Ce grand zoo est-il meilleur pour les animaux que la nature ?

Alors que je me trouvais en Afrique du Sud pour une formation de CEVA sur les méthodes de promotion efficace du véganisme, j’ai profité de mon temps libre pour faire ce que l’on appelle un safari. Ce n’était pas vraiment pour satisfaire un quelconque désir de voir des lions, des tigres ou des ours que je l’ai fait, mais parce que j’estimais que cette expérience pouvait m’apporter de nouvelles perspectives sur la question de la souffrance des animaux sauvages, question que j’avais d’ailleurs déjà abordée ici. Et ce fut bien le cas.

Ce que le Safari Aquila propose ne peut nullement être considéré comme une expérience de la vie sauvage. Après notre arrivée (la réserve est située à 2 heures de route de Cape Town, en direction du nord-est), nous avons déjeuné, puis, en compagnie d’un guide et de six autres passagers, nous sommes partis dans un camion découvert. Le domaine, qualifié de « réserve animalière privée », couvre une surface de 10 000 hectares. Cela peut paraître vaste, mais c’est en réalité petit comparé aux 2 millions d’hectares du parc national Kruger du même pays.

Les quelques échanges que j’ai pu avoir en chemin m’ont permis de comprendre que ce lieu n’était en fait qu’une sorte de zoo à grande échelle. Certains des animaux qui y vivent appartiennent aux espèces les plus emblématiques de la jungle : des lions d’Afrique (environ sept), des éléphants d’Afrique (deux), des bisons, des léopards et des rhinocéros. La flore locale permet de subvenir aux besoins de la majorité des animaux, la réserve ne supplémentant qu’à hauteur de 10 % leur alimentation. Ils jouissent de grands espaces (au point que certains sont difficiles à repérer), mais des clôtures les empêchent de s’évader. Un vétérinaire sur les lieux assure les soins médicaux. Les herbivores sont séparés des carnivores ; les lions ne peuvent donc pas s’attaquer aux springboks, par exemple, mais ils sont nourris avec de la viande de vache et d’antilope une fois par semaine.

Par la suite, j’ai appris que ces animaux avaient été achetés avant d’être transportés jusqu’ici. Certains ont été secourus, comme les lions, qui étaient destinés aux chasses closes, et le léopard. Cette réserve comprend également un centre de réhabilitation. Aussi ai-je commencé à percevoir cette entreprise davantage comme un sanctuaire.

Je le répète, ce lieu ne peut être assimilé à la « nature », ce qui m’amène d’ailleurs à penser que de nombreuses personnes ne seront pas satisfaites de cette situation. Elles préféreront probablement un environnement dans lequel les animaux peuvent jouir d’une autonomie absolue et de conditions de vie aussi proches que possible de la vie sauvage. Toutefois, je pense que la question que nous devons nous poser ici – la question la plus importante peut-être – est la suivante : que préféreraient les animaux : ce grand zoo aux allures de sanctuaire ou la vie sauvage ? Si nous estimons que la bonne réponse est la seconde, je crains que nous ne réfléchissions, par mégarde, de manière anthropocentriste. Leur autonomie est moindre, certes, mais il semble y avoir, a priori, moins de souffrance. Je vous suggère de lire mon premier article sur la souffrance des animaux sauvages (et de regarder la vidéo) si vous êtes convaincu que la vie dans la nature constitue une expérience idyllique pour la plupart des animaux.

Voici quelques points qui pourraient justifier l’idée que la vie dans la réserve Aquila est parfois meilleure que dans la nature :

  • Les animaux n’ont pas à se soucier de la nourriture. Lorsque leur environnement n’en produit pas suffisamment, les humains leur fournissent une aide alimentaire.
  • Comme je l’ai mentionné plus haut, les animaux n’ont pas à craindre d’être dévorés. Selon le guide, sur les 24 petits mis au monde par une mère autruche de la réserve, 20 ont survécu. C’est bien plus que dans la nature.
  • Un bébé rhinocéros a été rejeté par sa mère. Dans la nature, cet animal mourrait dans des conditions assez épouvantables s’il n’était pas adopté par d’autres. Mais ici, l’animal a pu être confié aux soins du centre de réhabilitation, où il s’est d’ailleurs lié d’amitié avec une chèvre. À terme, ce rhinocéros sera relâché dans la réserve.
  • En milieu naturel, les lions ont une espérance de vie de quinze ans. À Aquila, ils peuvent vivre jusqu’à l’âge de vingt ans. Certes, cela ne nous dit pas grand-chose sur leur niveau de bonheur, mais cette espérance de vie prolongée peut nous renseigner sur leur santé physique.
  • Les éléphants meurent généralement d’inanition après avoir usé leur sixième lot de molaires. Ceux de la réserve reçoivent de la nourriture liquide lorsqu’ils atteignent cet âge-là.

Notons toutefois que la réserve n’est pas exempte de problème. Nous avons vu quelques springboks atteints de difformités au niveau des cornes (l’une d’elles pousse complètement de travers), difformités dues, selon le guide, à la consanguinité (ce qui peut également se produire en milieu naturel). De plus, je ne suis pas certain que les surfaces attribuées à certaines espèces soient suffisamment grandes. Bien que les animaux jouissent d’espaces bien plus vastes que ce que peuvent offrir les plus grands zoos, les besoins des animaux migrateurs, comme les bisons, ne sont peut-être pas satisfaits.
Les lions ne peuvent pas chasser à Aquila, mais en ont-ils vraiment besoin ? Cet intérêt l’emporte-t-il sur l’intérêt d’un springbok à continuer de vivre ? Bien sûr, ces lions sont nourris avec de la viande provenant d’autres animaux, les intérêts propres de ces derniers étant sacrifiés lors de leur mise à mort. Cela dit, on peut imaginer que la viande in-vitro puisse un jour résoudre ce problème. On peut même imaginer que les technologies futures puissent produire des sortes d’arbres artificiels sur lesquels pousserait de la viande de synthèse, ou des robots se déplaçant rapidement afin qu’ils puissent être pourchassés par les prédateurs.
Je me suis également interrogé sur le problème de surpopulation. Si les prédateurs naturels ne sont pas présents et que les animaux ont toujours à disposition suffisamment de nourriture, combien de temps faudra-t-il avant que l’on observe des cas de surpopulation chez certaines espèces ? J’ai posé cette question au guide, mais celui-ci ne voyait pas le problème : « Plus d’animaux, c’est bon pour le business ! » (car, en effet, cette réserve est un business).

Je ne pense pas que cette réserve, ou zoo, ou sanctuaire, puisse offrir une solution globale au problème de la souffrance des animaux sauvages. Et puis, il ne s’agit ici que de quelques dizaines d’animaux (c’est-à-dire les lions, bisons, girafes, springboks, oryx, rhinocéros, etc. que nous avons pu voir). Leur nombre est probablement insignifiant comparé à celui des animaux sauvages de la réserve trop petits pour être vus. Ces derniers vivent quasiment à l’état sauvage puisqu’ils ne sont ni nourris ni soignés, et qu’ils peuvent être victimes de prédateurs.

Néanmoins, cette réserve m’a donné un aperçu de ce qui pourrait être un jour une réalité pour de nombreux animaux sauvages : un environnement contrôlé suffisamment grand pour qu’ils puissent s’y sentir (suffisamment) libre ; un lieu où ils seraient en mesure de vivre plus ou moins en paix et en harmonie. Certes, le lion ne se couchera pas à côté de l’agneau, mais il n’aura pas l’occasion de l’avaler tout cru non plus.
En outre, grâce à ce type d’animaux, la réserve est viable sur le plan économique ; sa continuation est donc garantie (les sanctuaires pour animaux de ferme, quant à eux, sont dans une situation économique bien plus précaire).

Je suis bien conscient des objections que formuleront de nombreux lecteurs : que c’est encore une fois une tentative arrogante de la part des humains de réguler la nature, que tout cela est contre nature, que les animaux n’ont aucune autonomie, que nous outrepassons leurs droits… Il se pourrait que certaines de ces objections soient en partie valides, mais encore une fois, nous devrions garder en tête les questions suivantes : que préféreraient les animaux ? Qu’est-ce qui compte à leurs yeux ? Peut-être devrions-nous nous abstenir ici de tirer des conclusions hâtives.

Également publié ici : https://thepleabargainblog.wordpress.com/2016/11/21/ce-grand-zoo-est-il-meilleur-pour-les-animaux-que-la-nature/.

Pourquoi changer nos modes de pensée est si compliqué.

La capacité que nous avons de pouvoir changer d’opinion est une chose merveilleuse. Certes, il arrive que les opinions soient changées trop facilement : on peut être sous l’emprise de dictateurs, de gourous ou de spécialistes du marketing et croire tout ce que ces gens nous disent, sans pensée critique. Mais pour beaucoup d’autres personnes, changer d’avis est beaucoup plus dur, en particulier lorsqu’il s’agit de croyances profondément ancrées et tenues en haute estime. Celles-ci peuvent être d’ordre moral (savoir s’il est acceptable de manger de la viande, de faire des OGM, de dépenser tant d’argent pour aller sur d’autres planètes…), ou être factuelles (savoir si manger de la viande est bon pour la santé, s’il y a de la vie sur les autres planètes…).

J’aime quand les gens, après qu’ils ont examiné une question ou un problème, disent subitement qu’ils ont changé d’opinion et ont à présent un point de vue totalement différent, parfois diamétralement opposé. Dans cet article, je voudrais expliquer pourquoi, selon moi, ce genre de scénario est en fait rare. Je traiterai de trois questions relatives au changement de ses propres opinions, et des opinions d’autrui :

  1. changer d’avis concernant quelque chose est difficile,
  2. nous n’aimons pas quand quelqu’un d’autre nous fait changer d’avis,
  3. nous n’aimons pas admettre que nous avons changé d’avis, et surtout pas que c’est quelqu’un d’autre qui nous a fait changer d’avis.
(c) thebigriddle.com


Changer d’avis concernant quelque chose est difficile

Pourquoi donc ? En substance, nous aimons quand les opinions et les idées que nous avons déjà sont confirmées. Nous voulons justifier ce que nous pensons déjà, et nous n’aimons pas les informations qui viennent contredire ce que nous pensons. Par conséquent, nous serons beaucoup plus réceptifs à ne serait-ce que remarquer les informations qui confirment nos idées ou opinions (on appelle ce phénomène « biais de confirmation »). Pour dire les choses simplement, si vous pensez A plutôt que B, vous serez plus enclin à rechercher et à trouver des choses qui confirment A. Il va sans dire que ce biais de confirmation rend le fait que vous changiez d’avis beaucoup plus difficile. Faites-donc l’expérience : quelles sont les chances (en tant que végétarien ou végétalien) que vous lisiez (et preniez au sérieux) un article titré « trois arguments contre le végétalisme » ? Peut-être direz-vous que vous ne le lirez pas parce que vous en connaissez déjà le contenu et que dans le cas du végétalisme, il n’y a aucun bon argument contre. Mais cela viendrait justement prouver votre biais de confirmation, j’en ai bien peur.

Faire changer quelqu’un d’avis sur le bien-fondé de la consommation de produits d’origine animale est particulièrement compliqué, parce que c’est un problème ayant des conséquences concrètes dans la réalité (ce n’est pas le cas de toutes les problématiques : nous pouvons par exemple ne jamais être confronté à la question de l’avortement). Supposez que nous soyons des omnivores, aboutissant de manière soudaine à la conclusion qu’il est mal de manger des animaux (c’est-à-dire que nous venons juste de changer d’opinion). Nous expérimentons alors soudainement le fait que notre comportement et nos opinions ne concordent pas. La tension que nous ressentons de ce fait s’appelle dissonance cognitive, et la théorie de la dissonance cognitive prétend que nous allons essayer de résoudre cette « dissonance » (ce n’est pas une expérience agréable). Cela peut être fait de deux manières : 1) nous nous mettons en accord avec ce que nous pensons à présent (et devenons végétaliens), 2) ou nous ne voulons pas devenir végétaliens (nous aimons la viande) et adaptons nos croyances pour qu’elles correspondent à notre comportement. Nous disons des choses du genre : « manger des produits d’origine animale n’est pas si terrible », « les animaux sont élevés pour cela », « la viande que je mange provient d’animaux qui n’ont pas souffert »… Les gens qui ne veulent pas devenir végétaliens feront de leur mieux pour ignorer toutes les informations pro-végé. Ainsi, ils pourront n’avoir à changer ni ce qu’ils pensent, ni leur comportement. Par conséquent, une autre réponse à la question de savoir pourquoi changer d’avis est si difficile est : nous avons souvent un intérêt nous poussant à ne pas le faire.

Permettez-moi de suggérer une solution à ce dilemme : nous devons faire en sorte que changer d’avis soit facile, en s’assurant que les conséquences négatives d’un tel changement soient aussi bénignes que possibles (cf. mon intervention sur le thème « faciliter la compassion »). En d’autres termes, nous devons permettre aux gens de bénéficier partout, à des prix attractifs, d’alternatives aux produis d’origine animale.

Nous n’aimons pas quand quelqu’un d’autre nous fait changer d’avis

Nous aimons tous nous considérer comme des individus adultes et mûrs capables de nous faire notre propre opinion sur les choses. Nous n’aimons pas quand quelqu’un nous dit comment penser, et nous apprécions notre autonomie (réelle ou telle que nous la percevons). Je me souviens d’une fois où j’étais dans une librairie avec un ami : j’avais montré du doigt un livre que je pensais qu’il devrait lire. Il l’a pris, et quand il a lu sur la couverture « ce livre peut changer votre vie », il l’a reposé en grognant : « je changerai ma vie moi-même, merci ».

Le philosophe français Blaise Pascal écrivait déjà il y a 350 ans que l’on « se persuade mieux, pour l’ordinaire, par les raisons qu’on a soi-même trouvées, que celles qui sont venues dans l’esprit des autres ». Vous avez sans déjà vécu cette situation où, en essayant d’influencer ou de convaincre quelqu’un de quelque chose que l’on croit, on voit son interlocuteur s’entêter davantage et la distance entre vous s’agrandir.

Notre tâche doit alors être d’aider les gens à découvrir les arguments propices à leur faire changer d’opinion par eux-mêmes, plutôt que de leur proposer ces arguments (et de leur dire que leurs opinions et arguments sont faux). Une façon de faire cela est de leur poser principalement des questions, comme le pratique la maïeutique. Socrate (que l’on dit être à l’origine de cette méthode) ne donnait pas, à ce que raconte Platon, sa propre opinion à ses interlocuteurs lors des débats, mais les faisaient réfléchir à leurs propres arguments, leurs doutes, leurs hypothèses, en leur posant des questions. Quand quelqu’un défend la consommation de viande en disant que c’est ce que font les prédateurs dans la nature, plutôt que leur dire que ces prédateurs n’ont ni mécanismes mentaux idoines ni végé-burgers à proximité pour les aider à se comporter différemment, nous pourrions leur demander quelque chose de ce genre-là : « à cet égard, voyez-vous des différences entre un lion et un humain ? ».

Nous n’aimons pas admettre que nous avons changé d’avis

J’ai commencé cet article en disant que j’admirais le fait que les gens puissent changer d’opinion. J’admire également quand ils sont capables de le reconnaître publiquement. Cependant, cela est très difficile à faire pour la plupart des gens. Nous croyons qu’admettre avoir changé d’avis, c’est comme admettre avoir fait une faute, et que cela nous fait paraître faibles ou idiots par exemple. C’est une question d’auto-préservation, pour sauver la face.

Entendez-vous souvent un personnage public, un homme politique par exemple, dire qu’il a changé d’avis ? Ils ont une bonne raison d’éviter de dire cela, parce que le public a tendance à considérer que les politiciens qui changent d’avis sont des gens mous, avec des opinions molles, des opinions instables (si cette personne change d’avis sur ce point aujourd’hui, ne va-t-elle pas faire de même demain, sur ça ou autre chose ?). Nous attendons des gens tels que les hommes politiques qu’ils soient bien informés dès le départ, et qu’ils ne changent jamais de cap quand ils en ont choisi un (bien que nous soyons bien sûr heureux qu’ils changent de cap si c’est dans un sens qui nous est favorable). Par conséquent, les gens s’accrocheront à leur opinion, même longtemps après avoir compris qu’elle n’était pas bonne. Cela est vrai, autant pour les politiciens que pour les différends pouvant avoir lieu dans notre propre vie.

Exemple de solution : étant donné qu’il est dur pour les gens d’admettre qu’ils ont changé d’avis, on peut essayer de faire en sorte qu’ils n’aient pas à l’admettre. Je veux dire que si l’on veut que quelqu’un change d’opinion, et passe de x à y, il vaut mieux essayer de ne pas trop lui faire défendre x. Dès que nous initions un débat avec une personne au sujet de x ou de y, et que cette personne défend x, il devient plus difficile pour elle de choisir ultérieurement y. D’autant plus si nous nous présentons comme les champions de la cause du y : il lui devient alors encore plus difficile de changer, car y sera associé à quelqu’un d’autre. Ce sera l’opinion de quelqu’un d’autre, qu’ils auront copiée (la deuxième question exposée plus haut). On appelle ça la polarisation : deux parties ayant des points de vue différents, qui s’opposent encore un peu plus et qui s’entêtent. Plus une partie défend son point de vue, plus il sera difficile pour elle de changer d’avis. Je pense que cette dynamique sera encore plus flagrante lorsque les gens en question sont déjà en compétition par ailleurs (frères et sœurs, colocataires, conjoints…  débattant beaucoup).

Au fond, notre interlocuteur doit pouvoir se dire qu’une fois qu’il aura changé d’avis, nous ne serons pas là pour les agacer avec des choses du genre : « tu vois ! Tu vois que tu avais tort avant ! » ou « ha, tu m’as enfin écouté (et permis de t’influencer) !». Assurez-vous que votre interlocuteur ne perde pas la face. Assurez-vous qu’il n’ait pas à admettre sa défaite, parce que ce n’était de toute façon pas un combat. Cela signifie ne pas présenter un problème comme un conflit entre arguments, entre deux positions opposées l’une à l’autre. Montrez que tout n’est pas soit noir soit blanc, que votre interlocuteur partage déjà une partie de vos opinions et que vous partagez déjà une partie des siennes. Ainsi, une fois que l’une des parties change d’avis, cela n’apparaîtra pas comme un changement de camp (qui pourrait lui faire perdre la face), mais comme le fait qu’il a intégré certains de vos arguments et voit maintenant les choses différemment.

Un autre élément pouvant éviter à quelqu’un qui change d’avis de perdre la face est l’existence d’un autre facteur (différent de vous) auquel la personne peut attribuer ce changement. Les gens peuvent être réticents à changer tant qu’ils ont peur de devoir reconnaître votre influence sur eux, mais le feront sans doute plus volontiers s’ils peuvent attribuer ce changement à autre chose, par exemple une évolution de leur état de santé (le médecin leur a dit quelque chose), ou parce qu’il y a à présent un magasin bio à côté de chez eux, ou parce qu’ils ont découverts qu’ils étaient intolérants au lactose… Tous ces éléments, et bien plus, sont des facteurs offrant de bonnes raisons, ou des excuses (ça n’a pas d’importance) pour changer d’avis. Si vous découvrez qu’une raison de ce genre existe, n’hésitez surtout pas à laisser votre interlocuteur l’utiliser et n’insistez pas sur *votre* rôle déterminant dans ce changement.

Bien sûr, la capacité et la disposition à changer d’avis varient énormément d’une personne à l’autre. Certaines peuvent être extrêmement têtues. Certaines peuvent changer facilement d’avis concernant certains domaines et pas d’autres. Certaines peuvent changer d’opinion facilement sur tout. Ces gens sont très rationnels, ou ont beaucoup de maturité, ou les deux. Les gens rationnels croiront tout ce qui leur paraît vrai. Ils ont dans une large mesure conscience de leurs préjugés potentiels, et ils savent que ce n’est pas parce que c’est *vous* qui leur avez donné des arguments qu’ils ne sont pas vrais et qu’ils ne méritent pas un examen attentif. La maturité les aide à reconnaître votre influence sans qu’ils se sentent pour autant humiliés ou inférieurs. Les gens qui font preuve de maturité n’ont pas peur de paraître faibles.

En général, on peut considérer que pour les grandes questions comme la consommation de viande, changer d’avis et changer les esprits, ce n’est pas facile. Cependant, c’est possible. Je pense que notre rôle est, idéalement, un peu celui d’un coach qui aide à faire émerger les arguments et les idées que les autres ont déjà, plutôt que de leur dire comment penser.

Également publié ici : http://blog.animaveg.be/2016/10/27/pourquoi_changer_les-nos_esprits_est_si_complique/.

Deux semi-véganes équivalent-ils à un végane ?

Par défaut, le succès du mouvement végane/de défense des animaux est souvent mesuré à l’aune du nombre de véganes. Mais s’agit-il de l’unité de mesure la plus pertinente ? Je pense que d’autres indicateurs peuvent nous en dire bien plus quant à l’évolution de ce mouvement que le simple nombre de véganes. Ce chiffre reste très bas, à tel point qu’il est en fait très difficile de le mesurer sans une marge d’erreur conséquente. De leur côté, les personnes réduisant leur consommation de viande représentent une large proportion de la population lors des sondages et il se pourrait que ces dernières soient finalement bien plus représentatives. Mais leur mode de vie est-il comparable à celui des véganes en termes d’impact ?

Plus précisément, ma question concrète est la suivante : deux semi-véganes équivalent-ils à un végane ? (Bien évidemment, je parle ici en termes d’impact à court et à long terme sur l’évolution du nombre d’animaux abattus). Si, selon vous, l’idée d’être semi-végane ou végane à 70 % par ex. est parfaitement absurde, je vous invite à lire cet article.

Si l’on considère qu’un végane à 50 % est une personne ne choisissant des alternatives véganes que la moitié du temps par rapport à un végane à 100 %, alors il semble juste de croire que deux véganes à 50 % ont le même impact qu’un végane à 100 % au regard de leur consommation. Mais tout n’est peut-être pas si simple.

Il faut, d’une part, tenir compte du potentiel de ces personnes à en influencer d’autres (voir Le fétichisme autour du véganisme, article dans lequel il est démontré que la communication est potentiellement bien plus importante que la consommation elle-même). Au premier abord, les véganes sont susceptibles d’être beaucoup plus motivés à promouvoir leur mode de vie et il est presque certain qu’ils seront également bien plus bavards à ce sujet. Ils semblent être enclins à considérer qu’ils ont une mission sacrée et donc à devenir de véritables militants engagés. Lorsque nous observons notre mouvement, les gens y prenant part et faisant bouger les choses, il semble que la plupart d’entre eux sont de toute évidence des véganes.

Mais reconsidérons les choses. La personne végane passe peut-être plus de temps à communiquer sur son éthique que les deux semi-véganes, mais obtiendra-t-elle pour autant de meilleurs résultats ? Les gens sont peut-être plus inspirés par les personnes réduisant leur consommation de viande que par les véganes afin de réduire leur propre consommation (bien entendu, pour ceux d’entre nous qui pensent que réduire, sans stopper, sa consommation de viande ne sert à rien, ceci n’est pas un argument). Le simple fait d’être végane peut avoir tendance à décourager les autres (car, pour beaucoup de personnes, cela semble irréalisable), comparé à ceux qui ne font que réduire leur consommation, ce qui peut paraître déjà plus réaliste.

Une autre idée importante à prendre en compte est ce que j’appelle le facteur diffusion. L’impact et les efforts d’un végane, à la fois en termes de consommation et de militantisme, seront plus concentrés (puisqu’il ne s’agit que d’une seule personne) que l’impact et les efforts de deux semi-véganes (et, bien sûr, que ceux de cinq véganes à 20 %). Je ne suis pas mathématicien et je ne me suis pas penché en profondeur sur ce point, mais il me semble que plus ce facteur diffusion est élevé, plus les personnes (à la fois consommateurs et fabricants) seront nombreuses à prendre conscience de la demande en produits véganes.

On peut également se demander si la demande émanant de plusieurs personnes n’a pas un impact plus conséquent qu’une demande de même volume émanant d’une seule personne. Imaginez que vous gérez un restaurant. Quelle personne serait plus susceptible de vous influencer et de vous faire changer votre menu : un végane ou deux semi-véganes ? Vous allez me dire que les semi-véganes peuvent manger tout ce qu’il y a à la carte, mais ce n’est pas chez vous qu’ils viendront pour leurs repas véganes : ce sont donc deux clients de perdus. Vous aurez peut-être plus à gagner à faire un effort pour deux clients (ou pour cinq véganes à 20 %, par ex.) que pour un seul végane que vous pouvez vous permettre d’ignorer.

Ce débat peut sembler quelque peu académique et abstrait, mais mon but, comme bien souvent, est de faire prendre conscience aux véganes de la valeur et de l’importance des personnes réduisant leur consommation de viande et qu’il vaut mieux éviter de se concentrer uniquement sur les véganes. Comme je l’ai déjà écrit dans plusieurs posts sur ce blog, je pense qu’une évolution dans notre société se fera plus rapidement à travers un grand nombre de personnes réduisant leur consommation de viande qu’à travers un petit pourcentage de véganes (voir Ce que le véganisme peut apprendre de la tendance du sans gluten). Ce sont les personnes réduisant leur consommation de viande, bien plus nombreuses, qui influencent la demande, obligeant ainsi les fabricants à y répondre avec de plus en plus d’alternatives véganes, nous rendant ainsi la vie plus facile en tant que véganes à plein temps. J’ajouterais, pour ceux d’entre vous qui craignent que les personnes réduisant leur consommation de viande n’aient pas la même motivation éthique que nous : il se peut très bien que leur évolution morale se fasse après leur changement d’alimentation.

Bien évidemment, je ne sous-entends pas ici que l’augmentation du nombre de véganes n’est pas nécessaire ou importante. Selon moi, les véganes sont beaucoup plus enclins à s’engager sérieusement en tant que militants, à faire des dons pour la cause, à tourner des documentaires ou ouvrir des restaurants véganes, etc. Je suggère simplement une approche à double face : faire augmenter à la fois le nombre de véganes et le nombre de personnes réduisant leur consommation de viande.

Vous avez d’autres arguments sur pourquoi un végane vaudrait mieux ou moins que deux semi-véganes ? Faites le savoir !

Également publié ici : https://www.vegetarisme.fr/2-semi-veganes-equivalent-1-vegane/.

Une raison du rejet des personnes aux comportements éthiques : personne n’aime se sentir immorale

Pour beaucoup de végétariennes* et de véganes, c’est un mystère : nous faisons de notre mieux pour être attentionnées et compatissantes envers toute vie sensible et, par conséquent, choisissons de boycotter les produits animaux. N’est-ce pas quelque chose de louable? Mais alors pourquoi tant de gens se moquent, critiquent ou même attaquent les véganes et le véganisme?

Bien sûr, parfois on peut être un peu embêtantes. Nous pouvons ennuyer les mangeuses de viande en les faisant attendre pendant que nous inspectons les étiquettes, ou en mettant un veto à leur choix de restaurant en soirée. Mais cela n’explique pas vraiment l’hostilité et le ridicule que nous pouvons parfois rencontrer.

Ce qui se passe alors est en partie expliqué par le phénomène appelé dépréciation de la bienfaitrice (do-gooder derogation), soit le dénigrement des personnes motivées par l’éthique ou l’altruisme.

Vous l’avez peut-être expérimenté vous-même en tant que végétarienne ou végane : sans même avoir rien dit du tout, les mangeurs de viande de la table peuvent se mettre en défensive en se moquant de vous et de votre « régime ».

Pourquoi cette dépréciation de la bienfaitrice existe-t-elle ? Le problème est que les gens ont souvent l’impression que votre comportement (c’est-à-dire votre alimentation ou votre véganisme) est une condamnation implicite du leur (la consommation viande). La bonne conduite éthique semble souvent s’accompagner d’un reproche moral implicite envers les autres.

D’après les chercheurs qui ont étudié la dépréciation de la bienfaitrice, « le reproche moral, même implicite, pique la sensibilité car les gens sont particulièrement sensibles à la critique de leur position morale (…). En raison de ce souci de conserver une identité morale, les minorités éthiquement motivées peuvent être particulièrement dérangeantes pour le courant dominant et déclencher du ressentiment ». La réponse à cette menace à notre identité morale consiste donc à rabaisser la source de la menace (Minson et Morin).

Le fait de simplement penser à la façon dont les végétariennes pourraient concevoir la moralité des non-végétariennes peut déclencher cet effet de dépréciation. Lorsque les mangeuses de viande anticipent un reproche moral de la part des végétariennes – c’est-à-dire quand les mangeuses de viande pensent que les végétariennes les condamneraient moralement – elles tendront à augmenter leur dépréciation.

A partir de là, le plus gros problème qui devrait nous intéresser ici n’est pas que les consommatrices éthiques (dans notre cas, les véganes) soient offensées, ridiculisées ou maltraitées, mais que les personnes qui les dénigrent s’en retrouvent elles-mêmes moins attachées aux valeurs éthiques dans le futur. En d’autres termes, la comparaison négative ne choque pas seulement les véganes mais empêche aussi les mangeuses de viande – par une sorte d’autoprotection – de se tourner elles-mêmes vers le véganisme (Zane).

Donc, pour résumer, voici ce qui peut arriver (dans le pire des cas) :

Ceci est évidemment problématique pour la propagation des valeurs et du comportement végane. Voici donc mes suggestions pour éviter que les non-véganes se sentent moralement agressées, déprécient les végétariennes et véganes et se détournent de nous et de notre message.

  1. Ne pas insister. Si les gens se sentent souvent déjà coupables, et que ressentir un reproche moral les détourne de nous et de notre message, n’ajoutez pas à leur sentiment de reproche moral ou de culpabilité par une culpabilisation volontaire. Cela n’aidera pas (même si parfois ça peut être satisfaisant ou amusant vu de notre côté).
  2. N’utilisez pas seulement des messages et des arguments moraux. Ceux-ci peuvent être problématiques dans le sens où ils provoquent plus de dépréciation de la bienfaitrice que les messages non moraux. Les non-véganes se sentent moins menacées par les personnes qui suivent un régime végétal pour des raisons de santé que par les véganes éthiques. Cela ne signifie pas que vous devriez arrêter d’utiliser des arguments éthiques; juste que parler de santé (ou de goût) peut être stratégique et productif.
  3. Parlez de vos propres imperfections. Nous pouvons parler de choses que nous faisons alors que nous savons que nous ne devrions pas les faire. Peut-être exposer le fait que nous n’ayons pas changé du jour au lendemain et avons eu nous aussi besoin d’être convaincues. Ou nous pouvons parler d’autres domaines dans lesquels nous faisons moins bien. Il est important de montrer aux autres que nous ne sommes pas différentes d’elles, que nous ne sommes pas d’une espèce alien avec un niveau de moralité ou de discipline qu’elles ne pourraient jamais atteindre.
  4. Il peut aussi être utile d’expliciter la distinction entre l’acte et la personne. Choisir de ne pas manger de produits d’origine animale est un choix moralement meilleur, mais cela ne signifie pas que les personnes qui mangent encore des produits d’origine animale sont nécessairement de mauvaises personnes.

Plutôt que d’ajouter à la dépréciation, au rejet et au sentiment d’impuissance, nous pouvons faire notre part en créant des liens et des rapports aux autres.

(Lisez bien plus à propos de la communication efficace dans mon nouveau livre Comment créer un Monde Végane).

Également publié ici : https://questionsdecomposent.wordpress.com/2018/02/17/une-raison-du-rejet-des-personnes-aux-comportements-ethiques-personne-naime-se-sentir-immoral/.

L’utilisation à outrance du terme « spécisme »

La plupart d’entre nous sont attirés par le terme antispécisme, je suppose. C’est un concept qui paraît à la fois si raffiné et si puissant. Lorsqu’il est utilisé correctement et intelligemment, c’est un argument sensé et qui fait mouche, particulièrement lors de conversations avec des personnes à la mentalité progressiste. Ces dernières reconnaissent que vous n’avez pas tort, elles reconnaissent également l’analogie avec le racisme, etc.

Le spécisme, qu’est-ce c’est ? Il s’agit d’une discrimination uniquement basée sur l’espèce, tout comme le racisme est une discrimination uniquement basée sur la « race ».  Je me souviens avoir lu, dans le livre Created from Animals de James Rachels il me semble, l’illustration ou l’explication suivante du spécisme. Lorsque l’on teste des cosmétiques sur les yeux de lapins, il faut se demander : pourquoi ne le fait-on pas sur des humains ? On commencerait par répondre : on ne le fait pas sur des humains parce que ça leur ferait mal aux yeux. Question suivante : n’est-ce pas la même chose pour les lapins ? Si la réponse est non (si les lapins vivent la même expérience désagréable), alors nous sommes spécistes si l’on teste sur des lapins mais pas sur des humains. L’on se base ici uniquement sur l’espèce pour établir une différence, et ce n’est pas bien. Si, d’un autre côté, l’on pouvait répondre quelque chose comme : parce que les lapins ne ressentent pas la douleur au niveau des yeux (ce qui n’est pas vrai), nos actions ne seraient alors pas spécistes, mais inspirées par un critère moralement justifiable.

Comme je l’ai dit, je pense que c’est un bon argument. Je l’utilise ainsi dans mes discussions : « Si vous faites cela aux animaux mais pas à des humains, alors vous devez me donner une raison moralement justifiable ».

Je ne crois pas qu’il existe beaucoup de bons arguments contre l’antispécisme. Certaines personnes suggèrent que celles qui luttent contre le spécisme ont une plus grande moralité, disposent d’une âme ou que sais-je encore, mais je ne suis vraiment pas convaincu.

Mais voilà, c’est justement parce que l’antispécisme est un concept si raffiné que nous avons tendance à l’utiliser dans toutes les circonstances, et c’est là, à mon humble avis, que nous faisons peut-être erreur. Je parle ici, entre autres, des différents contextes dans lesquels nous choisissons, au sein du mouvement de défense des droits des animaux, d’utiliser l’argument du spécisme à des fins de communication.

Je l’entends des milliers des fois et, à chaque fois, je soupire intérieurement de frustration. Cet argument est toujours présenté de la même façon : on ne peut faire telle chose aux animaux, parce que ce serait immoral de faire la même chose à des humains. La chose en question dépend dans ce cas de notre manière de communiquer, de nos arguments, de la campagne menée à ce moment-là, etc. À première vue, cela semble une bonne chose, mais je vais maintenant compléter cela par quelques exemples concrets

  • Lorsque je recommande de réduire sa consommation de viande ou de ne pas en manger le lundi, on me dit parfois que c’est spéciste de ma part, parce qu’on ne tolérerait pas les lundis sans maltraitances aux enfants dans le cas des humains.
  • Lorsque je recommande d’encourager les gens qui ont entrepris une démarche de réduction de leur consommation de viande, certaines personnes considèrent que c’est spéciste, parce que nous n’irions jamais féliciter un meurtrier ou un violeur d’avoir tué ou violé moins de personnes.
  • Lorsque je prône le fait d’essayer d’être doux, sensé, patient, etc., lorsque nous parlons de la souffrance animale et du véganisme, on me répond parfois que « les personnes qui luttent contre le viol ou ont été victimes de viols devraient pouvoir sensibiliser les gens à ce problème sans être considérées comme agaçantes ».
  • Une autre citation dans la même veine : « Est-ce que quiconque militerait pour la simple réglementation de l’exploitation sexuelle des enfants ? Nous dirions tous qu’il est de notre devoir moral de militer pour l’ARRÊT absolu et sans conditions de l’exploitation sexuelle des enfants et que de simples « améliorations » seraient totalement inacceptables et spécistes. »

Je pense que vous avez saisi ce que je veux démontrer ici. À mon humble avis, l’argument spéciste, tel qu’il est utilisé dans les cas précédents, est faux. Nous ne parlons en aucun cas des mêmes choses. Nous parlons ici de pratiques sociales vues de manière entièrement et fondamentalement différentes. Rien ne vous empêche de continuer à dire qu’il s’agit de la même chose, mais cela ne sera pas convaincant.

De plus, si notre militantisme et notre communication impliquent de ne dire ou de ne conseiller que des choses concernant les animaux que nous pensons pouvoir également conseiller concernant les humains, il y aurait alors tout un tas de choses que nous ne devrions pas dire (ce qui, bien sûr, est exactement ce que croient toute une partie des militants pour les droits des animaux). Nous ne pourrions pas encourager ou féliciter les personnes n’étant pas encore véganes à 100 % ; nous ne pourrions pas suggérer aux gens d’essayer de se fixer un objectif, comme de devenir végane pendant tout un mois (vous n’allez pas suggérer aux violeurs d’arrêter de violer pendant un mois !) ; nous ne pourrions pas simplement distribuer des tracts au supermarché (nous n’irions pas distribuer des tracts à des violeurs !) ; nous ne pourrions nous réjouir d’aucune initiative du gouvernement à encourager les gens à manger moins de viande, parce qu’aucun gouvernement n’encouragerait les gens à maltraiter un peu moins leurs enfants.

Et ainsi de suite… Plus je donne d’exemples, plus cet argument devient absurde. Et le pire dans tout cela, c’est que toutes ces recommandations que certains militants aimeraient nous voir arrêter de faire sont les plus efficaces d’après toutes les études psychologiques et sociologiques : y aller progressivement, étape par étape, plutôt que de se fixer directement des objectifs trop ambitieux.

Comme je l’ai déjà dit, nous pouvons soit rester absolument fermes sur ce que nous devons dire ou ne pas dire (en ignorant toutes les études et quel que soit le nombre de fois que nous échouons), ou nous pouvons chercher ce qui est vraiment efficace, être ouvert et accepter de changer.

Utilisons le terme spécisme de façon intelligente et dans le bon contexte.

Également publié ici : https://www.vegetarisme.fr/terme-specisme/.

Les véganes, des gens pas comme les autres

Pour comprendre la différence entre nous autres végétariens, véganes, ou défenseurs des animaux, et le reste du monde, on peut prendre comme repère le fameux modèle de « diffusion de l’innovation », qui tente d’analyser la vitesse à laquelle les idées novatrices et les nouvelles technologies se diffusent au sein d’une population.

Prenez l’exemple de la courbe d’achat d’un smartphone, et essayez de trouver dans quelle catégorie vous vous situez. Si vous avez attendu cette année pour acheter un smartphone, vous faites probablement partie de la « majorité lente » (voire des « retardataires »), c’est-à-dire des gens qui mettent du temps à adopter une nouveauté et attendent que la majorité de la population s’y soit mise. Si vous avez un smartphone depuis longtemps, vous êtes alors parmi les « innovateurs » ou les « précurseurs ».

En ce qui nous concerne, végétariens, véganes, ou engagés dans la protection animale, nous faisons partie des « innovateurs » en matière alimentaire (on peut bien sûr faire partie des « innovateurs » pour ce qui est des smartphones tout en étant classé « retardataire » pour ce qui est des nouveaux régimes alimentaires).

On peut noter que ce ne sont pas les mêmes motivations ou les mêmes inquiétudes qui motivent les choix de ces différentes catégories d’individus, mais il serait erroné de penser qu’on peut rallier les « retardataires » en utilisant les arguments qui ont convaincu les « innovateurs » ou les « précurseurs ».

Ainsi, la plupart de nos concitoyens tiennent à rester « comme tout le monde », et dans leurs choix alimentaires aussi, ils ne veulent pas être perçus comme « sectaires ». Selon une étude réalisée par Faunalytics et portant sur les ex-végétariens et ex-véganes, 63% des personnes interrogées ont répondu qu’elles n’avaient pas apprécié le fait d’être mises à l’écart à cause de leur régime alimentaire. Avant de se lancer, beaucoup de gens attendent d’avoir la certitude que le changement de régime alimentaire (ou d’ailleurs de téléphone, comme dans notre exemple…) n’est pas dangereux. En tant que végé, on a tous eu un jour la désagréable impression d’être un drôle d’oiseau rare, et certaines personnes ont du mal à assumer cela psychologiquement; un aspect qu’il ne faut surtout pas négliger.

Seth Godin, le célèbre gourou du marketing, l’explique de la manière suivante : « Les distributeurs font souvent l’erreur suivante : ils proposent leurs idées bizarres à des gens qui n’aiment pas l’innovation, au lieu de les aider à évoluer progressivement. » Voilà pourquoi une bonne façon de contribuer à faire changer les choses consiste à essayer de toucher un maximum de personnes à l’aide d’un message simplifié, en leur proposant notamment de prendre part à l’opération Meatless Monday (« Lundi Veggie »).

On a souvent tendance à croire qu’on va réussir à convaincre en utilisant les arguments-mêmes qui nous ont convaincus. On pense ainsi que tel ou tel argument étant à nos yeux incontournable, nos interlocuteurs vont nécessairement se laisser séduire… Mais tout le monde n’a pas forcément envie de se laisser convaincre par une argumentation infaillible. En particulier dans le domaine alimentaire, et a fortiori dans le cas de la viande, on réagit souvent de manière irrationnelle, en faisant absolument tout, y compris en restant sourd à toutes les mises en garde, pour continuer à consommer un plat qu’on adore depuis sa plus tendre enfance, tout simplement car cela rime avec bien-être familial et convivialité.

Également publié ici : https://www.vegetarisme.fr/veganes-gens-autres/.

Et si la promotion du véganisme ne venait pas des véganes eux-mêmes ?

Samedi dernier, j’ai eu l’occasion d’assister à une conférence de l’entrepreneur-agriculteur néerlandais Jaap Korteweg, fondateur du Boucher végétarien (Vegetarische Slager) aux Pays-Bas. Ce qui avait débuté comme une boutique, certes petite mais jouissant d’une très bonne image de marque, compte désormais, avec des centaines de points de distribution répartis aux Pays-Bas et, bientôt, une véritable usine de fabrication, parmi les principales gammes de produits végétariens/végétaliens du pays. Les produits du Boucher végétarien ont reçu de nombreux prix et l’histoire de cette entreprise a attiré l’attention des médias du monde entier.

Mark Post
Mark Post

Un autre participant à la conférence était Mark Post, le pionnier de la viande créée in vitro, lui aussi néerlandais. Post est le chercheur qui, il y a trois ans, avait présenté le premier burger de viande créé en laboratoire devant les médias à Londres, l’une des plus grandes révélations concernant la viande et ses problèmes dans l’histoire de ce mouvement.

Toutefois, ni Korteweg ni Post ne sont véganes. Et leurs investisseurs non plus. Willem Van Eelen, l’instigateur et donateur initial des recherches de Mark Post et récemment disparu, n’était même pas végétarien. Et à ma connaissance, ce n’est pas le cas non plus de Sergey Brinn de chez Google, pourtant donateur de 700 000 $ à Mark Post.

Quelques-uns des plus grands promoteurs de la révolution végane, des personnes très influentes (ou potentiellement influentes à l’avenir) ne sont pas des véganes ou ne défendent pas forcément les droits des animaux. Il est bien de s’en rendre compte, ce pour plusieurs raisons.

D’une part, cela nous apprend, à nous les véganes, à rester modestes. Nous avons tendance à croire que lorsque notre planète deviendra enfin un monde meilleur pour les animaux, ce sera grâce à nos efforts et à nos valeurs éthiques. Ceci n’est qu’une partie de la vérité.

D’autre part, cela peut nous aider à prendre conscience du caractère relatif de certaines de nos différences d’opinions, d’idéologies, de philosophies et de théories sur des choses qui s’avèrent être souvent des détails lorsque considérées d’un point de vue plus global.

Mais surtout (et cela devrait être évident mais cela ne l’est manifestement pas), cela devrait nous permettre de réaliser que toute personne, végane ou non, devrait être la bienvenue au sein de ce mouvement.

Les enjeux sont bien trop conséquents pour être défendus uniquement par les véganes.

Également publié ici :
https://www.vegetarisme.fr/promotion-veganisme-ne-venait-veganes-eux-memes/.

Qu’ils mangent donc de la viande in vitro! Interview de Cor Van Der Weele, chercheuse et professeure aux Pays-Bas

Je crois que la viande de laboratoire (en anglais: labmeat – on l’appelle aussi “ viande de culture ” ou “ viande in vitro ”) fait partie des innovations technologiques actuelles les plus prometteuses pour les animaux. Cor Van Der Weele Professeure à l’université Wageningen aux Pays-Bas – un pays à l’avant-garde de ces innovations – effectue des recherches sur ce sujet depuis de longues années. Elle est diplômée de biologie et de philosophie. Nous lui avons posé quelques questions sur la viande in vitro et avons attiré son attention sur les objections probables qu’une partie de la communauté végane pourrait lui soumettre.

foto: annemieke van der togt

On entend souvent dire qu’il y a déjà de nombreuses options végéta*iennes, qui vont du tofu aux délicieux burgers veggie ; alors pourquoi avoir recours à la viande in vitro?
Malgré l’existence de toutes ces options végé/végane de qualité, la plupart des gens restent attachés à la viande. C’est avant tout à eux que la viande de culture est destinée. Pour eux qu’on a imaginé la viande de culture.

D’accord. Mais imaginons un produit 100% végétal qui serait impossible à distinguer de la vraie viande, et qui aurait la même, voire une meilleure valeur nutritionnelle, le même prix, la même texture, etc. Pourquoi certaines personnes préféreraient-elles tout de même la viande in vitro? Et quelle est selon vous la part de marché potentielle de la viande in vitro?
Eh bien, ce serait une expérience très intéressante à mettre en œuvre. Ce qui est passionnant dans cette possibilité de faire un choix entre diverses options de consommation, c’est que cela nous permet de clarifier les raisons pour lesquelles les gens mangent de la viande – telles que le goût, le prix, l’habitude, la santé, et toutes les raisons invoquées pour justifier le fait de manger des animaux. Peut-être la viande de culture, pour certains fervents amateurs de viande, serait-elle dès lors plus proche de la “ vraie viande ” que les produits végés dont vous parlez. J’imagine que la part de marché de ce secteur varierait selon les pays. Cela dépendrait du mode de commercialisation utilisé et de l’encadrement du marché ; et cette part de marché diminuerait probablement au fil du temps.

Faut-il nommer la viande in vitro simplement “ viande ” ou pas ? D’ailleurs, est-ce de la viande ? Qu’est-ce qui fait qu’une viande est véritablement de la viande pour le consommateur moyen ?
Je ne pense pas que cela puisse être appelé simplement « viande ». La viande de culture pourrait certes être considérée comme de la viande dans la mesure où elle est fabriquée à partir de cellules animales. Mais de toute évidence cela n’a rien à voir avec de la vraie viande. Des études montrent régulièrement que beaucoup d’amateurs de viande ont un rapport ambivalent à la (vraie) viande. Une des formes de cette ambivalence est que les gens aiment manger de la viande, mais désapprouvent l’élevage industriel et/ou le fait que les animaux doivent être tués pour leur viande. Le développement de la viande de culture implique que nous acceptions que les gens aiment la viande, tout en essayant de la produire sans faire souffrir les animaux. Parce que les consommateurs trouvent les différences importantes entre la vraie viande et la viande de culture, d’un point de vue moral, ils doivent pouvoir faire la distinction entre les deux termes.
La viande de culture peut être considérée comme un pas vers la fin de la vraie viande : un pas trop petit pour certains, trop grand pour d’autres, mais dans tous les cas, cela permettrait d’avoir une vision différente de la viande classique.

Ne croyez-vous pas que, comme le soulignent certains avis critiques, la viande in vitro nous éloignerait encore plus de la nourriture et de la nature? Si oui, en quoi est-ce inquiétant ?
Fabriquer de la viande de culture est certes contre nature, mais alors que dire de l’élevage industriel ? Je pense que la façon dont nous nous comportons avec les animaux d’élevage industriel est elle-même contre nature. Et la viande de culture produite à partir d’un petit prélèvement de cellules effectuée sur des animaux qui vivent une vie digne de ce nom, serait un progrès. De plus, la quantité de terre nécessaire à la viande de culture est bien moindre. Par conséquent, cela crée potentiellement plus d’espace pour reconstituer la nature.

On retrouve dans vos écrits l’idée d’ “ ignorance stratégique ”, une expression qui décrit l’attitude des personnes qui vont volontairement ne pas savoir ou être mal informées sur quelque chose parce que la vérité est trop difficile à admettre. Je pense qu’une partie de la crainte (en dehors de la confrontation à la souffrance et la tuerie) consiste à penser qu’on laisserait de côté bon nombre d’aliments délicieux si on acceptait vraiment d’ouvrir les yeux sur la souffrance animale. Pensez-vous que le développement d’autres solutions comme la viande in vitro serait un moyen de venir en partie à bout de cette “ ignorance stratégique ”?
Oui, bien sûr. Ce que nous avons constaté dans des groupes de discussion, c’est que l’idée de viande de culture permet de faire parler ceux qui mangent de la viande de ce qu’ils n’aiment pas dans l’industrie de la viande. L’idée même d’une viande de culture déclenche chez eux l’impression nouvelle que des solutions moralement plus justes sont possibles.

Un autre argument contre la viande de laboratoire consiste à dire que cela pourrait entraver le changement moral, à cause de la croyance que la technologie résoudra tous nos problèmes.
Je comprends l’idée, et cela nous mènerait à un certain immobilisme. De plus, c’est en partie ce que beaucoup de gens font déjà : ils ont un point de vue ambivalent sur la viande, ce qui les rend peut-être, pas à pas, plus ouverts aux alternatives, mais ils ne sont pas à l’avant-garde. Je ne prétends pas comprendre parfaitement ce qu’est le changement social, mais je sais que c’est loin d’être une simple ligne droite. Par exemple, tous ces gens ambivalents dont le comportement les apparente à des amateurs de viande, mais qui malgré les apparences, n’ont pas une vision très positive de la viande ; que feront-ils lorsqu’une “ autre ” viande vraiment attrayante arrivera sur le marché ? Dans ce domaine complexe, la viande de culture peut être efficace en tant qu’idée et aussi comme produit en soi, mais également en tant que solution temporaire durant le passage de la vraie viande aux substituts végétaux.

Une partie de la communauté végane pourrait craindre que la viande de laboratoire ne change pas notre regard sur les animaux, que cela ne nous enseignera pas que les animaux ne sont pas des objets à notre disposition…
Je ne suis pas d’accord : au contraire, c’est exactement ce que la viande de culture fera. Je pense que cette technique peut ébranler efficacement notre façon actuelle d’agir envers les animaux, et je suis convaincu que cela finira par changer quelque chose, qu’on le veuille ou non. Il est important de réaliser que le changement ne doit pas nécessairement commencer par les attitudes morales. Parfois, les gens adoptent des attitudes qui font écho au comportement qu’ils avaient déjà. Dans ce cas précis, on peut espérer que lorsque les gens seront habitués à manger de la viande de culture, l’élevage industriel et/ou le fait de tuer des animaux paraîtra graduellement de plus en plus étrange et de moins en moins acceptable.

Également publié ici : https://www.vegetarisme.fr/viande-in-vitro/.

Véganisme et colère

Chers véganes, parlons de notre colère.
Nous sommes très nombreux, parmi les véganes, à être en colère contre ce que subissent les animaux, et nous avons de bonnes raisons de l’être. Nous avons des raisons d’être en colère contre l’indifférence dont la plupart des gens font preuve vis-à-vis des milliards de créatures qui souffrent à cause des humains. Notre colère est justifiée en particulier parce que nous pensons que, de nos jours, la plupart des gens devraient avoir conscience qu’il est temps d’y mettre un terme.

Vous pouvez tout à fait penser que la colère est une émotion positive, constructive, amenant à se mobiliser, une émotion capable de faire descendre les gens dans la rue, de les faire manifester et contester la situation actuelle des choses et menant, par là, au changement.

Je ne suis pas sûr de savoir si la colère est une bonne ou une mauvaise chose, ou un élément essentiel de tout mouvement social, mais ma raison me laisse penser que cela est forcément néfaste pour une personne que d’être tout le temps en colère. Mais ce dont je souhaite surtout parler ici, c’est du fait d’exprimer ou de montrer sa colère. Car même si la colère peut nous aider à avancer et à nous rassembler, je pense qu’agir en montrant sa colère aux gens n’est, dans la plupart des cas, probablement pas une bonne chose.

Quand je ressens moi-même de la colère (cela m’arrive de temps en temps), j’essaie de la transformer en quelque chose de productif. Et j’essaie de dissimuler cette colère. J’essaie de ne pas être trop moralisateur, de ne pas critiquer les gens et de ne pas les faire culpabiliser à l’extrême.  J’essaie – je n’y arrive pas toujours – d’être gentil avec tout le monde même si je sais que certaines personnes font des choses ou participent à des choses, sur le fond, assez horribles. Ce qui m’aide, c’est d’être conscient que, même si je boycotte les produits animaux, je ne suis pas un saint. J’ai donc des scrupules à jeter la pierre à d’autres et à m’indigner de leur comportement.

Et pourtant je vois, autour de moi, tant de colère exprimée, que ce soit dans le véganisme ou dans d’autres mouvements de justice sociale. Il s’agit d’une colère très visible, une colère qui, d’après moi, aliène, une colère qui ferme les cœurs au lieu de les ouvrir.

Et je vois des véganes se mettre en colère non seulement contre des non-véganes, mais aussi contre d’autres véganes et défenseurs des animaux. Ces véganes se mettent peut-être en colère parce qu’ils estiment que les autres véganes ne sont, eux, pas assez en colère. Aux yeux des véganes en colère, les gentils véganes se préoccupent trop de la sensibilité de ceux qui mangent des produits animaux. Laissant parler leurs passions et leurs émotions, les véganes en colère préfèreraient servir la vérité, tout brute, aux mangeurs de viande. Et ils s’impatientent de voir que d’autres véganes n’emploient pas cette méthode et suggèrent au contraire d’avoir un peu plus de considération pour les omnivores, pas seulement par compassion, mais aussi pour des raisons d’efficacité.

Je vois aussi de nombreux véganes en colère contre d’autres véganes parce qu’ils ne tiennent pas compte de tous les problèmes qu’eux-mêmes trouvent très importants. Certains véganes en colère s’indignent sans cesse de voir que la communication d’autres défenseurs de la cause est, à leurs yeux, sexiste, raciste, basée sur les classes, discriminatoire, consumériste ou même spéciste. Les véganes en colère estiment que les autres ne saisissent pas toutes les interconnexions, qu’ils ne comprennent pas que tout est lié et qu’ils sacrifient une cause de justice sociale pour une autre. Les véganes en colère pensent peut-être que les autres véganes ne sont pas assez abolitionnistes, pas assez anti-système, ou ne se penchent pas assez sur le principe d’intersectionnalité. Et ils ont peut-être raison : la plupart d’entre nous, si ce n’est chacun d’entre nous, ont encore des œillères et ne voient pas certains problèmes importants.

Mais voilà, si nous le voulons, nous pourrons toujours trouver des raisons d’être en colère. Il est facile de tomber dans l’addiction à la colère. J’avance l’idée selon laquelle la colère de ceux qui trouvent sans cesse des raisons de s’indigner est plus tournée vers eux-mêmes qu’elle n’a à voir avec la justesse de la cause qu’ils défendent. Ce n’est probablement pas une très bonne idée de se servir du militantisme pour laisser sortir sa colère. Car le véganisme, le féminisme ou tout autre mouvement de justice sociale se résume alors à du colérisme.

En ce qui me concerne, je sais très bien que la colère ne me donne pas la paix intérieure. Je ne suis pas vraiment content de moi-même ou de ma journée lorsque je suis en colère. Je n’ai pas non plus l’impression d’obtenir de meilleurs résultats en me mettant en colère. Et lorsque je vois des personnes en colère je fais mon possible pour les éviter en faisant un détour pour ne pas les croiser ; lorsque j’en rencontre sur Internet, je les bloque. Je ne les trouve pas amusantes, je ne les trouve pas crédibles et je ne les écoute pas plus que les personnes réussissant à rester gentilles et calmes (et pouvant être tout autant passionnées par la cause qu’elles défendent).

En m’exprimant contre le fait de se mettre sans arrêt en colère, je ne veux surtout pas dire qu’il nous faut rester silencieux, rester assis dans notre coin en faisant attention à ne marcher sur les pieds de personne. Il nous faut être sur le terrain, agir pour les choses qui nous tiennent à cœur ainsi qu’à d’autres. Mais il nous faut le faire avec moins de colère et plus de compréhension. Nous pouvons décider de faire confiance aux gens. Avoir confiance dans le fait qu’ils réaliseront un jour, même si ce n’est pas tout de suite, qu’il leur faut suivre la voie de la compassion. Nous pouvons voir les autres comme des alliés potentiels et plus comme des opposants, voire des traitres.

Que nous le voulions ou non, nous sommes tous occupés à vendre quelque chose : notre message de compassion. Et je ne pense pas qu’un vendeur de voitures en ait déjà vendu une en se mettant en colère contre ses clients.

Viendra peut-être un jour où le fait de montrer massivement notre colère sera productif. Ce jour viendra lorsque nous serons assez nombreux pour faire une différence. Mais je pense que ce jour n’est pas encore venu. Pour le moment, il nous faut transformer notre colère en un moyen efficace d’interagir avec les autres, afin de ne plus les faire fuir et d’ouvrir leurs cœurs et leurs esprits.

Également publié ici : https://www.vegetarisme.fr/veganisme-et-colere/.

J’ai été un fan de Francione

(Note: lire aussi à ce sujet  Pourquoi je critique ouvertement Francione)

Bien que Gary Francione ait écrit quelques livres -qui ont leurs qualités- il s’est surtout fait connaître en critiquant les organisations animalistes. Il n’y a virtuellement aucune organisation, à ses yeux, qui semble apporter un quelconque bénéfice aux animaux. On pourrait se demander : y a-t-il quoi que ce soit d’attirant dans ce message ?

En fait, je comprends l’attrait du message de Francione. Et même plus : J’ai été un fan, en 1997, quand j’ai débuté dans l’activisme animal. J’écrivais alors ma thèse sur les relations homme-animal et j’ai vraiment été enthousiasmé par le livre de Francione La Pluie sans le Tonnerre. Et j’ai eu un choc : wow, ce gars a tout compris, et beaucoup d’activistes et d’organisations trahissent en réalité la cause de l’abolitionnisme, non ? Voilà un homme dont le message était pur : quelqu’un avec une vraie vision, qui n’accepterait rien de moins que la libération totale des animaux. Oui, ce serait un message que beaucoup de gens ne voudraient pas entendre, mais… on ne peut pas avoir la pluie sans le tonnerre, pas vrai ?

Je me souviens d’avoir montré ce livre, avec beaucoup d’enthousiasme, au leader d’une organisation animaliste ici en Belgique. Il n’a pas réagi très positivement à mon enthousiasme. Je me suis demandé pourquoi sur le moment, et puis j’ai oublié. Pendant quelques temps, je suis resté dans l’illusion que Francione avait raison, et que tous les autres étaient des vendus qui nous éloignaient de la vraie cause.

Il me semble que c’est ainsi que les fans de Francione actuels pensent et agissent. Ils critiquent toutes sortes de groupes, adoptant ses mots sans aucune remise en cause, croyant que PeTA, FARM, Mercy for Animals, la Vegan Society au Royaume-Uni, etc… sont des vendus.

A ceux qui croient cela, je voudrais dire : parlez aux gens vraiment actifs au sein de ces organisations. Est-ce que vous croyez vraiment que ceux qui mettent leur vie au service des animaux, certains depuis plusieurs décennies, et qui n’ont pas mangé le moindre produit animal depuis X années, et qui ont eu un impact énorme sur la prise de conscience du véganisme et des droits des animaux… pensez-vous vraiment que ces gens soient des vendus ? Croyez-vous vraiment qu’ils sont subitement devenus réformistes ou welfaristes ? Croyez-vous qu’ils ne pensent pas en termes de stratégie ? Qu’ils sont beaucoup plus bêtes que vous ou que Francione ? S’il vous plait : réfléchissez.

C’est la conclusion à laquelle je suis parvenu après un moment. J’ai parlé avec des gens au sein du mouvement. J’ai commencé à voir les choses du point de vue du public que nous voulons atteindre, au lieu de simplement adhérer au dogme. C’est ainsi que je me suis écarté de Francione. J’essaie de ne pas douter des bonnes intentions de ces gens, et quoique ça me demande une certaine souplesse d’esprit, j’essaie de supposer que Francione fait ce qu’il fait avec les meilleures intentions, et qu’il croit vraiment ce qu’il prêche.

Mais je me suis fait une raison, et si je donne encore un peu de mon attention à Francione en écrivant ces quelques billets, j’espère qu’au moins certaines des personnes qui le suivent vont commencer à penser par eux-mêmes (même si les réactions d’ “ abolitionnistes ” à mes précédents articles confirment complètement ce que j’écris).

Typiquement, si vous êtes un activiste animaliste, voici une trajectoire que vous pourriez suivre:

Phase 1 : vous découvrez le mouvement des droits des animaux, peut-être à travers l’une des organisations qui s’y consacrent. Vous approfondissez le sujet.
Phase 2 : vous découvrez Francione ou l’approche abolitionniste. Vous pensez qu’il faudrait être beaucoup plus critique envers les organisations que vous trouviez bonnes, intéressantes et efficaces.
Phase 3 : vous dépassez Francione et son appoche abolitionniste, la voyez pour ce qu’elle est, et comprenez qu’en soutenant le travail de la plupart des organisations animalistes, vous contribuez en réalité à l’abolitionnisme, simplement d’une façon bien plus pragmatique et efficace qu’en adhérant au dogme Francionien.

Je repense à La Pluie sans le Tonnerre. Réfléchissez à ce titre une minute, et demandez-vous si vous voyez souvent la pluie sans le tonnerre. Ben oui : tout le temps, en fait.

Il est tout à fait “ vegan ” de rélêchir par soi-même. Vous en avez le droit, vous savez.

Également publié ici: https://veganforthem.wordpress.com/2015/03/17/gary-francione-et-les-abolitionnistes/.