Beaucoup de gens sont scandalisés par ce qui arrive aux chiens lors du festival de la viande de chien de Yulin. Je parle ici de gens qui n’ont pas de soucis au quotidien à ce qu’on élève et tue des animaux d’élevage pour les manger. J’ai vu beaucoup de végétaiens dénoncer l’hypocrisie et/ou le racisme de ces occidentaux qui s’offusquent de ce qui arrive à ces chiens en Chine, tout en n’ayant aucun problème à manger des vaches, des cochons ou des poules.
L’attitude de ces végétaiens me pose quelques problèmes, pour plusieurs raisons.
D’abord, je suis content de voir que les gens puissent au moins être choqués par la souffrance de certains animaux. Ça arrive de temps en temps. Traiter ces gens d’hypocrites n’encourage pas vraiment la compassion dont ils font preuve. Cela a au contraire tendance à leur faire croire que cette compassion serait déplacée. C’est en soi malheureux, mais en plus cela provoque encore davantage de rejet des véganes et des gens qui militent pour les animaux.
Évidemment, le racisme joue un rôle dans la réaction de certaines personnes (et beaucoup de messages sont clairement racistes). Une médiatisation massive de ce qui se passe au festival de Yulin pourrait même provoquer encore plus de racisme. Pourtant, il est simplificateur et dangereux d’affirmer trop vite que l’indignation d’une personne serait forcément raciste, alors même que ce racisme n’est pas explicitement exprimé.
Ce n’est peut-être pas très rationnel de leur part, mais on peut comprendre que ces gens déplorent la consommation d’animaux qu’eux-mêmes considèrent comme des animaux de compagnie. Aussi irrationnelle que soit la différence que nous faisons entre les cochons et les chiens, c’est une réalité sociale, et il serait stupide de ne pas en tenir compte. De plus, les chiens de Yulin ne sont pas abattus de la même manière que les vaches ici. Ça ne fait certes pas une grosse différence, mais les animalistes qui pensent que l’étourdissement ne fait aucune différence devraient s’imaginer être égorgés avec ou sans s’être fait défoncer la boite crânienne préalablement. Je ne suis pas disposé à nier ou à minimiser cette différence, tout comme je ne suis pas disposé, en tant que végane depuis 17 ans et « abolitionniste », à nier l’utilité des réformes visant à diminuer les souffrances des animaux dans les élevages.
Tout cela ne veut évidemment pas dire que les nations occidentales fassent « mieux » que les Chinois : en effet, les personnes vivant aux Etats-Unis ou en Europe occidentale mangent généralement beaucoup plus de viande que les chinoises. De plus, la militance en faveur des animaux est également en train de se développer en Chine. Il y a de la compassion partout, et il est difficile de pointer du doigt les autres nations. Mais cela ne signifie pas pour autant que la compassion de nos compatriotes omnivores pour les chiens chinois soit déplacée.
Quelle est donc la bonne façon de s’adresser aux omnivores qui sont indignés par le festival de Yulin en Chine ? Je pense qu’il faut d’abord laisser le bénéfice du doute et reconnaître l’indignation comme un signe de compassion plutôt que comme un signe de racisme ou d’hypocrisie : c’est une meilleure base pour établir premier contact. On peut ensuite montrer que nous apprécions cette compassion, et dire que la même compassion est la raison pour laquelle nous ne mangeons pas du tout d’animaux, car les cochons, les poules et les vaches présentent les mêmes caractéristiques pertinentes que les chiens et les chats. Nous pouvons aussi essayer de souligner le caractère arbitrairede nos choix alimentaires.
Nous pouvons alors espérer que certaines de ces personnes indignées voudront peut-être mettre leurs convictions sur la consommation de viande en accord avec leurs convictions à propos des chiens et chats. Ce qui se passe en Chine est un excellent moyen d’aider les gens à penser à notre consommation d’animaux en général. Mais cela doit se faire en les encourageant, et non en les dissuadant.
Si vous vous intéressez à ce qui pourrait mesurer le succès du mouvement végane, un indicateur important pourrait être :
À combien de personnes avons–nous pu apporter une expérience gustative végane mémorable ?
Quand les personnes se font à l’idée que manger végane peut être savoureux, il y a beaucoup de chance qu’elles soient plus ouvertes aux arguments pour le véganisme ou à l’idée que les intérêts des animaux d’élevage doivent être pris en compte (j’ai déjà beaucoup écrit à ce sujet).
Bien sûr, beaucoup de personnes – végétaliennes ou non – achètent des produits véganes dans les supermarchés ou essayent des plats végétaliens au restaurant (ou à la maison) tous les jours. Cependant, je m’intéresse ici à comment atteindre celles qui ne sont pas enclines à le faire par elles-mêmes : des personnes qui pourraient avoir des préjugés contre la nourriture végétale (qui serait monotone, sans goût, trop difficile à préparer, etc.). Étant donné qu’elles ne sont pas prêtes à dépenser de l’argent pour des produits ou des plats véganes, comment pouvons-nous leur mettre quelque chose de végane dans les mains et dans la bouche ?
Un moyen est ce que j’ai appelé le véganisme furtif : simplement ne pas mentionner qu’un produit, un plat ou même un restaurant, est végétalien, afin d’éviter les préjugés. Mais examinons d’autres options.
Faire mordre quelqu’un dans un aliment végane est, bien sûr, plus compliqué sur le plan logistique que de leur donner un dépliant, de leur envoyer un courriel ou de leur faire regarder une vidéo d’une minute (les moyens habituels par lesquels les véganes font du plaidoyer). Vous devez investir dans la nourriture, l’apporter aux gens, la préparer, la servir (puis, idéalement, faire un suivi pour estimer l’impact et les aider à continuer dans leur démarche). Bien que nous ne puissions pas forcer qui que ce soit à manger, il existe plusieurs façons de réduire la distance entre le client réticent et un (délicieux) produit végane.
D’un point de vue logistique, la façon la plus simple, bien sûr, c’est que les fabricants offrent eux-mêmes des échantillons de leurs produits, dans des endroits où beaucoup de gens viennent, font leurs courses ou mangent. Cela peut être dans une foire, dans un endroit très fréquenté de la ville, ou dans les restaurants et les supermarchés eux-mêmes. Un fabricant (ou un magasin) veut vendre autant de produits que possible, il est donc logique qu’il fasse goûter ses produits au plus grand nombre de personnes possible, considérant que la dégustation permettra de vendre davantage.
Au delà de ce qui est évident, permettez-moi de vous offrir quelques idées moins conventionnelles pour inciter les gens réticents à goûter à la nourriture végétale.
1. Distribution d’échantillons d’aliments véganes proposés dans les lieux de restauration J’ai récemment entendu parler de ce que je soupçonne être une installation particulièrement efficace pour distribuer des échantillons : imaginez une cafétéria d’entreprise (ou un autre restaurant), où les clients ont (tous les jours ou certains jours) la possibilité de mettre un plat végane sur leur plateau, plutôt qu’un plat de viande. Par défaut, les distributions des plats de viande seraient beaucoup plus élevées que les distributions de plats véganes. Mais s’il y avait des gens qui distribuaient des échantillons du plat végane (ou seulement de l’alternative à la viande dans ce plat – par exemple un nugget végétal) à l’entrée de la cafétéria, pendant que les clients attendent en ligne, le pourcentage de plats véganes vendus pourrait augmenter considérablement. Un représentant d’une entreprise produisant des substituts de viande m’a dit que jusqu’à la moitié des clients choisissent alors le plat végane ! Des militants pourraient faire ce travail, mais il pourrait aussi être fait par le personnel des entreprises de restauration. Ce qui est bien, c’est que si une ou deux grandes entreprises de restauration (comme Sodexo, Elior ou Compass…) lançaient de telles campagnes, ce serait un moyen de couvrir structurellement une grande partie de la population. Cela peut se faire aussi bien dans les écoles que dans les restaurants d’entreprise. Au niveau méta, des associations végétariennes faisant pression sur les traiteurs pour qu’ils fassent ce genre de choses (et peut-être les aident à proposer des lundis, semaines ou mois sans viande), pourraient avoir un impact considérable, surtout si nous parlons à de très grandes entreprises.
2. Promotions de « marques mixtes » J’appelle ici « marque mixte » une marque ou une entreprise qui a à la fois des produits à base de viande et des produits à base de légumes dans sa gamme. Ces entreprises disposent de certains moyens pour convaincre leurs propres clients – qui connaissent déjà leur marque – d’essayer leurs nouveaux produits véganes. J’ai vu des cas où l’emballage d’un produit à base de viande comporte une publicité pour une variante végétarienne, que l’on voit lorsque l’on retire le couvercle chez soi, comme dans cet exemple, par la société allemande Rügenwalder.
Mais il y a d’autres possibilités. Jetez un coup d’œil à ces dessins (désolé pour la qualité graphique) :
Ces idées peuvent évidemment nécessiter des efforts logistiques, et il est facile de voir qu’elles ne s’adressent pas aux véganes, mais je pense qu’il y a ici un grand potentiel pour atteindre des client·e·s réticent·e·s là où ça compte : à l’estomac.
Les entreprises pourraient avoir de très bonnes raisons d’essayer ces tactiques, car il devient de plus en plus important pour elles de prendre de plus en plus pied sur le marché végane. Une motivation supplémentaire pourrait être que dans certains cas, il pourrait y avoir une marge bénéficiaire plus élevée sur les produits végétaux.
Pensez aussi à la valeur ajoutée d’une grande marque, à qui les gens font confiance. Lorsque les consommateurs de viande voient une version végétarienne d’un produit qu’ils connaissent et en qui ils ont confiance, ils sont plus susceptibles de l’acheter que lorsqu’il s’agit d’une marque qu’ils n’ont jamais vue auparavant. Un graphique de la société d’études de marché GFK que j’ai regardé récemment (et que je ne présente pas ici pour des raisons de propriété industrielle), a montré la pénétration du marché (c’est-à-dire combien de personnes ont effectivement essayé le produit) des tranches végétales pour sandwich en Allemagne. La variation végétarienne d’une marque réputée avait une pénétration de 48%, alors qu’une entreprise concurrente n’arrivait pas à dépasser… les 2 % !
3. Les militant·e·s véganes comme troupe pour les dégustations De nombreuses personnes militent dans la rue et apportent des messages animalistes, via des conversations, des tracts ou des vidéos. C’est une très bonne chose, mais je pense que ces interventions auraient davantage d’impact si elles étaient accompagnées d’une dégustation d’aliments typiquement véganes. Un nugget végétal (un des aliments les plus faciles à distribuer) peut servir d’initiateur de conversation, elles peut rendre les gens moins réticents à discuter de souffrances animales (puisqu’ils constatent qu’ils n’ont pas tellement à y perdre).
Je pense que le mouvement animaliste pourrait organiser des dégustations à bien plus grande échelle que ce n’est le cas actuellement. Potentiellement, nous pourrions faire déguster des dizaines de milliers d’échantillons chaque jour, dans la rue, dans les festivals et foires, avec ou sans occasion spéciale pour ça.
Kane Rogers et Mei Wong, deux militants australiens, mènent la campagne The food you choose à Melbourne. Cette campagne a principalement pour but de faire goûter aux gens des aliments véganes. Kane et Mei ont une certaine expérience de la distribution d’échantillons. Je leur ai demandé leurs conseils les plus avisés pour organiser les meilleures sessions de dégustation possibles. Voici ce qu’ils suggèrent :
Ne leur dis pas que c’est végétal… au début. Comme l’étiquetage d’un produit comme « végane » semble pour l’instant être un blocage pour beaucoup, il vaut mieux ne pas en parler au tout début. Il serait donc judicieux d’indiquer quelques alternatives sur les panneaux ou bannières telles que « Dégustation gratuite de produits responsables », ou « Dégustations de fromages sans cholestérol ». Adaptez-vous à votre public. Une fois que les gens ont essayé l’aliment, demandez-leur ce qu’ils en pensent. C’est important d’avoir leur réaction d’abord, afin qu’ils ne changent pas leur opinion par la suite.
Faites la grande révélation Faites savoir à la personne qu’elle vient juste de manger un produit 100% végétal. Les gens n’aiment pas être trompés, donc assurez-vous qu’ils ne puissent pas considérer s’être fait avoir. Un moyen pour cela est de leur demander « De quoi pensez-vous que c’est fait ? ». Certaines personnes pourraient être déstabilisées. Dites leurs que la plupart des gens ne peuvent pas faire la différence. Cela évitera qu’ils soient contrariés et renforcera l’idée que les aliments véganes ont le même goût que leurs alternatives animales.
Dites-leurs où ils peuvent en acheter Si vous voulez vraiment faire une grosse différence pour les animaux, il est important d’aider les gens à se procurer ces aliments par eux-même. Restez concentré·e ! Sauf si on vous en fait la demande, vous ne devriez pas aborder les bénéfices du véganisme dans leur ensemble, ou pourquoi les gens devraient adopter une alimentation complètement végétalienne. Vous devriez juste vous concentrer sur ce produit et où ils pourraient se le fournir. Pour beaucoup de gens, ceci pourrait être la première occasion de goûter une spécialité végétalienne. Il est vraiment important que ce moment soit agréable, positif, et que les gens repartent avec un bon souvenir. Si la personne n’aime pas le produit ou a des réticences envers la nourriture végétale ou le véganisme en général, c’est ok ! N’essayez pas de changer son avis. Nous pouvons espérer qu’elle le change d’elle-même, en temps voulu.
Il y a un grand potentiel de partenariat structurel entre les fabricants de ces produits et le mouvement végane, dont certaines organisations pourraient même être rémunérées pour leurs services de distribution d’échantillons. Imaginez combien de nuggets véganes pourrait distribuer un groupe comme Anonymous for the Voiceless, comprenant des centaines de branches dans le monde !
Si vous connaissez d’autres méthodes pour réduire le fossé entre les spécialités végétales et les personnes réticentes, faites le savoir en commentaire !
Début 2019, ma compagne Mélanie et moi avons déménagé de notre ville de Gand, en Belgique, pour nous installer à la campagne. La Belgique est un pays assez petit et très densément peuplé, où on n’est jamais vraiment loin de la civilisation. Nous ne sommes certes pas au milieu de nulle part, mais nous vivons au milieu des champs et des forêts, et nous avons notre propre forêt de deux hectares et demi en guise de jardin. L’une des raisons de ce déménagement (qui, je le sais, n’est pas la chose la plus écologique à faire), était que Mélanie voulait avoir beaucoup de place pour les animaux sauvés (et adoptables). Bien qu’elle agisse institutionnellement pour les animaux dans une association végane, elle ressent aussi le besoin d’un contact direct avec les animaux, et elle est très douée pour aider, sauver ou soigner les animaux. Tout cela amène au fait que depuis notre déménagement, les individus d’autres espèces (qu’ils soient domestiques ou sauvages) font beaucoup plus partie de ma vie. Dans cet article, je veux parler de certains dilemmes que j’ai rencontré dans mes relations avec eux, en particulier en ce qui concerne le bien-être des animaux sauvages.
Notre forêt
Toutes les créatures, sauvages et moins sauvages Actuellement, les animaux qui vivent sur notre domaine peuvent être divisés en quatre groupes :
Les animaux d’élevage sauvés : poulets, dindes, pintades, lapins. La plupart d’entre eux proviennent de fermes (industrielles) où ils ont été élevés pour l’alimentation. Un groupe de poulets a été utilisé pour des tests sur des animaux dans un centre de recherche sur la production animale (et a ensuite été relâché). Il y a également quelques paons adoptés.Toutes ces créatures vivent dans notre cour, dans des zones fermées (j’expliquerai plus tard pourquoi elles n’errent pas dans notre forêt).
Des animaux de compagnie sauvés : deux chiens et cinq chats. Ils viennent de refuges et vivent maintenant dans la maison, avec la possibilité d’aller dans la cour. Ce sont les seuls animaux que nous avions déjà dans notre ancienne maison en ville.
Nous avons sauvé des animaux sauvages ou semi-sauvages, comme des canards et le faisan Lady Gaga. Ils viennent d’un centre de réhabilitation de la faune et ont été mis en liberté dans notre cour, où ils vivent maintenant seuls.
Les animaux sauvages qui se trouvent naturellement dans les environs : renards, écureuils, martres, rats, pigeons, corbeaux, chauves-souris, salamandres, grenouilles, toutes sortes d’autres oiseaux (comme les corbeaux, les pigeons, les hiboux…), et bien sûr des animaux minuscules comme les insectes et les vers. Il y a aussi parfois des cerfs qui sautent par-dessus la clôture.
S’occuper des animaux sauvages Les animaux de la quatrième catégorie sont largement hors de notre contrôle et, pour beaucoup de gens, nous ne devrions pas chercher à ce qu’il en soit autrement. La « nature » ou « le monde sauvage » semble être une sphère fondamentalement différente de la sphère domestiquée. Ce qui se passe dans la nature, selon ces personnes, devrait rester dans la nature. Les humains ne devraient pas intervenir et devraient simplement laisser la nature suivre son cours.
Mon point de vue est légèrement différent. Outre le fait que nous influençons souvent la nature et les animaux sauvages, je pense que nous devrions nous préoccuper de ce qui se passe dans la nature, que nous ayons ou non un impact sur elle. Les différents groupes d’animaux que j’ai énumérés ci-dessus ont des relations différentes avec nous, et avec les gens en général, mais la seule chose qu’ils ont tous en commun est qu’ils sont sensibles, peu importe comment et où ils vivent. Le fait d’être sensible est le principal critère qui me permet de me soucier ou non de ce qui arrive à quelqu’un ou à quelque chose. Et donc, je me soucie évidemment du bien-être non seulement de mes chiens et de mes chats, ou des porcs dans les fermes industrielles, mais aussi des animaux dans la nature. Lorsqu’ils souffrent, je me soucie de leur souffrance, que la cause de leur souffrance soit humaine ou naturelle. J’ai même entendu certains défenseurs des animaux dire qu’il est spéciste de ne pas se soucier de la souffrance des animaux sauvages, parce que nous nous préoccuperions, par exemple, d’une tribu humaine en Amazonie qui n’a eu aucun contact avec le reste du monde, mais qui souffre horriblement. Nous aurions tendance à intervenir.
J’ai lu des articles au sujet du bien-être des animaux sauvages pendant des années, mais le déménagement à la campagne a rendu la situation des animaux sauvages beaucoup plus concrète pour moi. Dans la suite de cet article, je vais énumérer quelques exemples de confrontations avec des animaux sauvages, ou entre des animaux sauvages et des animaux domestiqués, qui m’ont fait réfléchir et qui pourraient vous faire réfléchir aussi. Il s’agit d’un sujet controversé. Je vous suggère d’essayer de prendre le temps avant de fixer votre opinion.
Noa et Farah, lévriers adoptés venant d’Espagne
Il y a les renards Un soir, peu de temps après notre déménagement à la campagne, alors que Melanie et moi regardions Netflix, nos deux chiens se sont soudainement mis à aboyer sur quelqu’un ou quelque chose à l’extérieur. Normalement, nous ne levons même pas les yeux, mais cette nuit-là, ils avaient l’air plus énervés que d’habitude. À travers la fenêtre, nous avons vu, juste au coin de notre propriété, deux renards. Les anciens propriétaires et voisins nous avaient avertis que leurs poulets et leurs oies avaient été pris par des renards, nous craignions donc le jour où ils découvriraient notre propre cheptel. Lorsque ma compagne est allée sous le porche et a chassé les animaux, je me souviens avoir pensé qu’il n’y avait pas beaucoup d’options, et que toutes étaient mauvaises pour quelqu’un qui aime les animaux et se soucie de leur bien-être :
a. les renards vont attraper certaines de nos poules. b. nous parvenons à protéger nos poules, mais les renards s’attaqueront aux poules de quelqu’un d’autre ou attraperont d’autres animaux. c. les renards n’attraperont pas suffisamment de poulets ou d’autres aliments et leurs petits (qui sont extrêmement mignons) mourront de faim.
Et là je me suis dit : ça craint.
Nous savions que c’était une question de temps avant que les renards ne reviennent. Environ un an plus tard, ils ont attaqué un l’enclos à poule le plus éloigné de la maison (nous en avons trois). Auparavant, une amie habitait dans une caravane juste à côté avec ses deux chiens, mais à cause de Covid-19 elle avait choisi de vivre ailleurs. Le fait que les chiens soient partis est probablement la raison pour laquelle les renards ont tenté leur chance. C’était aussi le seul endroit où le poulailler n’avait pas de porte fermée, de sorte que les poules pouvaient sortir au petit matin comme elles le souhaitaient. Un matin, ma compagne a trouvé plusieurs coqs morts et a vu que plusieurs autres avaient disparu. Au total, nous avons perdu six coqs cette nuit-là. Nous avons pensé qu’il était préférable de ne pas enterrer ceux que le renard avait laissés derrière lui, mais de laisser les cadavres au prédateur pour qu’il les ramasse, afin qu’ils puissent encore servir de repas.
La zone principale dédiée aux poules
Les poules qui peuvent voler sont à l’abri des renards
Depuis, nous avons sécurisé cette zone avec une clôture électrique, ma compagne s’assure que les poules sont à l’intérieur chaque nuit et ouvre la porte manuellement le matin (les deux autres poulaillers ont des portes automatiques, mais nous n’en trouvons pas une assez grande pour permettre l’entrée et la sortie de gros coqs). En principe, tous les oiseaux devraient maintenant être à l’abri des renards, sauf les canards. Nous espérons qu’ils auront le bon sens (et le temps) de se retirer au milieu d’un des étangs lorsqu’ils verront un renard. Nous prévoyons également de construire une petite île pour eux (en passant : l’île ne devrait pas comporter de poulailler, car les canards pourraient alors pondre des œufs là où nous ne pourrions pas les atteindre, ce qui nous rendrait responsables de la naissance d’encore plus d’animaux).
Les rats et le problème de la prolifération La prédation sur nos rescapés n’est pas le seul problème auquel nous sommes confrontés. Prenez l’exemple des rats. Nous attirons naturellement les rats parce qu’il y a de la nourriture pour nos poules partout (les rats grimpent même jusqu’aux mangeoires des oiseaux et mangent toute la nourriture que nous donnons aux oiseaux sauvages !). Récemment, nous sommes tombés sur un nid de petits rats – extrêmement mignons. Quelques rats ne sont pas un problème, mais nous ne voulons pas être envahis. Ça aussi, ça craint : quand une population se porte bien et prospère, elle peut facilement devenir trop grande. Cela m’a époustouflé, mais dans des conditions idéales, deux rats peuvent être responsables… de jusqu’à quinze mille descendants en un an ! Il existe plusieurs façons de contrôler une population animale, et aucune d’entre elles n’est vraiment bonne. Fondamentalement, lorsqu’une population prospère, cela attirera des prédateurs (dont la population augmentera) pour s’en nourrir. Ou – si les prédateurs sont absents ou trop peu nombreux – la population peut devenir trop importante pour les ressources disponibles et des individus mourront par manque de nourriture. Et puis, bien sûr, il y a aussi les maladies qui peuvent les décimer de manière plus ou moins douloureuse. Dans le cas de nos rats, avec leur taux de reproduction, aucune de ces solutions – en elles-mêmes cruelles – ne fonctionnera, donc nous, les humains, devrons probablement faire quelque chose. Il est évident que nous ne voulons pas utiliser de poison. Nous avons attrapé quelques jeunes rats avec un piège, et les avons relâchés quelques kilomètres plus loin, mais il semble que nous n’en attraperons plus maintenant. Ce sont des créatures très intelligentes.
Les seuls rats que nous avons attrapés jusqu’à présent (ici, juste avant leur libération)
Si nous ne pouvons pas les attraper et si nous ne voulons pas les tuer, cela mène aux autres solutions. Certains pourraient être capturés par des oiseaux prédateurs, et nos chiens et chats pourraient en attraper un ou deux. Ces méthodes peuvent nous apporter une plus grande tranquillité d’esprit, car ce n’est pas nous qui tuons. Nous déléguons en quelque sorte la tâche à d’autres individus qui n’ont pas d’agence morale et donc cela ne peut pas être considéré comme une mauvaise action. Mais les rats eux-mêmes sont-ils mieux lotis ? Bien qu’il n’y ait pas de réel problème à ce que d’autres animaux attrapent des rats, il peut quand même être douloureux ou stressant pour les rats de mourir de cette façon. Une exception serait lorsque les prédateurs attrapent des animaux qui souffrent déjà. La façon la plus compatissante de faire face à la surpopulation, me semble-t-il, est la contraception. S’assurer que les individus ne naissent pas semble toujours une solution plus douce que de tuer ceux qui sont déjà en vie. Je dois examiner où nous en sommes avec la contraception des rats, et s’il existe un produit qui puisse faire le travail pour nous d’une manière qui ait le moins d’effets secondaires possible.
Quoi qu’il en soit, encore une fois, ça craint.
La très rare salamandre tachetée
Des écureuils, des corbeaux et des hiboux Il y a d’autres choses qui se passent sur notre terrain, outre les renards qui s’attaquent aux poules et les rats qui se multiplient. Nous nous sommes assis sur un coin de siège pour regarder les bébés écureuils apprendre les bases et être trop audacieux dans les arbres, avec trop peu d’expérience. La première fois que nous avons vu l’une des créatures tomber, elle a survécu en se posant sur un paquet de feuilles. Mais un peu plus tard, nous avons trouvé un jeune écureuil mort sur le sol de la forêt. Nous savons que les corbeaux qui volent dans le coin ont l’horrible habitude de rendre leurs proies vulnérables en s’attaquant à leurs yeux à coup de bec. Nous avons en fait entendu l’histoire d’un fermier amateur (pas un fan, de toute évidence) qui a dû arrêter d’élever des cochons de race rustique parce que les corbeaux s’attaquaient à leurs yeux ! À plusieurs reprises, nous avons trouvé des pigeons morts, et une fois un hibou mort sur le sol de la forêt (peut-être avait-il mangé un rat empoisonné quelque part dans la région). Nous trouvons régulièrement un bouquet de plumes, témoignage d’une attaque par un prédateur. Les chauves-souris attrapent apparemment jusqu’à 8 000 insectes en une nuit (est-ce qu’on s’en soucie ?). Mais si les chauves-souris sortent trop tôt de leur hibernation et qu’il n’y a pas encore assez d’insectes, elles peuvent mourir de faim. Un dilemme particulier – causé cette fois par les humains – est la situation des poissons. Il y a des carpes dans l’un des étangs, mis à disposition par l’un des anciens propriétaires pour y pêcher. Les carpes n’y seraient pas naturellement présentes et ne sont pas vraiment bonnes pour l’écosystème de l’étang. Elles sont aussi une entrave si nous voulions attirer de rares salamandres tachetées, que nous avons aperçues à deux reprises. Mais que faire des carpes maintenant qu’elles sont là ? Plus rarement, notre propre présence dans la nature est responsable de certaines pertes : nous avons vu nos chats attraper de temps en temps un oiseau ou un rat, et nous avons vu des oiseaux voler contre nos fenêtres. Dans l’ensemble, j’aime à penser que notre présence est globalement positive, et que nous prenons soin de ce terrain du mieux que nous pouvons (nous le faisons certainement de manière plus responsable que les propriétaires précédents).
Je suis sûr qu’au fil du temps, je vais malheureusement recueillir plus de témoignages sur ce qui se passent dans les arbres, dans les broussailles, dans le sol… Des choses que je ne veux probablement même pas savoir.
Les poulets et leurs œufs Permettez-moi de revenir encore une fois sur le thème du contrôle des populations. Ma compagne sauve des animaux – principalement des chats – depuis des années, et nous sommes parfaitement conscients du nombre d’animaux qui ont besoin d’aide. Nous essayons évidemment de ne pas contribuer à la mise au monde d’un plus grand nombre d’animaux domestiques. Pourtant, nos poules sauvées sont un problème en soi. Les poules vont pondre des œufs (je peux vous proposer toute une discussion philosophique sur ce qu’un végane fait avec les œufs, mais ce n’est pas le sujet de cet article), et si vous ne faites pas attention, avant même de vous en rendre compte, vous avez une poule qui couve ses œufs quelque part et qui apparaît soudainement avec une petite armée de petits poussins. On peut bien sûr choisir de ne pas avoir de coq pour que les œufs de poule ne soient pas fécondés, mais la présence d’un coq est bonne pour la troupe de poules (le coq protégera les poules et les aidera à chercher leur nourriture). Et bien sûr, il y a aussi des coqs qui ont besoin d’être adoptés, donc ils ont aussi besoin d’un lieu d’accueil. Lorsqu’il y a un coq dans le groupe, vous obtenez des œufs fécondés (stériliser les coqs coûte cher). La prochaine étape possible consiste à essayer d’empêcher la poule de couver ses œufs jusqu’à ce qu’ils éclosent. C’est facile à faire si les poules vivent sur une petite surface, mais lorsqu’elles ont beaucoup d’espace avec beaucoup de broussailles et d’arbres pour se cacher, c’est un défi. Alors, sans le vouloir, nous avons tout à coup dû nous occuper de huit créatures supplémentaires. C’est amusant de voir comment, dès qu’ils sont dans le monde, on se sent responsable d’eux et on veut les protéger des rats, des hiboux et des autres prédateurs. Ma compagne a construit un poulailler supplémentaire pour les protéger. Jusqu’à présent, nous en avons perdu deux (contre des prédateurs inconnus). On peut imaginer combien d’entre eux ne survivent pas à leurs premiers jours, semaines ou mois de vie dans la nature.
Mélanie, attraction pour poules
Les animaux vivant sous protection humaine Cela m’amène à un dernier point, mais important : les avantages pour les animaux de vivre avec les humains. Les humains peuvent faire des choses horribles à la nature et aux animaux. Mais il faut se le dire, la nature elle-même, sans la présence de l’homme, peut aussi être un lieu sanglant et dangereux, où des individus s’attaquent les uns aux autres de la manière la plus féroce, ce qui permet de contrôler la population des uns et des autres. Il est difficile d’évaluer le niveau moyen de bien-être des animaux dans la nature, la fréquence à laquelle ils se sentent bien et mal, l’intensité et la durée des périodes de souffrance. Mais je pense qu’il devient clair pour moi que les animaux vivant avec les humains, dans une forme de symbiose, pourraient bien avoir la meilleure des vies. Je pense que nos poules sont généralement mieux lotis que leurs congénères sauvages. Les nôtres ont beaucoup de nourriture et d’eau, elles sont protégées des prédateurs (dans la mesure où nous y parvenons), elles reçoivent des soins médicaux quand elles en ont besoin, elles sont protégées des éléments (ma compagne en a mis un grand nombre dans le garage la nuit, pendant les périodes de chaleur intense)… Nous ne leur enlevons rien, mais si dans certains cas les gens échangent tout cela contre des œufs, par exemple, je ne suis pas sûr que ce soit un problème. Oui, elles ne sont pas libres d’aller littéralement où elles veulent, comme un animal sauvage peut être libre (bien que cette liberté soit encore relative). Mais je suppose qu’avec un espace de vie suffisamment grand, elles se soucient peut-être moins de ce manque de liberté (il se peut même qu’elles ne s’en soucient pas du tout) que d’être douloureusement blessées ou tuées par des prédateurs ou de souffrir de l’absence de nourriture ou d’eau en quantité suffisante, ou de problèmes de santé.
Mélanie remet un oiseau tombé dans son nid
Remarque : même sans la présence de renards dans notre région, nous ne laisserions pas les poules (et les lapins) errer librement dans notre forêt au lieu de les garder dans les enclos. Mélanie a remarqué que, lorsque les poules étaient initialement en liberté, elles attrapaient des grenouilles sauvages. De leur côté, les lapins risquaient de manger des plantes qui sont toxiques pour eux. Nous les avons donc placés dans des zones clôturées, à la fois pour leur propre bien et pour celui des autres animaux. Il est donc intéressant de noter que nous avons pris une décision pour eux, et que dans le cas des poules, notre préoccupation pour les grenouilles nous a conduit à placer les poules dans un espace plus petit (encore assez grand) qu’elles n’auraient pu l’être autrement. Nous pourrions bien sûr aussi choisir de « laisser » les poules manger les grenouilles, mais il semble que nous ne voulions pas prendre cette responsabilité.
Quelques conclusions préliminaires Être proche de la nature et des animaux, qu’ils soient sauvages ou domestiqués, nous confronte à une image beaucoup plus complexe que celle qu’ont de nombreux défenseurs des animaux en traitant simplement des droits et de l’éthique des animaux en théorie. Je trouve que les dilemmes sont nombreux, surtout si l’on prend au sérieux le bien-être des animaux sauvages, et qu’il y a encore beaucoup de place pour le doute, la nuance, la réflexion, la recherche et les nouvelles inventions.
Permettez-moi de vous donner quelques pistes préliminaires à partir de ces observations concrètes, ainsi que de ma propre décennie de réflexion sur ces sujets.
La nature est, à bien des égards, étonnante, impressionnante, belle, sauvage et bien d’autres choses encore. Mais au moins pour beaucoup d’individus, pendant une grande partie de leur vie, la nature n’est pas idyllique. Ce n’est pas un jardin paisible. S’il y a une divinité qui a tout fait, je pense qu’il ou elle ne savait pas vraiment ce qu’iel faisait. Ou alors iel étaient saoul·e.
Le bien-être des animaux sauvages, et surtout son absence, est important. Nous pouvons ne pas être la cause de la souffrance, et la cause de la souffrance peut être dans la plupart des cas amorale (aucune agence morale n’y est impliquée), mais cela ne la rend pas moins nocive pour les créatures qui souffrent.
Nous ne pouvons peut-être pas faire grand-chose pour l’instant, mais nous devons avoir l’esprit ouvert pour rechercher et trouver des solutions à l’avenir, qu’elles soient technologiques ou non. Certaines formes de souffrance existeront toujours, d’autres formes de souffrance pourraient être atténuées, par exemple grâce à des mécanismes de contrôle des naissances.
Si les humains font énormément de mal aux animaux, il y a aussi des humains bienveillants qui, quels que soient leurs défauts et leurs lacunes, essaient d’être aimants, attentionnés, bien informés et bien intentionnés envers tous les êtres sensibles. Ils peuvent offrir à certains animaux une vie meilleure qu’elle ne le serait dans la nature, et ce genre de symbiose peut donner lieu à des vies parmi les plus agréables qui soient sur cette planète.
Rêves Les animaux sentients se sont mangées entre eux et ont été mangés par d’autres depuis qu’ils existent. Ils ont souffert de circonstances naturelles défavorables depuis leur apparition. L’Homo sapiens, le prédateur supérieur, fait évidemment beaucoup de ravages dans le monde sauvage. Mais ce qui est également vrai, c’est que ce même Homo sapiens est le premier être qui soit conscient de l’ampleur des souffrances qui se produisent dans la nature, et que certains individus de notre espèce font des recherches sur la manière dont nous pouvons rendre les choses un peu meilleures pour les animaux dans la nature.
Je suis pleinement conscient (il n’est vraiment pas nécessaire de me le dire) que la nature est un système incroyablement complexe, qu’interférer dans la nature pourrait causer plus de dommages que cela n’en résout, et que nous sommes intervenus dans la nature à de nombreuses reprises avec de très mauvaises conséquences. Je suis également pleinement conscient que ce que les humains font à l’égard des animaux, dans les fermes industrielles et au-delà, est le pire, et qu’il faut s’y attaquer en premier. Les dilemmes que j’ai énumérés ne doivent pas nous paralyser dans la définition des priorités.
Et pourtant, je rêve que la nature soit un jour un endroit meilleur pour tous ceux qui y vivent, qu’ils soient sauvages ou domestiqués.
Et j’aime à penser que ce genre de choses commence dans les rêves.
PS : Je ne suis ni biologiste, ni éthologue, ni philosophe – je ne suis rien, à vrai dire – alors si vous repérez des erreurs, ou si vous avez des conseils pour améliorer la vie des animaux avec lesquels nous vivons, faites-le moi savoir dans les commentaires !