ou la préparer dans leur cuisine ? Devriez-vous saisir la viande de leurs mains ou les empêcher physiquement d’acheter ou de cuire de la viande ? Il ne me semble pas. L’analogie, comme toutes les analogies, n’est peut-être pas parfaite, mais je pense que cela montre que même nous, véganes, pensons que ces situations et problèmes sont différents. De même, bien que j’apprécie le l’expérience de Casey et tout ce qu’il fait pour les animaux et les victimes de violence familiale (et les agresseurs), je crois qu’il est problématique de comparer le traitement des agresseurs familiaux avec le traitement des non-véganes. Par exemple, Casey écrit que la plupart des agresseurs qu’il traite ont reçu l’ordre des tribunaux de le voir, ce qui est révélateur de la différence, en soi.
J’argumentais autrefois comme Casey, depuis une position de « fondement moral ». J’ai changé d’avis et d’approche après des années de plaidoyer et de campagne. L’essentiel pour moi n’est pas d’être cohérent avec mon idéologie ou mes théories, mais d’être cohérent avec les résultats. Si quelque chose donne de bons résultats, je le ferai. Je me sentirai fidèle à moi-même et à mes croyances, même si, selon certains, mon approche n’est pas conforme à l’orthodoxie végane (lire à ce propos : Véganisme : idéologie contre résultats).
Recherche sur l’efficacité Un autre point sur lequel je ne suis pas d’accord avec Casey, c’est notre opinion à propos de la recherche effectuée par des organismes comme ACE (Animal Charity Evaluators), Faunalytics (anciennement le Humane Research Council) et d’autres. Casey a qualifié leurs recherches de pseudoscience et a décrit comment leurs études ne suivaient pas les principes de base de la science. Bien que j’apprécie le fait que, d’après son expérience en tant que professeur de psychologie clinique avec beaucoup d’expérience pratique, Casey puisse apporter beaucoup de points intéressants au débat, je suis sûr qu’il sait aussi qu’il n’est pas le seul expert. Je n’entrerai pas dans le détail des études en question, mais je ferai simplement quelques commentaires généraux à ce sujet.
Comme je l’ai dit, je conviens que nous n’avons pas été en mesure de mener assez de recherches pour énoncer beaucoup de choses avec un très haut degré de certitude. Notez que cela ne signifie pas que nous n’avons rien pour l’instant. De plus, il y a aussi beaucoup de choses que nous pouvons tirer de recherches plus générales dans des domaines comme la psychologie, le marketing et la sociologie. Il y a aussi le bon sens, et nos expériences combinées – même si nous devons être prudentes avec toutes ces sources de données et de connaissances. Quoi qu’il en soit, je suis très heureux que de plus en plus d’argent soit accordé et investi dans la recherche.
Casey semble éprouver une grande méfiance à l’égard des résultats de la recherche (effectuée principalement par les groupes susmentionnés) jusqu’à présent, notamment parce que – si je l’ai bien compris et interprété – les résultats (préliminaires) semblent souvent indiquer que les demandes incrémentielles sont justifiées. Casey s’appuie sur des théories et sur sa propre expérience qui, selon lui, pointent dans des directions différentes, basées sur des théories et des recherches psychologiques, telles que la théorie de la fixation des objectifs et le modèle transthéorique de changement (les étapes du changement). Il ne croit pas que les résultats des travaux dans ces domaines suggèrent que les demandes incrémentielles soient les plus efficaces et que, dans le cas de Faunalytics et autres, les données ont été interprétées de manière biaisée pour confirmer les opinions originelles (incrémentielles) des chercheuses. Casey parle ici principalement de l’étude Faunalytics sur les anciennes végétariennes et végétali ennes. Che Green de Faunalytics a répondu dans la section commentaire de cet article par Casey. Je ne suis pas d’accord avec les conclusions que Casey tire de la recherche – voir Que pouvons-nous apprendre de la recherche sur les ex-végétariens ?
Je pense que dans tout cela, il est utile de se demander : qu’est-ce qui pourrait nous faire changer d’avis ? J’ai l’impression que certaines personnes – je ne dis pas nécessairement Casey ici – n’accepteront aucune preuve, car les accepter irait à l’encontre de leurs théories. En d’autres termes, il n’y a aucun moyen de contredire les conclusions de ces personnes (ce qui est révélateur d’une attitude non-scientifique).
Personnellement, je fais assez confiance aux recherches effectuées par des groupes comme ACE et Faunalytics. Leurs études ont été menées dans le but précis de découvrir ce qui fonctionne, et ils n’ont aucun intérêt à se leurrer eux-mêmes. Même s’il serait sage de rester critique (comme pour tout), j’aime à supposer que les personnes travaillant sur la recherche en appuis du plaidoyer végane feraient de leur mieux pour éviter les méthodologies bancales et donc les résultats erronés.
Les grands groupes et l’argent Je ne partage pas non plus la méfiance de Casey à l’égard des « grands groupes ». Il est tout à fait possible que de grandes organisations s’égarent et recueillent parfois simplement de l’argent pour financer leur propre existence, sans faire grand-chose pour les causes qu’elles défendent. Cependant, il n’y a évidemment aucune raison de penser que c’est toujours ou même habituellement le cas. Si une bonne organisation est capable de recueillir beaucoup d’argent, c’est une bonne chose. Les grandes organisations ont besoin de fonds pour payer leur personnel et, par conséquent, doivent recueillir des fonds. Plus un groupe peut consacrer d’heures de travail à la libération des animaux, plus les animaux seront aidés (non, tout ne sera pas fait par des bénévoles). L’argent est une ressource nécessaire non seulement pour libérer plus de temps de travail, mais aussi pour faire de la sensibilisation. Mieux nous utilisons cet argent, le plus nous pourrons en recevoir des gens, des entreprises et des gouvernements (souvent en le détournant d’autres usages, plus neutres ou moins nobles – voir L’argent de l’argent dans notre mouvement).
Concilier différents points de vue Casey et moi avons terminé notre discussion en examinant ce que nous pouvons faire pour mieux nous entendre et pour concilier ces points de vue parfois opposés. Voici quelques idées :
J’ai parlé de ce avec quoi j’ai commencé ce poste : la confiance. Nous devons être capables de croire que nous avons toutes les mêmes bonnes intentions (même si aucune d’entre nous n’est entièrement pure dans ses intentions – nous sommes humaines, pas saintes). (voir aussi : Les abolitionnistes et les pragmatiques peuvent-elles jamais se faire confiance ?)
Nous devons également garder l’esprit ouvert et être prêts à changer d’opinion. Et, nous devons pratiquer ce que j’appelle la slow opinion.
Bien que certaines approches soient nettement meilleures que d’autres et que toutes les stratégies n’aient pas été créées sur un pied d’égalité, tant que nous ne savons pas exactement ce qui fonctionne le mieux, le pluralisme stratégique et le fait d’expérimenter différentes approches sont (dans une certaine mesure) de bonnes choses.
Il est possible que différentes approches puissent être mieux appliquées dans différents contextes. Une approche végétalienne « sans complaisance » (unapologetic) peut être utile dans les conversations individuelles où l’on voit que la personne est ouverte d’esprit, alors que les approches incrémentielles et pragmatiques peuvent faire beaucoup mieux dans le cas de tentatives pour provoquer un changement institutionnel. En effet, essayer de changer les individus (comme le font souvent les personnes qui militent seules ou les groupes locaux) est très différent de plaider pour un changement institutionnel (comme le font souvent les groupes plus grands et plus professionnels). De même, il est souvent plus efficace d’aborder les politiciens avec un message sur la santé ou l’environnement que de les aborder avec un message sur les droits des animaux ou un message végane « sans complaisance ». Comprendre ces différences contextuelles peut nous rendre plus tolérantes à l’égard d’approches auxquelles nous n’adhérons habituellement pas. (Voir aussi : La militance végane : la différence entre les individus et les groupes).
Ce qui est efficace est aussi une question de facteur temps. Les choses qui peuvent ne pas fonctionner (ou ne pas fonctionner de façon optimale) aujourd’hui pourraient très bien fonctionner (ou fonctionner beaucoup mieux) dans dix ou vingt ans. Je pense que pour le moment nous devrions adopter une approche essentiellement pragmatique et qu’au fur et à mesure que le temps passe et que les gens deviennent de moins en moins dépendants des produits animaux, une approche sans complaisance sera de plus en plus productive. (voir aussi : La bonne stratégie au bon moment.)
Encore une fois, malgré nos différences, j’apprécie le travail que fait Casey et j’apprécie le fait que nous ayons eu une discussion constructive.
Vous avez déjà lu des articles à propose de l’importance de savoir prendre son temps au quotidien ? Je ne suis pas vraiment fan. Du moins, pas pour les progressistes, celles* qui veulent faire du monde un endroit meilleur. Ce sont des personnes qui doivent être rapides et productives. Quand on parle de commerce, je suis tout à fait en faveur d’y aller plus doucement. « La vitesse n’a pas d’importance, » a dit Gandhi, « si vous allez dans la mauvaise direction. » Cependant, les bonnes causes, les organisations à but non lucratif, les actrices du changement, vont généralement dans la bonne direction. Alors bonne chance dans leurs avancées, en leur souhaitant de ne pas trop avoir à ralentir.
Cependant, il y a un domaine où je crois qu’être rapide est presque toujours une erreur : la formation d’opinions. Les forums Web, les médias sociaux – où il faut une seconde pour mettre un commentaire ou un sarcasme – contribuent à « l’opinion rapide ». C’est donc le moment de lancer un nouveau concept : après le slow food et le slow tout, permettez-moi de vous présenter le slow opinion.
Les opinionnistes lentes sont conscientes de la complexité de la vie et de la société actuelle. C’est pourquoi elles refusent de se forger une opinion avant d’avoir bien réfléchi et d’être bien informées.
Mais la lenteur de l’opinion ne se limite pas à une réflexion approfondie et à l’information. C’est aussi une question d’empathie. Les opinionnistes lentes se demandent : comment serait-ce d’être à la place de ces personnes ? Quels sont les arguments importants pour elles ? Dans quelle position se trouvent-elles ? Pourraient-elles avoir une bonne raison de dire, d’écrire ou de faire cela ? De quoi ne suis-je pas au courant dans cette discussion ?
Un avantage de la lenteur de l’opinion – peut-être le plus grand – est que le jugement, la condamnation et l’offense des autres sont réduits à leur minimum. La slow opinion devrait s’appliquer envers presque tout et à tout le monde, y compris les politiciens et autres célébrités. Ce sont aussi des gens.
La slow opinion implique également que l’on peut respecter le fait que quelqu’un ne veuille pas prendre une décision tout de suite, parce qu’elle manque d’information ou n’a pas eu le temps de réfléchir à cette question. Une telle suspension d’opinion ne doit pas être perçue comme un manque de volonté, une faiblesse ou un manque d’intelligence, mais doit être interprétée comme une sorte de processus de maturation nécessaire pour parvenir à une décision de qualité ou à une opinion solide.
Cette lenteur ne doit pas non plus être considérée comme une neutralité injustifiée ou le refus de prendre position (même si ce dernier peut être honorable en soi). Cela s’applique également lorsqu’il s’agit de sujets apparemment évidents. Chacun peut penser à des exemples par lui-même, mais dans mon entourage, par exemple, il est évident d’être anti-OGM, de condamner certains partis politiques et politiciens, d’être antireligieux, etc. La lenteur de l’opinion s’applique à toute question à laquelle les progressistes croient avoir déjà trouvé la réponse il y a longtemps, lorsqu’il semble tabou d’oser ne serait-ce que d »y réfléchir ou douter de la question.
La slow opinion est à ne pas confondre avec certaines choses. Ce n’est pas la même chose que de faire des réunions ou des discussions sans fin. Et elle n’a pas besoin d’être appliqué dans toutes les circonstances. Il y a des moments où une opinion rapide est cruciale, et où c’est la seule chose que nous pouvons faire. Et je comprends qu’il y a des moments où notre passion ou notre expertise nous mènera à une avoir une opinion rapide.
La slow opinion a ses inconvénients. Le plus grand danger est ce qu’on appelle la paralysie de l’analyse : trop réfléchir, essayer de prendre trop de choses en compte et donc ne pas arriver à une conclusion, ou seulement beaucoup trop tard. C’est une excellente façon d’ennuyer les gens, et cela bloquera ou retardera chaque processus.
Mais quand la slow opinion est bien faite, c’est une excellente chose. Imaginez que tout le monde, avant de dire ou d’écrire quelque chose, prenne la slow opinion à cœur. Imaginez des personnes qui, en participant aux discussions, ne diraient pas oui ou non trop vite. Imaginez des personnes qui donnent à leurs émotions la bonne place, qui veulent penser rationnellement, objectivement, logiquement avant d’arriver à une conclusion. Des personnes qui veulent être informées et qui disent : « Laisse-moi y réfléchir, je te recontacte. » Des personnes qui demandent : « Aurez-tu un bon article sur cette position, que je pourrais lire avant de répondre ? » Des personnes qui sont honnêtes envers elles-mêmes et qui sont prêtes à changer d’avis. Des personnes qui ne se contentent pas de poser leurs avis, mais qui posent aussi de vraies questions pour mieux comprendre. Et qui lorsqu’elles formulent leur position, le feraient en disant « à mon humble avis » de temps en temps, et ne le feraient pas ironiquement, mais sincèrement.
Je crois que le mouvement végane peut beaucoup bénéficier de la slow opinion et de l’approfondissement de la réflexion. Cela nous aiderait à porter moins de condamnations, tant dans notre camps que dans celui d’en face. Et cela nous aiderait à éviter le dogmatisme inhérent à une grande partie de notre mouvement et nous aiderait à être ouvertes aux idées nouvelles.