Sur le festival de la viande de chien de Yulin, l’hypocrisie et le racisme

Beaucoup de gens sont scandalisés par ce qui arrive aux chiens lors du festival de la viande de chien de Yulin. Je parle ici de gens qui n’ont pas de soucis au quotidien à ce qu’on élève et tue des animaux d’élevage pour les manger. J’ai vu beaucoup de végétaiens dénoncer l’hypocrisie et/ou le racisme de ces occidentaux qui s’offusquent de ce qui arrive à ces chiens en Chine, tout en n’ayant aucun problème à manger des vaches, des cochons ou des poules.

L’attitude de ces végétaiens me pose quelques problèmes, pour plusieurs raisons.

D’abord, je suis content de voir que les gens puissent au moins être choqués par la souffrance de certains animaux. Ça arrive de temps en temps. Traiter ces gens d’hypocrites n’encourage pas vraiment la compassion dont ils font preuve. Cela a au contraire tendance à leur faire croire que cette compassion serait déplacée. C’est en soi malheureux, mais en plus cela provoque encore davantage de rejet des véganes et des gens qui militent pour les animaux.

Évidemment, le racisme joue un rôle dans la réaction de certaines personnes (et beaucoup de messages sont clairement racistes). Une médiatisation massive de ce qui se passe au festival de Yulin pourrait même provoquer encore plus de racisme. Pourtant, il est simplificateur et dangereux d’affirmer trop vite que l’indignation d’une personne serait forcément raciste, alors même que ce racisme n’est pas explicitement exprimé.

Ce n’est peut-être pas très rationnel de leur part, mais on peut comprendre que ces gens déplorent la consommation d’animaux qu’eux-mêmes considèrent comme des animaux de compagnie. Aussi irrationnelle que soit la différence que nous faisons entre les cochons et les chiens, c’est une réalité sociale, et il serait stupide de ne pas en tenir compte. De plus, les chiens de Yulin ne sont pas abattus de la même manière que les vaches ici. Ça ne fait certes pas une grosse différence, mais les animalistes qui pensent que l’étourdissement ne fait aucune différence devraient s’imaginer être égorgés avec ou sans s’être fait défoncer la boite crânienne préalablement. Je ne suis pas disposé à nier ou à minimiser cette différence, tout comme je ne suis pas disposé, en tant que végane depuis 17 ans et « abolitionniste », à nier l’utilité des réformes visant à diminuer les souffrances des animaux dans les élevages.

Tout cela ne veut évidemment pas dire que les nations occidentales fassent « mieux » que les Chinois : en effet, les personnes vivant aux Etats-Unis ou en Europe occidentale mangent généralement beaucoup plus de viande que les chinoises. De plus, la militance en faveur des animaux est également en train de se développer en Chine. Il y a de la compassion partout, et il est difficile de pointer du doigt les autres nations. Mais cela ne signifie pas pour autant que la compassion de nos compatriotes omnivores pour les chiens chinois soit déplacée.

Quelle est donc la bonne façon de s’adresser aux omnivores qui sont indignés par le festival de Yulin en Chine ? Je pense qu’il faut d’abord laisser le bénéfice du doute et reconnaître l’indignation comme un signe de compassion plutôt que comme un signe de racisme ou d’hypocrisie : c’est une meilleure base pour établir premier contact. On peut ensuite montrer que nous apprécions cette compassion, et dire que la même compassion est la raison pour laquelle nous ne mangeons pas du tout d’animaux, car les cochons, les poules et les vaches présentent les mêmes caractéristiques pertinentes que les chiens et les chats. Nous pouvons aussi essayer de souligner le caractère arbitraire de nos choix alimentaires.

Nous pouvons alors espérer que certaines de ces personnes indignées voudront peut-être mettre leurs convictions sur la consommation de viande en accord avec leurs convictions à propos des chiens et chats. Ce qui se passe en Chine est un excellent moyen d’aider les gens à penser à notre consommation d’animaux en général. Mais cela doit se faire en les encourageant, et non en les dissuadant.

Également publié ici : https://questionsdecomposent.wordpress.com/2019/05/30/sur-le-festival-de-la-viande-de-chien-de-yulin-lhypocrisie-et-le-racisme/.

Trois idées pour faire découvrir des spécialités véganes aux gens réticents

Si vous vous intéressez à ce qui pourrait mesurer le succès du mouvement végane, un indicateur important pourrait être :

À combien de personnes avons–nous pu apporter une expérience gustative végane mémorable ?

Quand les personnes se font à l’idée que manger végane peut être savoureux, il y a beaucoup de chance qu’elles soient plus ouvertes aux arguments pour le véganisme ou à l’idée que les intérêts des animaux d’élevage doivent être pris en compte (j’ai déjà beaucoup écrit à ce sujet).

Bien sûr, beaucoup de personnes – végétaliennes ou non – achètent des produits véganes dans les supermarchés ou essayent des plats végétaliens au restaurant (ou à la maison) tous les jours. Cependant, je m’intéresse ici à comment atteindre celles qui ne sont pas enclines à le faire par elles-mêmes : des personnes qui pourraient avoir des préjugés contre la nourriture végétale (qui serait monotone, sans goût, trop difficile à préparer, etc.). Étant donné qu’elles ne sont pas prêtes à dépenser de l’argent pour des produits ou des plats véganes, comment pouvons-nous leur mettre quelque chose de végane dans les mains et dans la bouche ?

Un moyen est ce que j’ai appelé le véganisme furtif : simplement ne pas mentionner qu’un produit, un plat ou même un restaurant, est végétalien, afin d’éviter les préjugés. Mais examinons d’autres options.

Faire mordre quelqu’un dans un aliment végane est, bien sûr, plus compliqué sur le plan logistique que de leur donner un dépliant, de leur envoyer un courriel ou de leur faire regarder une vidéo d’une minute (les moyens habituels par lesquels les véganes font du plaidoyer). Vous devez investir dans la nourriture, l’apporter aux gens, la préparer, la servir (puis, idéalement, faire un suivi pour estimer l’impact et les aider à continuer dans leur démarche). Bien que nous ne puissions pas forcer qui que ce soit à manger, il existe plusieurs façons de réduire la distance entre le client réticent et un (délicieux) produit végane.

D’un point de vue logistique, la façon la plus simple, bien sûr, c’est que les fabricants offrent eux-mêmes des échantillons de leurs produits, dans des endroits où beaucoup de gens viennent, font leurs courses ou mangent. Cela peut être dans une foire, dans un endroit très fréquenté de la ville, ou dans les restaurants et les supermarchés eux-mêmes. Un fabricant (ou un magasin) veut vendre autant de produits que possible, il est donc logique qu’il fasse goûter ses produits au plus grand nombre de personnes possible, considérant que la dégustation permettra de vendre davantage.

Au delà de ce qui est évident, permettez-moi de vous offrir quelques idées moins conventionnelles pour inciter les gens réticents à goûter à la nourriture végétale.

1. Distribution d’échantillons d’aliments véganes proposés dans les lieux de restauration
J’ai récemment entendu parler de ce que je soupçonne être une installation particulièrement efficace pour distribuer des échantillons : imaginez une cafétéria d’entreprise (ou un autre restaurant), où les clients ont (tous les jours ou certains jours) la possibilité de mettre un plat végane sur leur plateau, plutôt qu’un plat de viande. Par défaut, les distributions des plats de viande seraient beaucoup plus élevées que les distributions de plats véganes. Mais s’il y avait des gens qui distribuaient des échantillons du plat végane (ou seulement de l’alternative à la viande dans ce plat – par exemple un nugget végétal) à l’entrée de la cafétéria, pendant que les clients attendent en ligne, le pourcentage de plats véganes vendus pourrait augmenter considérablement. Un représentant d’une entreprise produisant des substituts de viande m’a dit que jusqu’à la moitié des clients choisissent alors le plat végane ! Des militants pourraient faire ce travail, mais il pourrait aussi être fait par le personnel des entreprises de restauration. Ce qui est bien, c’est que si une ou deux grandes entreprises de restauration (comme Sodexo, Elior ou Compass…) lançaient de telles campagnes, ce serait un moyen de couvrir structurellement une grande partie de la population. Cela peut se faire aussi bien dans les écoles que dans les restaurants d’entreprise. Au niveau méta, des associations végétariennes faisant pression sur les traiteurs pour qu’ils fassent ce genre de choses (et peut-être les aident à proposer des lundis, semaines ou mois sans viande), pourraient avoir un impact considérable, surtout si nous parlons à de très grandes entreprises.

2. Promotions de « marques mixtes »
J’appelle ici « marque mixte » une marque ou une entreprise qui a à la fois des produits à base de viande et des produits à base de légumes dans sa gamme. Ces entreprises disposent de certains moyens pour convaincre leurs propres clients – qui connaissent déjà leur marque – d’essayer leurs nouveaux produits véganes. J’ai vu des cas où l’emballage d’un produit à base de viande comporte une publicité pour une variante végétarienne, que l’on voit lorsque l’on retire le couvercle chez soi, comme dans cet exemple, par la société allemande Rügenwalder.

Mais il y a d’autres possibilités. Jetez un coup d’œil à ces dessins (désolé pour la qualité graphique) :

Ces idées peuvent évidemment nécessiter des efforts logistiques, et il est facile de voir qu’elles ne s’adressent pas aux véganes, mais je pense qu’il y a ici un grand potentiel pour atteindre des client·e·s réticent·e·s là où ça compte : à l’estomac.

Les entreprises pourraient avoir de très bonnes raisons d’essayer ces tactiques, car il devient de plus en plus important pour elles de prendre de plus en plus pied sur le marché végane. Une motivation supplémentaire pourrait être que dans certains cas, il pourrait y avoir une marge bénéficiaire plus élevée sur les produits végétaux.

Pensez aussi à la valeur ajoutée d’une grande marque, à qui les gens font confiance. Lorsque les consommateurs de viande voient une version végétarienne d’un produit qu’ils connaissent et en qui ils ont confiance, ils sont plus susceptibles de l’acheter que lorsqu’il s’agit d’une marque qu’ils n’ont jamais vue auparavant. Un graphique de la société d’études de marché GFK que j’ai regardé récemment (et que je ne présente pas ici pour des raisons de propriété industrielle), a montré la pénétration du marché (c’est-à-dire combien de personnes ont effectivement essayé le produit) des tranches végétales pour sandwich en Allemagne. La variation végétarienne d’une marque réputée avait une pénétration de 48%, alors qu’une entreprise concurrente n’arrivait pas à dépasser… les 2 % !

3. Les militant·e·s véganes comme troupe pour les dégustations
De nombreuses personnes militent dans la rue et apportent des messages animalistes, via des conversations, des tracts ou des vidéos. C’est une très bonne chose, mais je pense que ces interventions auraient davantage d’impact si elles étaient accompagnées d’une dégustation d’aliments typiquement véganes. Un nugget végétal (un des aliments les plus faciles à distribuer) peut servir d’initiateur de conversation, elles peut rendre les gens moins réticents à discuter de souffrances animales (puisqu’ils constatent qu’ils n’ont pas tellement à y perdre).

Je pense que le mouvement animaliste pourrait organiser des dégustations à bien plus grande échelle que ce n’est le cas actuellement. Potentiellement, nous pourrions faire déguster des dizaines de milliers d’échantillons chaque jour, dans la rue, dans les festivals et foires, avec ou sans occasion spéciale pour ça.

Kane Rogers et Mei Wong, deux militants australiens, mènent la campagne The food you choose à Melbourne. Cette campagne a principalement pour but de faire goûter aux gens des aliments véganes. Kane et Mei ont une certaine expérience de la distribution d’échantillons. Je leur ai demandé leurs conseils les plus avisés pour organiser les meilleures sessions de dégustation possibles. Voici ce qu’ils suggèrent :

Ne leur dis pas que c’est végétal… au début.
Comme l’étiquetage d’un produit comme « végane » semble pour l’instant être un blocage pour beaucoup, il vaut mieux ne pas en parler au tout début. Il serait donc judicieux d’indiquer quelques alternatives sur les panneaux ou bannières telles que « Dégustation gratuite de produits responsables », ou « Dégustations de fromages sans cholestérol ». Adaptez-vous à votre public.
Une fois que les gens ont essayé l’aliment, demandez-leur ce qu’ils en pensent. C’est important d’avoir leur réaction d’abord, afin qu’ils ne changent pas leur opinion par la suite.

Faites la grande révélation
Faites savoir à la personne qu’elle vient juste de manger un produit 100% végétal. Les gens n’aiment pas être trompés, donc assurez-vous qu’ils ne puissent pas considérer s’être fait avoir. Un moyen pour cela est de leur demander « De quoi pensez-vous que c’est fait ? ».
Certaines personnes pourraient être déstabilisées. Dites leurs que la plupart des gens ne peuvent pas faire la différence. Cela évitera qu’ils soient contrariés et renforcera l’idée que les aliments véganes ont le même goût que leurs alternatives animales.

Dites-leurs où ils peuvent en acheter
Si vous voulez vraiment faire une grosse différence pour les animaux, il est important d’aider les gens à se procurer ces aliments par eux-même. Restez concentré·e ! Sauf si on vous en fait la demande, vous ne devriez pas aborder les bénéfices du véganisme dans leur ensemble, ou pourquoi les gens devraient adopter une alimentation complètement végétalienne. Vous devriez juste vous concentrer sur ce produit et où ils pourraient se le fournir.
Pour beaucoup de gens, ceci pourrait être la première occasion de goûter une spécialité végétalienne. Il est vraiment important que ce moment soit agréable, positif, et que les gens repartent avec un bon souvenir. Si la personne n’aime pas le produit ou a des réticences envers la nourriture végétale ou le véganisme en général, c’est ok ! N’essayez pas de changer son avis. Nous pouvons espérer qu’elle le change d’elle-même, en temps voulu.

Il y a un grand potentiel de partenariat structurel entre les fabricants de ces produits et le mouvement végane, dont certaines organisations pourraient même être rémunérées pour leurs services de distribution d’échantillons.
Imaginez combien de nuggets véganes pourrait distribuer un groupe comme Anonymous for the Voiceless, comprenant des centaines de branches dans le monde !

Si vous connaissez d’autres méthodes pour réduire le fossé entre les spécialités végétales et les personnes réticentes, faites le savoir en commentaire !

Également publié ici: https://questionsdecomposent.wordpress.com/2019/08/28/987/.

Into the wild : les dilemmes auxquels je suis confronté après avoir déménagé à la campagne

Début 2019, ma compagne Mélanie et moi avons déménagé de notre ville de Gand, en Belgique, pour nous installer à la campagne. La Belgique est un pays assez petit et très densément peuplé, où on n’est jamais vraiment loin de la civilisation. Nous ne sommes certes pas au milieu de nulle part, mais nous vivons au milieu des champs et des forêts, et nous avons notre propre forêt de deux hectares et demi en guise de jardin. L’une des raisons de ce déménagement (qui, je le sais, n’est pas la chose la plus écologique à faire), était que Mélanie voulait avoir beaucoup de place pour les animaux sauvés (et adoptables). Bien qu’elle agisse institutionnellement pour les animaux dans une association végane, elle ressent aussi le besoin d’un contact direct avec les animaux, et elle est très douée pour aider, sauver ou soigner les animaux.
Tout cela amène au fait que depuis notre déménagement, les individus d’autres espèces (qu’ils soient domestiques ou sauvages) font beaucoup plus partie de ma vie. Dans cet article, je veux parler de certains dilemmes que j’ai rencontré dans mes relations avec eux, en particulier en ce qui concerne le bien-être des animaux sauvages.

Notre forêt

Toutes les créatures, sauvages et moins sauvages
Actuellement, les animaux qui vivent sur notre domaine peuvent être divisés en quatre groupes :

  1. Les animaux d’élevage sauvés : poulets, dindes, pintades, lapins. La plupart d’entre eux proviennent de fermes (industrielles) où ils ont été élevés pour l’alimentation. Un groupe de poulets a été utilisé pour des tests sur des animaux dans un centre de recherche sur la production animale (et a ensuite été relâché). Il y a également quelques paons adoptés.Toutes ces créatures vivent dans notre cour, dans des zones fermées (j’expliquerai plus tard pourquoi elles n’errent pas dans notre forêt).
  2. Des animaux de compagnie sauvés : deux chiens et cinq chats. Ils viennent de refuges et vivent maintenant dans la maison, avec la possibilité d’aller dans la cour. Ce sont les seuls animaux que nous avions déjà dans notre ancienne maison en ville.
  3. Nous avons sauvé des animaux sauvages ou semi-sauvages, comme des canards et le faisan Lady Gaga. Ils viennent d’un centre de réhabilitation de la faune et ont été mis en liberté dans notre cour, où ils vivent maintenant seuls.
  4. Les animaux sauvages qui se trouvent naturellement dans les environs : renards, écureuils, martres, rats, pigeons, corbeaux, chauves-souris, salamandres, grenouilles, toutes sortes d’autres oiseaux (comme les corbeaux, les pigeons, les hiboux…), et bien sûr des animaux minuscules comme les insectes et les vers. Il y a aussi parfois des cerfs qui sautent par-dessus la clôture.

S’occuper des animaux sauvages
Les animaux de la quatrième catégorie sont largement hors de notre contrôle et, pour beaucoup de gens, nous ne devrions pas chercher à ce qu’il en soit autrement. La « nature » ou « le monde sauvage » semble être une sphère fondamentalement différente de la sphère domestiquée. Ce qui se passe dans la nature, selon ces personnes, devrait rester dans la nature. Les humains ne devraient pas intervenir et devraient simplement laisser la nature suivre son cours.

Mon point de vue est légèrement différent. Outre le fait que nous influençons souvent la nature et les animaux sauvages, je pense que nous devrions nous préoccuper de ce qui se passe dans la nature, que nous ayons ou non un impact sur elle. Les différents groupes d’animaux que j’ai énumérés ci-dessus ont des relations différentes avec nous, et avec les gens en général, mais la seule chose qu’ils ont tous en commun est qu’ils sont sensibles, peu importe comment et où ils vivent. Le fait d’être sensible est le principal critère qui me permet de me soucier ou non de ce qui arrive à quelqu’un ou à quelque chose. Et donc, je me soucie évidemment du bien-être non seulement de mes chiens et de mes chats, ou des porcs dans les fermes industrielles, mais aussi des animaux dans la nature. Lorsqu’ils souffrent, je me soucie de leur souffrance, que la cause de leur souffrance soit humaine ou naturelle. J’ai même entendu certains défenseurs des animaux dire qu’il est spéciste de ne pas se soucier de la souffrance des animaux sauvages, parce que nous nous préoccuperions, par exemple, d’une tribu humaine en Amazonie qui n’a eu aucun contact avec le reste du monde, mais qui souffre horriblement. Nous aurions tendance à intervenir.

J’ai lu des articles au sujet du bien-être des animaux sauvages pendant des années, mais le déménagement à la campagne a rendu la situation des animaux sauvages beaucoup plus concrète pour moi. Dans la suite de cet article, je vais énumérer quelques exemples de confrontations avec des animaux sauvages, ou entre des animaux sauvages et des animaux domestiqués, qui m’ont fait réfléchir et qui pourraient vous faire réfléchir aussi. Il s’agit d’un sujet controversé. Je vous suggère d’essayer de prendre le temps avant de fixer votre opinion.

Noa et Farah, lévriers adoptés venant d’Espagne

Il y a les renards
Un soir, peu de temps après notre déménagement à la campagne, alors que Melanie et moi regardions Netflix, nos deux chiens se sont soudainement mis à aboyer sur quelqu’un ou quelque chose à l’extérieur. Normalement, nous ne levons même pas les yeux, mais cette nuit-là, ils avaient l’air plus énervés que d’habitude. À travers la fenêtre, nous avons vu, juste au coin de notre propriété, deux renards. Les anciens propriétaires et voisins nous avaient avertis que leurs poulets et leurs oies avaient été pris par des renards, nous craignions donc le jour où ils découvriraient notre propre cheptel. Lorsque ma compagne est allée sous le porche et a chassé les animaux, je me souviens avoir pensé qu’il n’y avait pas beaucoup d’options, et que toutes étaient mauvaises pour quelqu’un qui aime les animaux et se soucie de leur bien-être :

a. les renards vont attraper certaines de nos poules.
b. nous parvenons à protéger nos poules, mais les renards s’attaqueront aux poules de quelqu’un d’autre ou attraperont d’autres animaux.
c. les renards n’attraperont pas suffisamment de poulets ou d’autres aliments et leurs petits (qui sont extrêmement mignons) mourront de faim.

Et là je me suis dit : ça craint.

Nous savions que c’était une question de temps avant que les renards ne reviennent. Environ un an plus tard, ils ont attaqué un l’enclos à poule le plus éloigné de la maison (nous en avons trois). Auparavant, une amie habitait dans une caravane juste à côté avec ses deux chiens, mais à cause de Covid-19 elle avait choisi de vivre ailleurs. Le fait que les chiens soient partis est probablement la raison pour laquelle les renards ont tenté leur chance. C’était aussi le seul endroit où le poulailler n’avait pas de porte fermée, de sorte que les poules pouvaient sortir au petit matin comme elles le souhaitaient. Un matin, ma compagne a trouvé plusieurs coqs morts et a vu que plusieurs autres avaient disparu. Au total, nous avons perdu six coqs cette nuit-là. Nous avons pensé qu’il était préférable de ne pas enterrer ceux que le renard avait laissés derrière lui, mais de laisser les cadavres au prédateur pour qu’il les ramasse, afin qu’ils puissent encore servir de repas.

La zone principale dédiée aux poules
Les poules qui peuvent voler sont à l’abri des renards

Depuis, nous avons sécurisé cette zone avec une clôture électrique, ma compagne s’assure que les poules sont à l’intérieur chaque nuit et ouvre la porte manuellement le matin (les deux autres poulaillers ont des portes automatiques, mais nous n’en trouvons pas une assez grande pour permettre l’entrée et la sortie de gros coqs). En principe, tous les oiseaux devraient maintenant être à l’abri des renards, sauf les canards. Nous espérons qu’ils auront le bon sens (et le temps) de se retirer au milieu d’un des étangs lorsqu’ils verront un renard. Nous prévoyons également de construire une petite île pour eux (en passant : l’île ne devrait pas comporter de poulailler, car les canards pourraient alors pondre des œufs là où nous ne pourrions pas les atteindre, ce qui nous rendrait responsables de la naissance d’encore plus d’animaux).

Les rats et le problème de la prolifération
La prédation sur nos rescapés n’est pas le seul problème auquel nous sommes confrontés. Prenez l’exemple des rats. Nous attirons naturellement les rats parce qu’il y a de la nourriture pour nos poules partout (les rats grimpent même jusqu’aux mangeoires des oiseaux et mangent toute la nourriture que nous donnons aux oiseaux sauvages !). Récemment, nous sommes tombés sur un nid de petits rats – extrêmement mignons. Quelques rats ne sont pas un problème, mais nous ne voulons pas être envahis. Ça aussi, ça craint : quand une population se porte bien et prospère, elle peut facilement devenir trop grande. Cela m’a époustouflé, mais dans des conditions idéales, deux rats peuvent être responsables… de jusqu’à quinze mille descendants en un an !
Il existe plusieurs façons de contrôler une population animale, et aucune d’entre elles n’est vraiment bonne. Fondamentalement, lorsqu’une population prospère, cela attirera des prédateurs (dont la population augmentera) pour s’en nourrir. Ou – si les prédateurs sont absents ou trop peu nombreux – la population peut devenir trop importante pour les ressources disponibles et des individus mourront par manque de nourriture. Et puis, bien sûr, il y a aussi les maladies qui peuvent les décimer de manière plus ou moins douloureuse.
Dans le cas de nos rats, avec leur taux de reproduction, aucune de ces solutions – en elles-mêmes cruelles – ne fonctionnera, donc nous, les humains, devrons probablement faire quelque chose. Il est évident que nous ne voulons pas utiliser de poison. Nous avons attrapé quelques jeunes rats avec un piège, et les avons relâchés quelques kilomètres plus loin, mais il semble que nous n’en attraperons plus maintenant. Ce sont des créatures très intelligentes.

Les seuls rats que nous avons attrapés jusqu’à présent (ici, juste avant leur libération)

Si nous ne pouvons pas les attraper et si nous ne voulons pas les tuer, cela mène aux autres solutions. Certains pourraient être capturés par des oiseaux prédateurs, et nos chiens et chats pourraient en attraper un ou deux. Ces méthodes peuvent nous apporter une plus grande tranquillité d’esprit, car ce n’est pas nous qui tuons. Nous déléguons en quelque sorte la tâche à d’autres individus qui n’ont pas d’agence morale et donc cela ne peut pas être considéré comme une mauvaise action. Mais les rats eux-mêmes sont-ils mieux lotis ? Bien qu’il n’y ait pas de réel problème à ce que d’autres animaux attrapent des rats, il peut quand même être douloureux ou stressant pour les rats de mourir de cette façon. Une exception serait lorsque les prédateurs attrapent des animaux qui souffrent déjà.
La façon la plus compatissante de faire face à la surpopulation, me semble-t-il, est la contraception. S’assurer que les individus ne naissent pas semble toujours une solution plus douce que de tuer ceux qui sont déjà en vie. Je dois examiner où nous en sommes avec la contraception des rats, et s’il existe un produit qui puisse faire le travail pour nous d’une manière qui ait le moins d’effets secondaires possible.

Quoi qu’il en soit, encore une fois, ça craint.

La très rare salamandre tachetée

Des écureuils, des corbeaux et des hiboux
Il y a d’autres choses qui se passent sur notre terrain, outre les renards qui s’attaquent aux poules et les rats qui se multiplient. Nous nous sommes assis sur un coin de siège pour regarder les bébés écureuils apprendre les bases et être trop audacieux dans les arbres, avec trop peu d’expérience. La première fois que nous avons vu l’une des créatures tomber, elle a survécu en se posant sur un paquet de feuilles. Mais un peu plus tard, nous avons trouvé un jeune écureuil mort sur le sol de la forêt.
Nous savons que les corbeaux qui volent dans le coin ont l’horrible habitude de rendre leurs proies vulnérables en s’attaquant à leurs yeux à coup de bec. Nous avons en fait entendu l’histoire d’un fermier amateur (pas un fan, de toute évidence) qui a dû arrêter d’élever des cochons de race rustique parce que les corbeaux s’attaquaient à leurs yeux !
À plusieurs reprises, nous avons trouvé des pigeons morts, et une fois un hibou mort sur le sol de la forêt (peut-être avait-il mangé un rat empoisonné quelque part dans la région). Nous trouvons régulièrement un bouquet de plumes, témoignage d’une attaque par un prédateur. Les chauves-souris attrapent apparemment jusqu’à 8 000 insectes en une nuit (est-ce qu’on s’en soucie ?). Mais si les chauves-souris sortent trop tôt de leur hibernation et qu’il n’y a pas encore assez d’insectes, elles peuvent mourir de faim.
Un dilemme particulier – causé cette fois par les humains – est la situation des poissons. Il y a des carpes dans l’un des étangs, mis à disposition par l’un des anciens propriétaires pour y pêcher. Les carpes n’y seraient pas naturellement présentes et ne sont pas vraiment bonnes pour l’écosystème de l’étang. Elles sont aussi une entrave si nous voulions attirer de rares salamandres tachetées, que nous avons aperçues à deux reprises. Mais que faire des carpes maintenant qu’elles sont là ?
Plus rarement, notre propre présence dans la nature est responsable de certaines pertes : nous avons vu nos chats attraper de temps en temps un oiseau ou un rat, et nous avons vu des oiseaux voler contre nos fenêtres. Dans l’ensemble, j’aime à penser que notre présence est globalement positive, et que nous prenons soin de ce terrain du mieux que nous pouvons (nous le faisons certainement de manière plus responsable que les propriétaires précédents).

Je suis sûr qu’au fil du temps, je vais malheureusement recueillir plus de témoignages sur ce qui se passent dans les arbres, dans les broussailles, dans le sol… Des choses que je ne veux probablement même pas savoir.

Les poulets et leurs œufs
Permettez-moi de revenir encore une fois sur le thème du contrôle des populations. Ma compagne sauve des animaux – principalement des chats – depuis des années, et nous sommes parfaitement conscients du nombre d’animaux qui ont besoin d’aide. Nous essayons évidemment de ne pas contribuer à la mise au monde d’un plus grand nombre d’animaux domestiques. Pourtant, nos poules sauvées sont un problème en soi. Les poules vont pondre des œufs (je peux vous proposer toute une discussion philosophique sur ce qu’un végane fait avec les œufs, mais ce n’est pas le sujet de cet article), et si vous ne faites pas attention, avant même de vous en rendre compte, vous avez une poule qui couve ses œufs quelque part et qui apparaît soudainement avec une petite armée de petits poussins.
On peut bien sûr choisir de ne pas avoir de coq pour que les œufs de poule ne soient pas fécondés, mais la présence d’un coq est bonne pour la troupe de poules (le coq protégera les poules et les aidera à chercher leur nourriture). Et bien sûr, il y a aussi des coqs qui ont besoin d’être adoptés, donc ils ont aussi besoin d’un lieu d’accueil.
Lorsqu’il y a un coq dans le groupe, vous obtenez des œufs fécondés (stériliser les coqs coûte cher). La prochaine étape possible consiste à essayer d’empêcher la poule de couver ses œufs jusqu’à ce qu’ils éclosent. C’est facile à faire si les poules vivent sur une petite surface, mais lorsqu’elles ont beaucoup d’espace avec beaucoup de broussailles et d’arbres pour se cacher, c’est un défi. Alors, sans le vouloir, nous avons tout à coup dû nous occuper de huit créatures supplémentaires. C’est amusant de voir comment, dès qu’ils sont dans le monde, on se sent responsable d’eux et on veut les protéger des rats, des hiboux et des autres prédateurs. Ma compagne a construit un poulailler supplémentaire pour les protéger. Jusqu’à présent, nous en avons perdu deux (contre des prédateurs inconnus). On peut imaginer combien d’entre eux ne survivent pas à leurs premiers jours, semaines ou mois de vie dans la nature.

Mélanie, attraction pour poules

Les animaux vivant sous protection humaine
Cela m’amène à un dernier point, mais important : les avantages pour les animaux de vivre avec les humains.
Les humains peuvent faire des choses horribles à la nature et aux animaux. Mais il faut se le dire, la nature elle-même, sans la présence de l’homme, peut aussi être un lieu sanglant et dangereux, où des individus s’attaquent les uns aux autres de la manière la plus féroce, ce qui permet de contrôler la population des uns et des autres. Il est difficile d’évaluer le niveau moyen de bien-être des animaux dans la nature, la fréquence à laquelle ils se sentent bien et mal, l’intensité et la durée des périodes de souffrance. Mais je pense qu’il devient clair pour moi que les animaux vivant avec les humains, dans une forme de symbiose, pourraient bien avoir la meilleure des vies. Je pense que nos poules sont généralement mieux lotis que leurs congénères sauvages. Les nôtres ont beaucoup de nourriture et d’eau, elles sont protégées des prédateurs (dans la mesure où nous y parvenons), elles reçoivent des soins médicaux quand elles en ont besoin, elles sont protégées des éléments (ma compagne en a mis un grand nombre dans le garage la nuit, pendant les périodes de chaleur intense)… Nous ne leur enlevons rien, mais si dans certains cas les gens échangent tout cela contre des œufs, par exemple, je ne suis pas sûr que ce soit un problème.
Oui, elles ne sont pas libres d’aller littéralement où elles veulent, comme un animal sauvage peut être libre (bien que cette liberté soit encore relative). Mais je suppose qu’avec un espace de vie suffisamment grand, elles se soucient peut-être moins de ce manque de liberté (il se peut même qu’elles ne s’en soucient pas du tout) que d’être douloureusement blessées ou tuées par des prédateurs ou de souffrir de l’absence de nourriture ou d’eau en quantité suffisante, ou de problèmes de santé.

Mélanie remet un oiseau tombé dans son nid

Remarque : même sans la présence de renards dans notre région, nous ne laisserions pas les poules (et les lapins) errer librement dans notre forêt au lieu de les garder dans les enclos. Mélanie a remarqué que, lorsque les poules étaient initialement en liberté, elles attrapaient des grenouilles sauvages. De leur côté, les lapins risquaient de manger des plantes qui sont toxiques pour eux. Nous les avons donc placés dans des zones clôturées, à la fois pour leur propre bien et pour celui des autres animaux. Il est donc intéressant de noter que nous avons pris une décision pour eux, et que dans le cas des poules, notre préoccupation pour les grenouilles nous a conduit à placer les poules dans un espace plus petit (encore assez grand) qu’elles n’auraient pu l’être autrement. Nous pourrions bien sûr aussi choisir de « laisser » les poules manger les grenouilles, mais il semble que nous ne voulions pas prendre cette responsabilité.

Quelques conclusions préliminaires
Être proche de la nature et des animaux, qu’ils soient sauvages ou domestiqués, nous confronte à une image beaucoup plus complexe que celle qu’ont de nombreux défenseurs des animaux en traitant simplement des droits et de l’éthique des animaux en théorie. Je trouve que les dilemmes sont nombreux, surtout si l’on prend au sérieux le bien-être des animaux sauvages, et qu’il y a encore beaucoup de place pour le doute, la nuance, la réflexion, la recherche et les nouvelles inventions.

Permettez-moi de vous donner quelques pistes préliminaires à partir de ces observations concrètes, ainsi que de ma propre décennie de réflexion sur ces sujets.

  1. La nature est, à bien des égards, étonnante, impressionnante, belle, sauvage et bien d’autres choses encore. Mais au moins pour beaucoup d’individus, pendant une grande partie de leur vie, la nature n’est pas idyllique. Ce n’est pas un jardin paisible. S’il y a une divinité qui a tout fait, je pense qu’il ou elle ne savait pas vraiment ce qu’iel faisait. Ou alors iel étaient saoul·e.
  2. Le bien-être des animaux sauvages, et surtout son absence, est important. Nous pouvons ne pas être la cause de la souffrance, et la cause de la souffrance peut être dans la plupart des cas amorale (aucune agence morale n’y est impliquée), mais cela ne la rend pas moins nocive pour les créatures qui souffrent.
  3. Nous ne pouvons peut-être pas faire grand-chose pour l’instant, mais nous devons avoir l’esprit ouvert pour rechercher et trouver des solutions à l’avenir, qu’elles soient technologiques ou non. Certaines formes de souffrance existeront toujours, d’autres formes de souffrance pourraient être atténuées, par exemple grâce à des mécanismes de contrôle des naissances.
  4. Si les humains font énormément de mal aux animaux, il y a aussi des humains bienveillants qui, quels que soient leurs défauts et leurs lacunes, essaient d’être aimants, attentionnés, bien informés et bien intentionnés envers tous les êtres sensibles. Ils peuvent offrir à certains animaux une vie meilleure qu’elle ne le serait dans la nature, et ce genre de symbiose peut donner lieu à des vies parmi les plus agréables qui soient sur cette planète.

Rêves
Les animaux sentients se sont mangées entre eux et ont été mangés par d’autres depuis qu’ils existent. Ils ont souffert de circonstances naturelles défavorables depuis leur apparition. L’Homo sapiens, le prédateur supérieur, fait évidemment beaucoup de ravages dans le monde sauvage. Mais ce qui est également vrai, c’est que ce même Homo sapiens est le premier être qui soit conscient de l’ampleur des souffrances qui se produisent dans la nature, et que certains individus de notre espèce font des recherches sur la manière dont nous pouvons rendre les choses un peu meilleures pour les animaux dans la nature.

Je suis pleinement conscient (il n’est vraiment pas nécessaire de me le dire) que la nature est un système incroyablement complexe, qu’interférer dans la nature pourrait causer plus de dommages que cela n’en résout, et que nous sommes intervenus dans la nature à de nombreuses reprises avec de très mauvaises conséquences. Je suis également pleinement conscient que ce que les humains font à l’égard des animaux, dans les fermes industrielles et au-delà, est le pire, et qu’il faut s’y attaquer en premier. Les dilemmes que j’ai énumérés ne doivent pas nous paralyser dans la définition des priorités.

Et pourtant, je rêve que la nature soit un jour un endroit meilleur pour tous ceux qui y vivent, qu’ils soient sauvages ou domestiqués.

Et j’aime à penser que ce genre de choses commence dans les rêves.

PS : Je ne suis ni biologiste, ni éthologue, ni philosophe – je ne suis rien, à vrai dire – alors si vous repérez des erreurs, ou si vous avez des conseils pour améliorer la vie des animaux avec lesquels nous vivons, faites-le moi savoir dans les commentaires !

Mélanie et son chapeau spécial
Quelques-uns des lapins
Chewbacca le poulet

Également publié ici:
https://questionsdecomposent.wordpress.com/2020/04/25/into-the-wild-les-dilemmes-auxquels-je-suis-confronte-apres-avoir-demenage-a-la-campagne/.

Presseriez-vous le bouton pour faire disparaître l’humanité ?

Attention : ce billet contient des idées que certaines personnes pourraient trouver insolemment optimistes, ainsi que des idéaux à long terme que certaines peuvent trouver ridicules. Veuillez mettre votre esprit en mode « ouvert » avant d’aller plus loin 🙂

Je lis souvent des personnes qui chérissent l‘idée de faire disparaître l’humanité en raison de la souffrance que notre espèce inflige à ses membres, aux autres êtres sentients et à la planète. Je vous propose cette expérience de pensée : si vous pouviez faire disparaître l’humanité (sans douleur) en appuyant sur un bouton, appuieriez-vous sur celui-ci ? Ou, en remodelant légèrement l’expérience pour que vous puissiez faire abstraction de votre propre responsabilité : empêcheriez-vous quelqu’un d’autre d’appuyer sur le bouton ?

Dans le mouvement animaliste/végane, l’extinction humaine semble trouver davantage de support que dans la population générale (de ce que j’en perçois). On pouvait s’y attendre. Les gens deviennent militants animalistes et/ou véganes parce qu’ils ont découvert les souffrances horribles que les humains infligent aux animaux, pour la nourriture, les vêtements, la recherche ou les loisirs. Il est tentant de penser que la planète serait un endroit plus agréable sans Homo sapiens. Et comme selon notre expérience de pensée, aucun humain ne souffrirait vraiment (ce ne serait que la question d’un instant, et il n’y aurait aucun humain pour déplorer la nouvelle situation), nous pourrions nous dire : où serait le mal ?

Maintenant, du point de vue du domaine notoirement délicat de l’éthique des populations, il y a beaucoup d’autres choses à en dire. Outre les conséquences pour les autres espèces et l’environnement, on pourrait se demander si l’univers serait globalement pire ou meilleur sans les humains. S’il y a, en moyenne, davantage de valeur positive que négative dans la vie humaine, le résultat serait plutôt négatif. Mais s’il y a davantage de souffrance que de bonheur, ce serait plutôt une bonne chose. Nous pourrions aussi penser à la valeur des personnes qui naîtraient dans le futur. Elles ne verraient évidemment pas le jour si l’humanité s’éteignait. Je n’irai pas plus loin sur ce terrain miné, d’une part parce que je n’ai pas d’opinions fermes sur ces questions, mais aussi parce que j’ai du mal à y voir clair, et surtout parce que je veux aborder d’autres aspects du problème.

Voici les raisons pour lesquelles je n’appuierais pas sur le bouton :

  1. Les humains peuvent faire beaucoup de dégâts, mais ils sont aussi remarquables.
    Nous connaissons tous les horreurs que nous causons dans le monde : à d’autres personnes et chaque année à 65 milliards d’animaux d’élevage (sans compter les poissons). Nous foutons en l’air notre environnement et utilisons beaucoup de ressources naturelles limitées. Il serait inutile de faire une longue et déprimante liste ici. Cependant, nous pouvons aussi voir tout le bien que nous faisons. Jamais dans l’histoire de notre planète – et pour ce qu’on en sait, de l’univers – une espèce n’a investi autant de temps à aider les autres. Pensez aux millions de personnes actives dans le secteur associatif. Pensez à celles qui essaient d’aider les plus faibles et les plus pauvres. Pensez à toutes les belles choses qu’on fait. Si on pense ainsi à Homo sapiens, il devient plutôt problématique et injuste de la traiter d’espèce dégénérée capable uniquement de faire du mal.
  2. Les humains ont encore beaucoup de potentiel d’amélioration.
    À bien des égards, notre histoire ne fait que commencer. Il y a quelque temps, nous n’étions que des singes arboricoles. Nous n’avons développé la culture, l’apprentissage et l’éducation que récemment. Ce n’est que récemment que nous sommes parvenus (du moins dans les pays riches) à créer des environnements confortables où nous n’avons plus à nous soucier de la nourriture et du logement, de sorte que nous puissions passer plus de temps sur d’autres choses. La violence est en déclin et cette époque est, contrairement à ce dont certains ont l’intuition, l’ère la plus pacifique de l’histoire (lire La Part d’ange en nous de Steven Pinker). Nous élargissons continuellement notre cercle moral. Dans le futur, nous travaillerons probablement moins et consacrerons probablement encore plus de temps à changer les choses pour nous-mêmes et pour les autres. Nous pouvons même espérer (du moins si l’on est techno-optimistes) que des progrès technologiques futurs puissent nous aider à avoir un impact positif énorme sur notre condition et celle de notre planète.
  3. En continuant sur ce chemin, les humains pourraient être en mesure d’aider les autres espèces

  4. Dans l’avenir, étant donné l’élévation de notre morale et les améliorations technologiques attendues, l’impact que nous avons sur d’autres espèces pourrait devenir positif. La plus grande source de souffrance pour les animaux est sans doute la nature/leurs conditions naturelles. Les animaux meurent par milliards à cause de la faim, de la maladie, du parasitisme, du climat, de la prédation (voir mon article La souffrance des animaux sauvages : une vérité qui dérange beaucoup). Peut-être qu’à l’avenir, nous pourrons limiter une partie de cette souffrance. Il en va de même si, dans un avenir plus lointain, nous rencontrons une vie sentiente sur d’autres planètes. Il y a de fortes chances qu’il y ait de la souffrance là-bas, et si, d’ici là, nous avons suffisamment progressé en moralité et technologie, nous serons peut-être en mesure d’aider. Bien sûr, il est possible que d’autres espèces de notre coin de l’univers en soient déjà rendues là, rendant ainsi notre propre progrès moins important. Mais dans l’hypothèse que nous soyons les seuls aussi « avancés » (de ce coin de l’univers), il serait très important de survivre et continuer notre développement afin d’apporter notre aide. Il serait dommage que tout ce que nous avons et tout ce que nous sommes soit perdu et que l’univers ait besoin de repartir depuis une autre espèce pour atteindre notre niveau de développement. Beaucoup de temps et de vies seraient perdues.

Comme vous le voyez, j’anticipe beaucoup. Mais pourquoi s’en priver ? Certains croiront qu’il s’agit de spéculation et de science-fiction qui n’ont aucun rapport avec les souffrances et les problèmes actuels. Mais si nous ne nous détruisons pas nous-mêmes, nous pouvons supposer que nous allons rester dans le coin pour très, très longtemps encore. Et pendant ce temps, beaucoup de choses sont possibles.

Nous avançons. Nous sommes encore des enfants, nous grandissons, nous nous améliorons. Cela va prendre des siècles ou des millénaires, mais nous, les humains, nous pourrions bien être la meilleure chose qui puisse arriver à l’univers. N’appuyons pas encore sur le bouton.

Également publié ici: https://questionsdecomposent.wordpress.com/2019/05/01/presseriez-vous-le-bouton-pour-faire-disparaitre-lhumanite/.

Que pouvons nous apprendre de l’étude des ex-végétariens ?

Des recherches récentes et approfondies menées par les Faunalytics (ils fêtent leurs 19 ans, allez les soutenir !) ont montré qu’aux Etats-Unis, seule une végétarienne ou végétalienne sur cinq maintient son régime alimentaire*. En d’autres termes, 84 % des végétariennes et végétaliennes recommencent à manger de la viande ou d’autres produits animaux.

Tout d’abord, même si cette nouvelle peut consterner à première vue, je pense que ça ne devrait pas être le cas. Cela signifie qu’il y a un potentiel beaucoup plus grand pour le végéta*isme que les quelques pourcentages que nous avons en ce moment. Cela signifie que beaucoup plus de personnes ont envisagé ou pourraient envisager de devenir végéta*iennes. Cela signifie que si nous parvenons à supprimer certains obstacles, il y a un énorme potentiel de croissance pour le mouvement. Si toutes celles qui commencent un régime végéta*ien s’y tenaient, nous aurions déjà la masse critique nécessaire !

Deuxièmement, sur les motivations : le fait que la « protection des animaux » soit beaucoup plus évoquée comme raison de leur végétarisme par les végétariennes actuelles que par les ex-végétariennes (68% contre 27%) amène certaines (dont Matt Ball) à conclure que les raisons « altruistes » permettent plus de stabilité. Selon cette interprétation, la santé serait en particulier un mauvais argument à utiliser lors de notre travail de sensibilisation. Il me semble qu’il s’agit peut être là d’une mauvaise conclusion à ce travail de recherche. J’aimerais au moins en offrir une autre interprétation.

Si l’on veut que le végéta*isme soit plus durable, il est sans doute bénéfique de s’assurer que les gens aient de solides motivations, ce qui les rend moins susceptibles de s’écarter du véganisme. Les motivations éthiques, en ce sens, semblent plus solides. Et en théorie, la seule raison de se tenir à un régime végétarien ou végétalien est de penser que les animaux ne devraient pas être mangés (tout autre argument ne poserait pas de problème pour une très faible consommation de produits animaux). Cependant, il existe différentes façons de faciliter le maintien du végéta*isme. Une manière est d’augmenter la motivation, l’autre est de modifier les conditions sociales des végéta*iennes. Bien sûr, le fait d’avoir une ou deux végéta*iennes dans son entourage aide aussi (surtout parmi la famille ou les collègues). Mais rendre la société plus accommodante et compréhensive du végéta*isme ne demande pas pour autant que les gens deviennent eux-mêmes végétai*ennes, et c’est probablement un moyen beaucoup plus rapide. Et pour cela – pour rendre le vég*isme plus mainstream – la santé semble être un facteur de motivation qui peut convaincre davantage de gens.

J’ai d’autres doutes quant à l’interprétation selon laquelle la recherche du HRC nous indiquent que nous devrions nous concentrer sur les motivations éthiques, en particulier envers les animaux :

  • il me semble que nous ne pouvons pas interpréter à partir de ces données ce qui a motivé initialement les gens à devenir végés, par opposition à ce qui les motive actuellement. Il se peut très bien (comme certaines recherches semblent l’indiquer) que de nombreuses personnes passent de motivations liées à la santé à des motivations éthiques. Et si les motivations et la communication en matière de santé étaient plus appropriées pour attirer les gens au départ ? Si tel était le cas, l’argument en faveur d’un focus sur l’éthique animale dans toutes nos communications ne tient pas la route. Bien au contraire.
  • il peut y avoir une sorte d’auto-sélection des personnes consentant à répondre, avec laquelle les personnes motivées par l’éthique (en particulier l’animalisme) ont davantage tendance à répondre, et sont plus éventuellement plus enclines à donner certaines réponses.
  • nous devons aussi nous demander si les récidivistes mangent autant de viande qu’avant ou deviennent en fait quasiment végéta*iennes, mangeant par exemple végé 6 jours par semaine. De grandes masses gens réduisant leur consommation font une grande différence. Même si les végétariennes pour la santé ne le restaient pas complètement mais demeuraient ensuite quasi-végéta*iennes, et que nous pouvions facilement « rendre » plus de personnes végétariennes pour la santé, ce serait un argument en faveur d’une communication axée sur la santé. De même, pour avoir une bonne vision globale du problème, il faudrait tenir compte du nombre d’années pendant lesquelles les personnes ont été végéta*iennes.
  • une vraie cause de préoccupation serait, cependant, que les ex-végéta*iennes ne deviennent de mauvaises porte-parole pour le végéta*isme.

C’est bien beau de dire que les gens devraient être motivés par des raisons éthiques, mais cela ne veut pas dire qu’ils le seront facilement. Il me semble que le bon sens nous indique – et c’est répété dans une grande partie de mes lectures sur le changement – qu’il est plus productif de formuler notre message d’une manière connectée aux valeurs que les gens ont déjà (santé, environnement), que d’essayer de leur faire adopter les valeurs que nous voudrions qu’ils aient. Nous rendrons ainsi plus rapidement mainstream les idées végéta*iennes, sans nécessairement augmenter le nombre de végétaliennes, mais en réduisant drastiquement la consommation de viande et en augmentant l’offre végéta*ienne dans les restaurants et les magasins. Le changement de société que cela entraînerait rendrait ensuite plus facile pour n’importe qui de devenir végéta*ienne.

Ce que je pense être une grosse erreur est aussi encore une fois répétée : le plus grand intérêt pour le nombre de végéta*iennes que pour le nombre de repas végéta*iens consommés. Le second facteur est bien plus important que le premier, non seulement parce qu’en chiffres absolus, il peut avoir un effet plus important sur la souffrance animale, mais aussi parce que, à ce stade de l’histoire de notre mouvement, il est probablement plus facile et plus bénéfique d’augmenter rapidement le nombre de repas de végéta*iens que le nombre de personnes végéta*iennes. C’est l’incrémentalisme que le HRC souligne également dans ses conclusions : « les derniers résultats montrent une fois de plus qu’un message axé sur la réduction plutôt que sur l’élimination des produits d’origine animale pourrait être plus efficace pour créer une baisse globale de la consommation des produits d’origine animale ».

J’ai aussi été très heureux de lire dans les conclusions du HRC qu’il était important de porter notre attention sur comment soutenir le végéta*isme. Je pense que le militantisme végé devrait se concentrer sur la facilitation, et sur l’abaissement des barrières, plutôt que de tenter de convaincre les gens de pourquoi ils devraient être végéta*iens.

Une autre leçon, à mon humble avis : il ne faut pas sous-estimer l’importance de prêcher des convaincues. Organiser des repas-partage entre véganes est parfois mal vu par les « vrais » activistes de rue. Je pense que ces résultats indiquent autre chose. Il est très important de se soutenir mutuellement.

Dans tous les cas, nous ne devons pas rester dans le déni. J’ai vu des militantes animalistes répondre simplement à ces faits par des « nous savons mieux que d’autres, pour nous ce n’est pas une phase ». Bien sûr, ce n’est pas une phase pour certaines, mais apparemment, pour une majorité, ça l’est bien. Levons leurs freins au végéta*isme.

*L’article est traduit au féminin neutre. Les végés étant principalement des femmes, ceci respecte l’accord en nombre.

Également publié ici: https://questionsdecomposent.wordpress.com/2019/04/22/que-pouvons-nous-apprendre-de-letude-des-ex-vegetariens/.

L’émergence du business végane furtif

En tant que véganes, nous aimons bien lorsque le mot « végane » est utilisé. Nous aimons le voir sur les produits et les menus des restaurants. Le simple fait de faire connaitre ce mot et de le faire afficher permet non seulement d’identifier quels produits sont véganes, mais devrait aussi faire la promotion du véganisme en général. Mais est-ce que ne pas utiliser le mot végane… pourrait permettre de vendre davantage de produits véganes ?

La première fois que j’ai entendu parler de ça, c’était il y a des années, dans un supermarché Whole Foods quelque part en Californie. On m’avait dit qu’ils vendaient un gâteau végane là-bas. Je ne l’ai pas trouvé et j’ai demandé à la personne derrière le comptoir où il était. Elle m’a montré le gâteau et m’a dit qu’il n’était plus marqué comme étant végane. Elle m’a aussi dit qu’il s’était vendu trois fois mieux depuis qu’ils avaient enlevé l’étiquette.

Plus récemment, j’ai vu de plus en plus de commerces entiers étant ce que j’appelle « véganes furtifs« . Je veux dire par là que le fait qu’ils soient véganes est soit communiqué de manière très subtile, soit pas du tout. Je vais vous donner deux exemples croisés récemment.

A Melbourne (et probablement dans d’autres villes d’Australie), il existe une chaîne qui s’appelle « Lord of the Fries« . Ces restaurants ressemblent à des fast-food classiques, avec les burgers et les sodas habituels, mais la nourriture y est végétarienne ou végétalienne. Si vous regardez bien, c’est écrit, mais mes amis ont estimé que non seulement la majorité de leur clientèle n’est pas végétarienne ni végétalienne, mais que les clients croient pour la plupart manger de la viande ! On m’a dit que parfois, les gens ne l’apprennent qu’après des mois de fréquentation.

The menu at Lord of the Fries, Melbourne, Australia

Un autre exemple de business végane furtif est la petite chaîne de glaces Gela en Israël. La boutique où je suis allé avait un petit autocollant « végane » sur le comptoir, qui leur a été fournie par une association israélienne. J’ai demandé à la personne derrière le comptoir – puisque je ne lis pas l’hébreu – s’il y avait une autre mention dans le magasin au fait que tout soit végane. Elle m’a dit que non, la plupart des clients ne savent pas que les produits sont véganes.

Gela in Israel only has a vegan friendly sticker, but everything is vegan.

Un autre exemple de plus est le Ronald’s Donuts, un établissement vendant des donuts à Las Vegas. Rien sur le bâtiment ne trahit la présence de produits véganes à l’intérieur, et si vous voulez savoir quels donuts sont véganes, vous devez demander.

Pourquoi ces endroits – et bien d’autres – font-ils si peu de cas d’avoir des produits végétariens ou véganes ? Ce n’est évidemment pas parce qu’ils seraient gênés d’utiliser ce mot. C’est plutôt parce qu’ils savent qu’en ce moment, ces mots rebutent plus de gens qu’ils n’attirent. Végétarien et végane, pour la plupart des gens, n’indiquent pas une valeur ajoutée, mais indiquent une valeur retirée. Pour avoir une idée de ce qui se passe, comparez ceci avec la réaction que vous auriez face à un restaurant « sans gluten ». Si vous n’êtes pas intéressée par le sans gluten, vous penserez probablement comme moi : que les plats ne seront pas aussi bons que des plats classiques avec gluten. Quelque chose leur a été retiré (comme du goût, peut-être ?). Que la nourriture d’un tel restaurant soit aussi bonne ou moins bonne que celle d’un restaurant classique est sans importance ; le préjugé est déjà là.

Vous vous dites peut-être : mais ça ne leur fait pas perdre des clients ? Un végane pourrait passer devant et ne jamais savoir, non ? C’est vrai que ces vendeurs peuvent rater quelques clients, mais il est probable qu’ils gagnent davantage. De plus, les végétariens et les véganes trouveront de toute façon leur chemin vers des endroits sans viande, grâce au bouche-à-oreille, à l’application Happy Cow, etc. Il n’est pas nécessaire de mettre VEGAN en gros caractères sur la vitrine du magasin.

Tout cela va changer au fur et à mesure que l’appréciation de la population générale à l’égard des produits véganes augmentera. Et une façon de faire grandir l’engouement envers les produits véganes est de laisser les gens manger de la nourriture végétalienne, sans leur faire remarquer. S’ils le découvrent après l’avoir mangé (et qu’ils l’ont aimé), c’est tant mieux.

Et juste au cas où vous n’auriez pas réalisé : ce qui rend le commerce végane furtif possible, c’est le fait que maintenant, nous avons de si bonnes copies végétales pour de nombreux aliments qu’il est devenu possible bluffer réellement les gens. Et ça c’est un progrès !

Traduction par Frédéric Mesguich.

Une révolution végane en Israël : réalité ou fiction ?

Vous avez peut-être entendu dire qu’au cours des dernières années, Israël a connu une « révolution végane », ou qu’il s’agit du pays le plus végane du monde. J’étais récemment en Israël pour faire une conférence CEVA sur le militantisme végane à Tel Aviv, en compagnie de Mélanie Joy, dont le livre Pourquoi nous aimons les chiens, mangeons des porcs et portons des vaches: Une introduction au carnisme venait de sortir en hébreu. Ma compagne et moi avons passé quatre jours à Tel-Aviv, trois jours à Jérusalem et trois jours dans les territoires occupés, et j’ai donc eu l’occasion de vérifier par moi-même. La situation du véganisme en Israël est-elle vraiment remarquable ? Et si oui, pourquoi exactement ?

Répondre à de telles questions n’est jamais facile : il est difficile de rassembler toutes les données pertinentes et de les interpréter correctement. Mais dans ce cas, il y a des facteurs d’erreur qui rendent la tâche encore plus complexe. Tout d’abord, pour déterminer s’il se passe quelque chose d’exceptionnel en Israël, nos intérêts personnels ou nos biais peuvent jouer un rôle. Pour certains, Israël semble être la preuve que des tactiques plutôt conflictuelles, sans compromis, fonctionnent, et c’est pourquoi ils utilisent le cas d’Israël pour plaider en faveur d’un message clair et non dilué sur le go-vegan. Personnellement, je suis – à l’heure actuelle – davantage en faveur de messages légèrement édulcorés (y compris les messages réductariens), qui portent aussi sur la santé ou l’environnement. Ainsi, lorsque je regarde Israël, je dois être conscient de mes propres préjugés en ce sens.
Deuxièmement, il y a l’ombre du conflit palestinien. Beaucoup de gens, principalement de gauche, s’interrogent sérieusement sur le traitement qu’Israël réserve aux Palestiniens (j’y reviendrai plus tard), ce qui pourrait influencer leur évaluation de la situation d’Israël en ce qui concerne le véganisme. Certains suggèrent même qu’Israël polit son image avec une dose de sympathie pro-végane ( » veganwashing « ). La situation en Israël semble être un cas d’étude intéressant pour une discussion sur les interconnexions des oppressions, qui prend de plus en plus d’importance dans le mouvement animaliste/vegane en général.

Compte tenu de ces mises en garde, jetons un coup d’œil à ce que nous pouvons trouver.

Qu’est-ce qui se passe ?
Quelques bribes d’information : Israël est le seul pays au monde où la chaîne internationale de livraison de pizzas Domino’s (active dans plus de 80 pays) propose une offre végétalienne. C’est aussi le premier pays en dehors des États-Unis où les saveurs végétaliennes de la glace Ben et Jerry’s sont disponibles. L’armée israélienne prend en compte ses soldats véganes en leur offrant, entre autres, des bottes sans cuir. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a exprimé son soutien aux lundis sans viande et s’est déclaré très favorable à l’idée des droits animaux. La Vegan Fest 2014 a attiré plus de 10 000 visiteurs. Happy Cow nous montre 20 résultats véganes (restaurants, bars, etc.) et 16 résultats végétariens dans le centre ville de Tel Aviv (dans un rayon de 5 km, et pour une population de 410.000 personnes). Les agences de voyages offrent des circuits culinaires véganes de Tel-Aviv, et une visite de groupe végane d’Israël.

Israël est le premier pays au monde où Domino Pizza propose des pizzas véganes

En me promenant à Tel-Aviv, j’ai eu l’impression superficielle qu’il s’agit effectivement d’une ville très vegan-friendly, à l’instar des villes américaines les plus vegan-friendly, comme New York ou San Francisco, ou Berlin. Tel-Aviv est la partie la plus progressiste d’Israël, tandis que Jérusalem, la plus grande ville du pays, est beaucoup plus conservatrice et ne semble pas aussi impressionnante en ce qui concerne le véganisme. Le fait que le véganisme soit concentré dans les villes les plus progressistes n’est bien sûr pas un phénomène propre à Israël.

Le mouvement activiste lui-même est très impressionnant en Israël. La croissance de ce mouvement semble être une chose très récente. Quand j’ai parlé aux gens de ce qui l’a déclenché, le nom de Gary Yourofsky, surtout connu grâce à sa vidéo « Best Speech You Will Ever Hear« , n’arrêtait pas de surgir. Yourofsky – qui s’est récemment retiré de l’activisme pour cause d’épuisement professionnel – s’est rendu en Israël en 2012 et semblait avoir galvanisé le mouvement par ses prises de paroles et nombreuses interviews dans les médias grands publics. La version sous-titrée en hébreu de sa vidéo a été visionnée plus de 700 000 fois. Yourofsky est fortement critiqué par beaucoup de gens pour ses déclarations sur les femmes, la Palestine et son attitude misanthrope générale, mais son influence en Israël semble particulièrement difficile à nier. À maintes reprises, j’ai entendu parler de militants éminents et moins éminents qui sont devenus véganes grâce à Yourofsky.

En dehors de lui, d’autres personnes influentes que j’ai entendues mentionner fréquemment sont Tal Gilboa, un militant végane qui a gagné l’émission populaire Big Brother à la télévision nationale ; Ori Shavit, un journaliste culinaire, et blogueur militant ; et Miki Haimovich, célébrité de la télévision qui dirige la campagne Meatless Monday en Israël.

Ainsi, aujourd’hui, le mouvement en Terre Sainte est clairement en plein essor. Vous aviez peut-être entendu parler de la marche pour les droits des animaux d’octobre 2015, à laquelle pas moins de 12 000 personnes ont participé. Les organisateurs ont ensuite attiré environ 30 000 personnes lors de la marche de 2017, ce qui en fait la plus grande marche pour les droits des animaux de tous les temps. J’ai rencontré des gens d’Anonymous for Animals à leur siège social à Tel Aviv, et j’ai été très impressionné par le professionnalisme et l’orientation vers les résultats de leur équipe relativement jeune (qui compte 30 personnes !). Tout aussi impressionnant est le travail de l’organisation Vegan Friendly, dirigée par Omri Paz, qui est responsable du label végane pour les entreprises, organise de nombreux événements, et fait beaucoup d’autres choses. L’organisation plus traditionnelle Let the Animals Live a, ces dernières années, introduit des campagnes véganes.

Marche pour les droits des animaux de 2015 à Tel Aviv

D’autres initiatives sont la page Facebook à succès Best Video You Will Ever See, qui a plus de quatre millions de likes et semble être très efficace pour aider les vidéos à devenir virales. Activegan est une nouvelle initiative pour aider les militants véganes à être plus efficaces (Chen Cohen, un de leurs fondateurs, a aidé à organiser notre formation CEVA). Un congrès végane principalement destiné aux militants a attiré 1 400 personnes en février 2017. Et puis, bien sûr, il y a l’activisme choc du mouvement 269Life, né en Israël, où les activistes se font marquer au fer rouge publiquement avec le numéro 269 – le numéro d’un veau laitier né sur une ferme israélienne.

Voilà à quel point le mouvement est actif et dévoué. Mais que disent les chiffres réels ? Alors que certains articles montrent des chiffres très élevés (vous pouvez parfois lire 5% de véganes), les rapports plus réalistes (du Bureau central des statistiques) montrent 1,7% de véganes et 4,7% de végétariens en Israël. Le sondage demandait aux gens de s’autodéfinir, ce qui signifie que les chiffres réels peuvent être plus faibles. De plus, comme l’explique l’activiste Dylan Powell, Israël est l’un des principaux pays consommateurs de viande dans le monde (après les États-Unis, la Nouvelle-Zélande, l’Australie et l’Autriche), et le plus gros consommateur de poulets au monde. La tendance semble également à la hausse pour la consommation de viande, et Powell (qui est explicitement pro-palestinien) dit à juste titre que le nombre de véganes dans un pays n’est pas nécessairement révélateur, et devrait être juxtaposé à la consommation de viande par habitant.

Qu’y a-t-il de différent en Israël ?
Même si le succès végane en Israël semble pour l’instant se limiter principalement à Tel-Aviv et à une élite culturelle, et même si on ne peut pas dire qu’il soit à des années lumières devant d’autres pays progressistes, il est tout de même assez impressionnant. La vitesse à laquelle tout s’est passé est particulièrement impressionnante. Il y a quelques années, le mouvement était très petit. J’ai déjà mentionné Yourofsky qui semble avoir redynamisé le mouvement, mais en discutant avec des militants israéliens j’ai aussi trouvé d’autres facteurs qui ont pu faciliter une croissance rapide.

Une caractéristique distincte de la culture juive repose sur ses interdits alimentaires. La coutume répandue d’indiquer que les produits sont casher et d’éviter les produits non casher (comme font beaucoup de juifs, bien que ce ne soit pas le cas pour tous), permet probablement aux juifs de mieux comprendre (et d’être tolérants et ouverts) aux pratiques véganes d’éviction de certains aliments. Les Israéliens semblent également avoir une communication très directe, ouverte et honnête, ce qui peut rendre encore plus facile de parler de ses préférences et de son éthique.

Un autre facteur peut être qu’Israël est un très petit pays et qu’il est relativement facile d’atteindre une grande partie de la population grâce à ses quelques médias. De plus, contrairement à la plupart des pays occidentaux, il existe une bonne base culinaire végétale en Israël (et dans d’autres pays du Moyen-Orient). L’houmous et le falafel (tous deux faits de pois chiches) sont des aliments de base qui se trouvent un peu partout (les gens y mangent des assiettes entières d’houmous).
Enfin, à travers mon expérience au sein du mouvement animaliste des États-Unis, j’ai été frappé à plusieurs reprises par le nombre disproportionné de Juifs qui y participent. Il est possible que les Juifs, ayant été victimes de persécutions et d’hostilités incessantes au cours des âges, aient plus de facilité à compatir avec le sort des autres minorités opprimées. Ce qui, bien sûr, nous amène à la question de la Palestine.

La question palestinienne
Pendant que nous planifiions notre voyage, un activiste m’a écrit devait par éthique nous inciter à visiter aussi les territoires occupés. Je me sentais gêné de seulement savourer de la bonne nourriture végétalienne à Tel-Aviv alors que j’étais au courant de tout ce qui se passait dans la région, et nous avons donc fait une visite guidée de Jérusalem-Est et d’Hébron, une ville de la région. Cette dernière tournée était dirigée par l’organisation Breaking the Silence, un groupe d’anciens soldats israéliens qui ont décidé de rompre le silence sur ce qu’ils avaient vu pendant leur service militaire. Au moment où j’écris ces lignes, le Premier ministre Netanyahou vient d’annuler une réunion avec le ministre allemand des Affaires étrangères parce que ce dernier avait parlé à Breaking the Silence. Beaucoup d’Israéliens considèrent Breaking the Silence comme un groupe de traîtres, mais pour moi, notre guide m’a semblé très raisonnable et objectif, même s’il était manifestement critiques à l’égard du pays, il ne pouvaient guère être considéré comme anti-israélien. Tout cela témoigne de ce que j’ai moi-même vécu : il existe un lourd tabou contre le fait de parler du conflit israélo-palestinien, et toute critique d’Israël peut facilement être considérée comme antisémite par certains.

Ayant vu et entendu ce qui se passe dans les territoires occupés, j’ai du mal à ignorer tout le problème israélo-palestinien dans le contexte d’un article sur le véganisme. L’expérience m’a déjà appris que quelque position qu’on défende sur le sujet provoque des réactions intenses. Je comprends que la question est très compliquée, et qu’un court séjour en Israël ne peut pas me faire comprendre toute l’histoire (un de nos guides était un Palestinien, une autre était une femme juive laïque ; je n’ai donc pas eu de vision religieuse des choses). Pourtant, ce que j’ai entendu et vu à Hébron et ailleurs m’a semblé très injuste, c’est le moins qu’on puisse dire.

Certains membres du mouvement de défense des droits des animaux (bien qu’ils puissent croire que les droits des animaux et les droits de l’homme sont liés) s’opposent au fait de mélanger animalisme et « politique », craignant de repousser de potentiels militants pour les animaux, ces derniers ayant dramatiquement besoin d’alliés, quelques soient leurs opinions et appartenances politiques. D’autres craignent que l’attention portée aux droits des animaux, lorsqu’elle n’est pas associée à une préoccupation pour les droits de l’homme, ne se fasse au détriment de ces derniers, ou qu’une préoccupation pour les droits des animaux et le véganisme ne puisse même servir à cacher le manque de respect des droits de l’homme. C’est là, bien sûr, un sujet de préoccupation particulier en Israël. Voici une citation du professeur israélien de droit international Aeyel Gross :

Quand le véganisme devient un outil pour améliorer l’image des FDI [Forces de défense israéliennes], ou celle d’Israël dans son ensemble (…) et quand on tente de dissimuler le fait que les FDI gèrent un mécanisme d’occupation qui nie les droits humains fondamentaux, le véganisme est utilisé à des fins de propagande. Aujourd’hui, à Tel-Aviv, il est beaucoup plus facile de trouver des aliments dont la préparation n’a pas nécessité l’exploitation d’animaux que des aliments dont la production n’a pas impliqué l’oppression et le déracinement d’autres êtres humains.

Il ajoute :

Il faut souligner qu’il y a beaucoup de végane qui s’opposent fermement à toute forme d’oppression. Pour ces personnes, le véganisme n’est pas un substitut à la lutte contre l’oppression d’autres êtres humains, mais fait plutôt partie intégrante de cette lutte.

Dans ce contexte, le récent mouvement végane parmi les arabes israéliens (qui constituent 20% des citoyens israéliens) vaut la peine d’être mentionné. Leur groupe s’appelle The Vegan Human. La Palestinian Animal League (PAL) est la seule organisation palestinienne de protection des animaux gérée localement et a réussi à financer avec succès une cafétéria végétarienne/végane dans une université de Jérusalem.

La nourriture
La nourriture que nous avons goûtée, partout où nous sommes allés, était excellente à tous les niveaux. Les véganes israéliens savent cuisiner ! La meilleure expérience a été le légendaire restaurant géorgien Nanuchka à Tel Aviv, qui servait autrefois de la viande, mais qui a été complètement végétalisé après que sa propriétaire, Nana Shrier, soit devenue elle-même végétalienne. Il être une sorte de symbole du changement végane en Israël. La même chose se passe partout, et même lorsque le restaurant n’est pas végétalien, il y a toujours moyen de végétaliser les plats ; j’ai même réussi à manger végétalien à Madam Kwan’s delivery [une chaîne de restaurant malaisiens]. Malgré les avertissements reçus par la propriétaire du restaurant, la végétalisation du restaurant n’a pas nui aux affaires, et l’endroit était effectivement bondé lorsque nous y sommes passés. Nous avons dîné avec de bons amis dans une atmosphère merveilleuse, en dégustant de succulents plats géorgiens sélectionnés dans un menu bien étoffé. Il y avait de délicieux « krtofiliani », ou pâte feuilletée farcie de pommes de terre et d’oignons, et les fameuses quenelles farcies d’épinards et de noix. Je me souviens aussi de formidables « boulettes de viande » à la sauce tomate, à la géorgienne. C’est un endroit où j’ai hâte de retourner.

Petit déjeuner au Landwer Cafe

Dimanche, nous avons pris le brunch dans le fantastique Café Anastasia, qui était animé par l’énergie de nombreuses familles. J’ai été ému de voir que tant de gens venaient manger ici et que le véganisme semblait, à ce moment-là, la chose la plus naturelle et la plus acceptée dans le monde.

Goodness est un nouveau petit restaurant végétalien de type fast-food, avec une cuisine délicieuse et un service amical. Et nous acheté délicieux produits à la boulangerie végétalienne Seeds, dont j’ai malheureusement laissé la plupart dans le bus de Tel Aviv à Jérusalem.

A Jérusalem, nous avons testé le Landwer Cafe, une chaîne de plus de soixante restaurants qui propose une cuisine traditionnelle israélienne, et qui a récemment ajouté un choix décent de plats végétaliens à son menu, dont un petit déjeuner végétalien. Dans le célèbre marché Machane Jehudah, nous avons mangé des glaces et des gaufres à Gela, qui est une petite chaîne de glaciers-cafés pratiquant ce que j’appelle le « véganisme furtif » : si vous ne savez pas déjà que l’endroit est végane quand vous entrez, vous ne le saurez pas plus en sortant. Une table près de la fenêtre dans le discret restaurant Fig nous nous a offert une belle vue sur l’ancienne muraille de la ville.

Quelle est la prochaine étape pour le mouvement végane en Israël ?
Le mouvement pour les animaliste/végane israëlien est définitivement une grosse réussite. Je pense que les tactiques confrontationnelles et les messages moralistes peuvent être très efficaces pour recruter de nouveaux militants. Mais ils pourraient être – comme certains Israéliens me l’ont dit – plus efficaces en Israël que dans d’autres pays en raison de la manière très directe dont les Israéliens communiquent entre eux. On peut aussi se demander si les nouveaux militants recrutés par ces messages devraient employer les mêmes tactiques pour convaincre le reste de la population. Nous sommes peut-être, comme l’a écrit le Che Green de Faunalytics, les fruits à la portée de la main, et ce qui nous a convaincus (nous véganes précurseurs) n’est peut-être pas ce qui poussera les masses à rejoindre nos rangs.

Cependant, le jeune mouvement israélien utilise déjà des tactiques différentes pour élargir son attrait. Anonymous for Animals consacre beaucoup d’efforts dans une campagne de type Veganuary [janvier végane], en organisant des groupes de soutien Facebook de 400 personnes chacun, et faisant porter leur message jusque dans les salles de classe. La campagne Meatless Monday [lundi sans viande] s’adresse à un large public. Le groupe Vegan Friendly semble très efficace dans sa collaboration avec les entreprises et contribue ainsi à rendre les alternatives végétales meilleures et plus disponibles. La Modern Agriculture Foundation [Fondation pour l’agriculture moderne] rassemble et encourage différents acteurs dans le domaine de la viande propre (cultivée) et a lancé l’initiative Supermeat, qui tente de créer de la viande propre (cultivée) de poulet.

Ce qui se passe en Israël en matière de véganisme est inspirant. J’espère que le mouvement végane y trouvera un moyen d’intégrer les droits de l’homme et de s’exprimer au nom des groupes défavorisés et opprimés sans s’aliéner les éventuels partisans ayant des opinions plus conservatrices. Il s’agit, bien entendu, d’un défi pour les défenseurs des animaux, où qu’ils se trouvent.

Sources
The Rise of Israel’s animal rights movement
The Myth of vegan progress in Israel
Greenwashing: Vegan Israel eats a lot of chicken
Israel is the most vegan country in the world
Israel has most vegans per capita and trend is growing
In the land of milk and honey, Israelis turn vegan
Can animal rights take precedence over human rights?
Will Israel become the world’s first vegan country?

Également publié ici: https://questionsdecomposent.wordpress.com/2019/04/20/une-revolution-vegane-en-israel-realite-ou-fiction/.

Pourquoi la plupart des gens mangent de la viande ?

Dans les années 1950, le psychologue américain Solomon Asch recruta des participants au Swarthmore College (États-Unis) pour une expérience désormais célèbre*. Il leur dit qu’il faisait des recherches sur la perception, mais en réalité, il s’agissait d’une étude sur la conformité et la pression sociale. Asch montra aux participants une série d’images comme celle qui suit.

Chaque fois qu’il montrait ce genre d’image, Asch demandait laquelle des barres de droite était de la même longueur que celle de gauche. Chaque personne devait alors donner sa réponse à voix haute dans le groupe. Cependant, en réalité, tous les membres du groupe sauf un étaient des complices d’Asch, à qui il avait ordonné de donner la même mauvaise réponse. Le seul participant réel, ne soupçonnant pas la supercherie, devait donner sa réponse après tous les autres. À sa grande surprise, Asch constata qu’un nombre inquiétant de personnes dans cette situation donnaient elles aussi une mauvaise réponse. Cela amena Asch à conclure que « la tendance au conformisme dans notre société est si forte que des jeunes raisonnablement intelligents et bien intentionnés sont prêts à confondre le noir et le blanc. » Dans certains cas, la raison pour laquelle les gens ont donné une réponse clairement incorrecte était qu’ils pensaient que le groupe avait raison. Dans d’autres cas, les sujets interrogés semblaient avoir peur de paraître différents des autres ou ne voulaient pas faire de vagues.

Il est facile de faire le lien avec le sujet qui nous intéresse. On peut parier sur le fait que beaucoup de gens savent au fond d’eux-mêmes qu’il y a quelque chose qui ne va pas avec leur alimentation. Ils peuvent éventuellement croire qu’il est acceptable de tuer des animaux pour se nourrir, tout en pensant que ces mêmes animaux devraient au moins « avoir eu une bonne vie ». D’autres peuvent croire que cela ne vaut pas du tout la peine de tuer un animal pour se nourrir. Mais quand manger de la viande (ou des produits d’origine animale) est constamment considéré comme normal autour de nous, il est difficile d’écouter la vague sensation d’inconfort qu’on peut éprouver. Cela devient alors beaucoup plus difficile de penser que quelque chose de vraiment grave est en train de se dérouler. Même en tant que végétarien ou végane, en tant que personne qui a vraiment intériorisé le principe selon lequel il n’est pas acceptable de manger des produits d’origine animale, on peut avoir ces petits moments de doute, en se demandant si on ne déforme pas la réalité. L’écrivain sud-africain et prix Nobel J. M. Coetzee attribue les pensées suivantes à son personnage végétarien Elisabeth Costello :

« C’est que je ne sais plus où j’en suis. J’ai l’impression de me fondre très facilement parmi les gens, d’avoir des relations tout à fait normales avec eux. Je me demande : est-il possible qu’ils soient tous impliqués dans un crime d’une ampleur si ahurissante ? Est-ce que je fantasme tout ça ? Je dois être folle ! Pourtant, chaque jour, j’en vois les preuves. Les personnes que je soupçonne me montrent d’elles-même les preuves, les présentent, me les offrent. Des cadavres. Des morceaux de cadavres qu’ils ont acheté avec leur argent. (…) Mais je ne rêve pas. Je regarde dans vos yeux, dans ceux de Norma, dans ceux des enfants, et je ne vois que de la bonté, de la bonté humaine. Calme-toi, je me dis, tu dramatises. C’est la vie. Tout le monde s’y fait, pourquoi pas toi ? Pourquoi tu ne peux pas ? »

Comme il n’y a encore que peu de personnes qui pensent que manger de la viande est un problème et agissent en conséquence, la plupart des gens ne se demandent pas si manger des animaux est un problème moral. Selon le psychologue Steven Pinker, l’une des principales conclusions de l’âge d’or de la psychologie sociale est que « les gens apprennent comment se comporter en prenant exemple sur autrui« . À la question « pourquoi la plupart des gens mangent de la viande », on peut répondre : « la plupart des gens mangent de la viande parce que la plupart des gens mangent de la viande. »

D’où l’importance de la masse critique. Le changement nécessite le nombre. Nous avons besoin que suffisamment de gens expriment leurs doutes, montrent leur intérêt, ne participent pas, mangent différemment, etc., afin que les autres cessent de considérer que manger des animaux est naturel, normal et nécessaire.

Merci donc à toutes les personnes qui n’ont pas peur de penser différemment et de se démarquer de la foule !


*Pour en savoir plus sur l’expérience Asch, jetez un œil à cette vidéo.

Également publié ici: https://questionsdecomposent.wordpress.com/2019/04/06/pourquoi-la-plupart-des-gens-mangent-de-la-viande/.

Le rôle du militantisme végane doit-il changer devant le succès croissant du business végane ?

Au sein de toutes les initiatives visant à défendre les animaux d’élevages, nous pouvons distinguer deux grands types d’acteurs : les organisations à but non lucratif (essentiellement l’activisme et le plaidoyer pour les animaux) et les organisations à but lucratif (les entreprises). Dans cet article, je pose la question de savoir si, à la lumière des développements incroyablement enthousiasmants du secteur privé, le rôle du plaidoyer militant doit être réévalué.

Je fais partie du mouvement des droits des animaux et du mouvement végane depuis une vingtaine d’années maintenant. J’ai fondé une association en 2000 et j’ai vu l’émergence de nombreuses autres associations. J’ai vu de petits groupes devenir vraiment grands et professionnels, comptant parfois plus d’une centaine d’employés rémunérés et travaillant avec un budget de plusieurs millions de dollars. Et puis il y a eu l’émergence de la militance de terrain organisée, comme Anonymous for the Voiceless, Direct Action Everywhere ou le Save Movement, sans compter les dizaines de milliers de défenseurs des animaux et véganes qui travaillent individuellement.

Pendant longtemps, j’ai pensé que tous ces efforts de sensibilisation et de plaidoyer de la part de tous ces groupes et individus étaient le moyen le plus important, sinon le seul, pour induire un changement pour les animaux. Je pensais que toute cette sensibilisation au sort des animaux (avec des dépliants, des vidéos, des sites web, des newsletters, des médias sociaux, des conférences, des podcasts, des manifestations, du lobbying, etc.) était en somme tout ce qui existait. Et je n’ai certainement jamais eu beaucoup de doute sur le fait qu’il soit possible de changer suffisamment les cœurs et les esprits.

Un terrain de jeu changeant
Pendant tout ce temps (qu’on parle de deux ou quatre décennies, peu importe) il y a eu aussi des acteurs commerciaux vendant des produits véganes que les gens (véganes ou non) achetaient. Beaucoup de ces entreprises, cependant, étaient traditionnellement assez petites et pas trop ambitieuses, beaucoup d’entre elles croyant probablement au « small is beautiful » (plus c’est petit, mieux c’est). Toutefois, au cours des cinq dernières années environ, le monde de l’entreprise a connu de nouveaux développements importants :

  1. Bien qu’un grand nombre d’entreprises classiques, plus anciennes, connaissent une croissance plus rapide qu’auparavant grâce à une demande accrue, de nombreuses startups se distinguent des entreprises plus anciennes en étant plus ambitieuses, plus modernes, plus technologiques et souvent mieux financées. Pensez à des entreprises comme Just, Beyond Meat, Impossible Foods, pour ne citer que ces trois exemples parmi les plus célèbres (celles-ci viennent des États-Unis, mais elles existent dans de nombreux pays, à différentes échelles).
  2. Les investisseurs s’intéressent de plus en plus à ce secteur. Impossible Foods, par exemple, a récolté à ce jour environ quatre cents millions de dollars. La quête des meilleures alternatives aux produits animaux est de mieux en mieux financée. Lewis Bollard de l’Open Philanthropy Project mentionne 1,7 milliard de dollars de financement (aux seules entreprises qui divulguent leurs financements), par au moins 55 fonds différents investissant dans les alternatives aux produits animaux.
  3. À côté des anciennes entreprises spécialisées dans le végétal et des startups, nous voyons maintenant aussi de grandes entreprises alimentaires généralistes ou même des entreprises spécialistes de la viande s’intéresser à ce secteur. Elles peuvent le faire de plusieurs façons : en développant leurs propres alternatives, en acquérant d’autres sociétés (comme Danone a acquis Alpro), ou en investissant dans d’autres sociétés (comme Tyson a investi dans Beyond Meat). Aux Pays-Bas, nous avons même les premières entreprises spécialistes de la viande à annoncer qu’elles vont se retirer du marché de la viande, au vu de la rentabilité du secteur végétal !

Le temps est-il venu de réévaluer le rôle du plaidoyer militant ?
Je ne dois pas être la seule personne à me demander si, à la lumière de cet intérêt commercial grandissant pour les alternatives aux produits d’origine animale, le rôle du mouvement militant (la partie à but non lucratif) restera le même ou devrait changer. Et je ne dois pas être le premier à me demander c’est le militantisme ou le business qui feront le mieux avancer les choses à partir de maintenant. J’ai vu, d’une part, plusieurs personnes passer de l’activisme à l’entreprenariat, vendre des hamburgers là où elles distribuaient des dépliants. J’ai vu aussi des activistes lancer des associations largement axées le support aux entreprises (le Good Food Institute en est un exemple) et d’autres associations se concentrer de plus en plus sur la communication envers les entreprises (Proveg International, par exemple). Certaines personnes nouvellement engagées dans la cause animale peuvent même se lancer directement dans l’entrepreneuriat, sans même passer par la case militance.
Personnellement, j’ai été dans le secteur associatif/militant pendant presque toute ma « carrière végane » (EVA, Proveg International, CEVA), mais aujourd’hui je suis également impliqué dans Kale United, une start-up financière qui vise à soutenir les entreprises véganes par des investissements véganes.

Renforcement mutuel
Ce que les militant·e·s (ou activistes, peu importe) font principalement, c’est d’essayer de changer l’opinion des gens à l’égard des animaux. Ce que les entreprises font principalement, c’est de mettre des produits alimentaires (et autres) dans les rayons des supermarchés, dans l’espoir que les gens les achètent et les apprécient. En général, les militant·e·s pensent : si je peux leur faire comprendre ce qui arrive aux animaux et pourquoi c’est important, les gens changeront d’opinion et achèteront ces produits.

Cela peut fonctionner, mais nous savons qu’il y a souvent un écart énorme entre le changement d’opinion et le changement de comportement. J’ai écrit de nombreuses fois sur la façon dont un changement d’opinion (à propos des animaux et de la viande) peut être plus facile après un changement de comportement, c’est-à-dire après que les gens se soient déjà tournés, dans une certaine mesure, pour une raison quelconque, vers les produits végétaux. Si c’est exact – et je suis convaincu que ça l’est – vous pouvez facilement voir l’importance qu’il y a à tout simplement créer de bons produits véganes et les rendre disponibles partout.

Dans le meilleur des cas, nous pourrions avoir une sorte de cercle vertueux, où plus les gens découvrent de bons aliments végétaliens, plus ils sont enclins à se soucier des animaux, plus ils végétalisent en retour leur alimentation, et peuvent éventuellement devenir véganes. (Notez que de mauvais produits véganes ou une mauvaise communication pourrait transformer ce cercle vertueux en un cercle vicieux).

Il est probable que ni le changement de comportement ni le changement d’opinion ne suffisent en eux-mêmes à créer un monde meilleur. Les gens peuvent bien agir, mais s’ils ont les mauvaises opinions, leur bon comportement peut n’être que passager. Ces personnes pourraient recommencer à mal agir dès que les mauvaises actions leurs deviennent plus faciles ou moins coûteuses. Inversement, de nombreuses personnes ont des opinions louables à propos de quelque chose, mais n’agissent pas en conséquence (je suis sur que vous pouvez trouver de nombreux exemples pour vous-même).

C’est pourquoi, idéalement, nous avons besoin à la fois d’un changement d’opinion (le rôle principal du plaidoyer militant) et d’un changement de comportement (l’effet principal du business). Le militantisme et le business peuvent être considérés comme se renforçant mutuellement.

Sur quoi devrait-on porter notre attention ?
Cela dit, le fait que le militantisme et le business se renforcent mutuellement ne signifie pas nécessairement qu’ils aient le même type d’impact. Bien qu’ils soient probablement tous les deux nécessaires, il est fort possible que l’un ait un impact plus important que l’autre – ou que leurs impacts relatifs évoluent au fil du temps. Il ne s’agit pas seulement d’une question académique ou d’un concours stérile entre entrepreneur·e·s et militant·e·s. Il est important d’avoir une idée de l’impact relatif de l’une ou l’autre partie pour nous aider à faire des choix : où devraient aller nos ressources ?, quelles carrières les personnes qui souhaitent améliorer la vie des animaux devraient-elles choisir ?, etc.
De plus, avoir une idée de l’impact des secteurs à buts lucratif et non-lucratif pourrait nous aider à mieux comprendre comment le militantisme et le business devraient idéalement être liés l’un à l’autre, et à déterminer les nouveaux rôles possibles pour le militantisme dans un contexte où l’impact des entreprises augmente.

Changement
Je ne peux m’empêcher de croire que ce sont les entrepreneur·e·s qui font maintenant une grande partie du travail qui était auparavant celui des militant·e·s. Et je crois qu’à l’avenir, ce sera peut-être encore plus le cas.
Supposons que les entreprises continuent à produire et à vendre de plus en plus de produits véganes, et qu’éventuellement la viande propre décolle et devienne un véritable succès. Supposons que les entreprises nous aident clairement à nous rapprocher de plus en plus près (et même très près) d’un monde végane. Qu’est-ce que les militant·e·s devraient faire dans une telle situation ? Y a-t-il une façon dont iels devraient revoir leurs priorités ? Je ne suis pas sûr de moi, mais voici quelques hypothèses (pour lesquelles je n’ai pas encore décidé de mon degré de confiance respectif).

  • Les militant·e·s pourraient se concentrer davantage sur le soutien aux entreprises.
    Pour les gens habitués à travailler dans un contexte associatif, ça peut sembler le monde à l’envers : n’est-ce pas l’entreprise – et ses revenus – qui devrait soutenir, parrainer, donner aux associations ? Bien sûr, mais ça fonctionne aussi dans l’autre sens. En plus de sensibiliser la population et de créer davantage de demande, il y a plusieurs choses que peuvent faire des militant·e·s et des associations pour aider les entreprises (et en particulier les startups), augmentant ainsi leurs chances de succès (nous supposons que leur succès financier va de pair avec l’impact positif pour les animaux) :
    – faire découvrir les marques et les produits aux membres du mouvement,
    – participer à des financements participatifs,
    – participer à des campagnes de lobbying afin de créer des législations favorables aux produits véganes (ou mettant en difficulté les équivalents carnés),
    – travailler aux relations publiques de ces marques et les défendre dans les médias,
    – les défendre contre la médisance, pénalement si nécessaire,
    – faire goûter leurs produits lors d’événements militants ou non,
    – etc.
    Les entreprises font évidemment beaucoup de ces choses d’elles mêmes, mais celles qui débutent n’en ont peut être pas le temps. De plus, il y a peut-être une question de crédibilité à prendre en compte. Les entreprises ont évidemment des intérêts économiques, alors qu’une association pourrait paraître en situation plus objective pour faire pression sur les pouvoirs.
  • Les militant·e·s pourraient principalement essayer de ne pas gêner
    Nous pourrions choisir de faire confiance au cycle vertueux de l’offre et de la demande, où la demande croissante fournit une offre croissante, augmentant en retour la demande, car il devient plus facile pour tout le monde de végétaliser son alimentation. En ce sens, une fois passé un certain point, un monde végane ou un monde proche du véganisme pourrait devenir presque inévitable. Le militantisme devrait alors se concentrer sur le renforcement de cette tendance, car son accélération (ne serait-ce que d’un mois) signifierait une réduction massive des souffrances.
  • Les militant·e·s pourraient se concentrer sur la finalisation
    Les produits végétaliens peuvent devenir la nouvelle norme, mais comme il peut toujours y avoir de mauvaises choses à la fois légales et rentables, rien ne garantit que le business abolira à lui seul tous les produits animaux. Ainsi, les militant·e·s pourraient jouer un rôle pour s’assurer que nous remplissions notre mission à 100% et que nous parvenions à un nouvel équilibre. À cet égard, il est important que nous aidions à cimenter les nouvelles normes et pratiques dans les lois et les règlements, de sorte qu’il soit beaucoup plus difficile de revenir en arrière.
  • Les militant·e·s pourraient pousser l’éthique plus loin
    Beaucoup de militant·e·s s’inquiètent de savoir comment ce qui est végane est marchandisé et intégré au système capitaliste. J’ai été jusqu’à présent moins anticapitaliste que beaucoup de mes camarades militant·e·s, car j’estime qu’il n’y a pas d’alternative possible si on veut aider les animaux à court terme. Mais si nous parvenions à remplacer la plupart des produits d’origine animale par des produits végétaux, il serait censé de commencer à nous intéresser aux aspects problématiques du capitalisme (cela ne veut pas dire que se concentrer sur cela est totalement inutile dès aujourd’hui).
  • Les militant·e·s devraient alors s’assurer que les produits véganes respectent davantage de critères éthiques. Le végétal n’est pas tout, et les produits végétaliens peuvent non seulement être socialement injustes, mais encore nuire à la santé, être dommageables pour l’environnement, etc. Il sera nécessaire de continuer à améliorer notre alimentation au delà du seul végétalisme. Comme cela ne fait pas vraiment partie des activités de lobbying par les entreprises, ce rôle devrait plutôt être joué (et est déjà joué) par d’autres organisations et mouvements. De toute évidence, des aliments mauvais pour la santé et polluants existeraient également dans d’autres systèmes que le capitalisme. Mais il est facile de percevoir comment le système actuel encourage (ou ne pénalise pas) de telles tendances négatives.
  • Les militant·e·s pourraient se concentrer sur la sensibilisation et le changement d’opinion
    Les militant·e·s agissent pour la cause en laquelle iels croient. Les entrepreneur·e·s peuvent être motivé·e·s par les mêmes causes, mais bon nombre d’entre elles sont également motivé·e·s par le profit (cela vaut encore plus pour les investisseur·e·s, même si une partie d’entre elles peut être motivée par l’impact social). Je ne considère pas que les motivations soient extrêmement importantes pour le moment (si les gens agissent bien, mais pour des raisons qui ne sont pas idéales, ça me va aussi), mais je conviens que si nous voulons un changement durable, ou le risque de recul est minimisé, il vaut mieux que tout le monde se soucie des animaux. Je crois qu’une fois que notre société sera essentiellement végétalienne (pour quelque raison que ce soit), il sera beaucoup plus facile de voir que les animaux ont des intérêts à respecter et d’installer une réglementation pour les protéger, afin d’éviter tout retour en arrière. Néanmoins, il est toujours utile de sensibiliser sur ce sujet.
  • Les véganes et les militant·e·s pourraient envisager d’investir au lieu de faire des dons, et de passer leur temps à gagner de l’argent plutôt qu’à militer
    Investir dans une entreprise, par opposition à faire un don à une association, peut rapporter de l’argent. Et comme certaines entreprises ont un impact très positif pour les animaux, on pourrait affirmer qu’investir est une meilleure option que de faire des dons (ce qui est d’autant plus sûr si l’on choisit de donner son retour sur investissement). Étant donné la quantité d’investissement dans le secteur privé et les entreprises qui y participent, on pourrait toutefois faire valoir qu’il serait plus important de donner que d’investir (cet argument est également avancé par Lewis Bollard dans la newsletter susmentionnée).

Quelques conclusions préliminaires
Les secteurs militants et le business végane ont besoin l’un de l’autre. Nous pouvons supposer (bien que ça ne soit pas certain) que les militant·e·s véganes ou antispécistes ont, avec leurs efforts, contribué à accroître la demande de substituts de viande et de produits laitiers (même si des enquêtes montrent que les intérêts des animaux ne motivent que faiblement les gens qui achètent des alternatives aux produits carnés), contribuant ainsi à créer un marché pour les entreprises. Inversement, lorsque les militant·e·s plaident contre les produits animaux, iels doivent pouvoir proposer des alternatives. Plus ces alternatives sont bonnes et accessibles, plus le plaidoyer sera efficace et convaincant. La relation se renforce donc mutuellement.

Il y aura toujours besoin d’un discours en faveur des animaux. Ce discours vise principalement à amener les gens à changer d’opinion. Cependant, les changements d’opinion ne suffisent pas, car même dans un monde où presque tout le monde s’accorde pour dire que quelque chose ne va pas, les mauvais comportements se poursuivent. Nous avons besoin d’un changement d’opinion publique et d’alternatives accessibles, et c’est là que les entreprises entrent en jeu.

Compte tenu du rôle croissant que jouent les entreprises, nous devrions peut-être commencer à réfléchir aux changements possibles dans le rôle et les formes du discours militant. Je n’ai pas toutes les réponses, mais je suis assez sûr de moi quand j’écris que les secteurs militants et les entreprises devraient, à ce stade, avoir des relations collaboratives et d’entraide, plutôt que des relations conflictuelles.

Également publié ici: https://questionsdecomposent.wordpress.com/2019/04/13/le-role-du-militantisme-vegane-doit-il-changer-devant-le-succes-croissant-du-business-vegane/.


« Je n’ai rien a faire de ce que les gens pensent de moi »

Je vois ça encore et encore : des véganes qui disent qu’ils n’ont rien à faire de la façon dont ils sont perçus. ils disent qu’ils se fichent de ce que les gens pensent d’eux, de leurs opinions et de leurs habitudes. L’argument est le suivant : la seule chose qui compte, c’est que manger de la viande est mal, et nous ne devrions pas avoir peur de le dire. Nous devrions dire notre vérité, peu importe si elle fait mal ou si elle n’est pas confortable ou agréable.

Je pense que ces personnes se trompent quant aux raisons pour lesquelles on peut être doux et compatissant. Oui, bien sûr, certaines personnes ont peur de heurter les sentiments d’autrui et préfère se taire sur les injustices qu’elles voient (et je ne leur jette pas la pierre). Mais au delà de ça, il peut aussi être stratégique d’être doux, mesuré, non-jugeant et subtil, plutôt que d’être en colère et explicite. Se mettre les autres à dos L’aliénation des autres ne sert personne, y compris les animaux, car une fois que les gens seront hors de votre sphère d’influence lorsqu’ils cesseront de vous écouter (et la plupart le feront, si vous êtes trop rentre-dedans ou s’ils commencent à se sentir trop coupables).

Alors je dirais : s’il vous plaît, faites attention à ce que les autres pensent de votre message et de vous. Ça n’a rien à voir avec la vanité, ou la douceur, ou quoi que ce soit. Au contraire, tenir compte de la façon dont vous et votre message êtes perçus est une exigence pour changer les cœurs et les esprits.

Également publié ici :
https://questionsdecomposent.wordpress.com/2019/03/24/je-nai-rien-a-faire-de-ce-que-les-gens-pensent-de-moi/.